Portraits d'ardéchois

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Régis BREYSSE


1810 - 1860


Pâtre, sculpteur ardéchois

La sculpture fut représentée en Ardèche au XIXe siècle par Régis Breysse du Béage.

 

Régis Breysse est né le 19 juillet 1810, sous le chaume, dans le hameau des Farges, au Béage en Ardèche, de Jean-Louis Braisse 43 ans cultivateur et de Rose Chamard. Les deux témoins sont : Étienne Testud, âgé de 39 ans, « talier d’abis (tailleur d'habits) », du bourg du Béage, et Joseph Vigne, « clocheron dudit bourg< », déclaré « être tous illitérés ». Seul Saugues, maire, signe cet acte de naissance.

L’abbé Darbousset précise que la maison natale de Régis s’appelait Fermaillo. Il est le plus jeune de la famille : quatre garçons et deux filles sont nés quelques années auparavant. Les parents sont très pauvres, l’habitation est probablement une petite chaumière.

Jadis, les habitants du Béage étaient pour la plupart charretiers, muletiers alimentant le commerce de cette contrée en bois, vin, sel, alcool et autres produits ramenés de Haute-Loire ou des vallées de l'Ardèche.

Le petit Régis

Il passe la première partie de son enfance à suivre sa mère et ses sœurs à la cueillette des violettes, dont le Béage et les communes environnantes ont le monopole. La cueillette se fait en juin et se prolonge jusqu'au 15 juillet. Il y a toutes les années, à Sainte-Eulalie, une foire aux violettes, où l'on vient surtout du Puy-en-Velay, mais également d'Aubenas et de Burzet.

Régis a sept ans ; il sera berger comme beaucoup d’enfants pauvres. On le place "à mestre" (chez un patron). C’est l’apprentissage de la vie qui commence ; il ne va pas à l’école. À douze ans, il est placé chez Valette, un propriétaire aisé, un notable local. Dans les registres d’état-civil, Valette est cité comme homme de loi, expert et même notaire. Il était riche, mais pas « mauvais homme ».

Plateau du Mézenc
Le plateau du Mézenc

Chaque berger ou vacher a son outil dans sa poche, son couteau qu’on appelait parfois l’Eustache (du nom d'Eustache Dubois, coutellier à Saint-Étienne, créateur de ce type de couteau). Régis a le sien et peut chapuser (tailler du bois au couteau) à loisir en gardant les vaches. Il ne s'en prive pas et fabrique toutes sortes d'objets : des fioulos (sifflets), des miniatures, des vaches, des moutons, des jougs, des chars, des figurines naïves.

La matière première ne manque pas : les branches de tourier, de blaye, de faou, ou de fraysse, de pi (sorbier, érable ou playe, hêtre, frêne, pin) ne sont pas rares le long des chemins. Ainsi le petit Régis se fait remarquer par son habileté manuelle.

Un jour, le petit Régis s'attarda. Il avait oublié l'heure de rentrer, tout occupé à faire un bouquet pour la fête de monsieur Valette, son maître . Eï bé moun bouquet iou maï : j'ai mon bouquet moi aussi. Le bouquet tenait dans son mouchoir : c'était des moutons frisés, un bélier, un loup, des vaches même, qu'il avait scuptés sur le bois avec le secours de son couteau. Chacun s'enthousiasme. Régis révéla ingénument que  depuis un an, toutes ses journées étaient employées à ce travail. Ainsi s'est révélée pour la première fois la vocation de Régis Breysse pour la sculpture.

Le coutelier

Régis Breysse par Vaschalde (ADA)
Régis Breysse par M. Vaschalde (ADA)

On décide alors de faire de Régis un coutelier. La coutellerie est une des industries de la montagne ; cela tient aux mœurs de ses habitants. Mazon prétend même qu'à Borée les paysans, en allant à la messe le dimanche, plantaient leurs couteaux dans la table de communion et le reprenaient en sortant.

Régis Breysse fut donc tour à tour apprenti coutelier chez Faure coutelier au Béage, chez Rochette à Saint-Cirgues-en-Montagne, enfin chez Chabanis célèbre coutellier à Montpezat puis chez Ginoux au Monastier. En 1864, Ovide de Valgorge écrit en parlant de Montpezat : Cette ville est le centre où viennent s'approvisionner les propriétaires des montagnes voisines. La coutellerie, son industrie de prédilection, forme la branche principale de son commerce.

Montpezat rivalise alors avec Langres et Moulins et a peu de choses à envier à Thiers et à Saint-Étienne, la patrie de l'Eustache.

Et pourtant l'ouvrier Breysse ne fut jamais capable de faire une lame, en revanche il faisait les manches à la perfection. C'est dans cette partie de l'instrument qu'il pouvait exercer son talent. Il ne resta pas longtemps dans la coutellerie. Il rêve d'aller en ville. Aussi, un beau matin, il se dirige vers Le Puy-en-Velay, la capitale de l'ancienne province du Velay. Il veut être sculpteur. Sans fortune et sans appuis, il a grandi sans apprendre, Régis ne sait ni lire, ni écrire, comment parviendra-t-il à son but ?

Au Puy-en-Velay, Breysse se rend dans les églises et le musée de la ville ; puis de retour chez lui il reproduit, sur le bois, sur la pierre ou avec de l'argile, une statue ou un bas-relief. Il est remarqué et pris sous la protection de notables locaux.

L'artiste

Il part pour Lyon, recommandé par un de ses protecteurs. Chez son nouveau maître, Régis Breysse apprend à lire et à écrire, il suit les cours des Beaux-Arts au palais Saint-Pierre, une ancienne abbaye bénédictine disparue sous la Révolution. Bientôt ses yeux se tournent vers Paris, il est aidé par le conseil général de l'Ardèche qui, en 1839, lui accorde une subvention de 800 francs puis de 1 000 francs pendant quatre ans. Il a 28 ans.

Cet humble berger parvint jusqu'à l'atelier du sculpteur et statutaire David d'Angers  (Pierre Jean David) qui lui ouvre ses portes. Il est admis à l'école des Beaux-Arts. De 1848 à 1860, Breysse établit son atelier au fond d'une vaste cour, dans la rue du Cherche-Midi. Sa notoriété lui permet de vivre différemment qu'au Béage, il s'offre le restaurant Gloria compris (café mélangé d'eau de vie ) ; fréquente les salons du faubourg Saint-Germain.

Il s'inspire des fastes de la vie militaire d'un autre ardéchois le général Rampon, né en 1759, héros de la campagne de Bonaparte en Égypte, pour réaliser un bas-relief de 3,30 m de longueur sur 2,50 m de hauteur. Sur celui-ci composé de 90 figures, le soldat (alors colonel) fait jurer à ses hommes cernés par l'armée autrichienne sous les ruines de la redoute de Monte-Legino, le 10 avril 1796, de s'ensevelir plutôt que de se rendre. Le bas-relief, "Défense de la redoute de Monte-Legino par Rampon", eut les honneurs du salon public au Louvre de 1841.

L'atelier bien éclairé servait de pièce à vivre et de chambre à coucher. Breysse recevait ses amis dans ce logis excentrique. Squelettes jaunis, têtes de mort, vieilles draperies, peintures, maquettes, croquis, émaux, trophés d'armes se trouvaient pêle-mêle, aux côtés des ébauches des scupltures de Breysse depuis ses débuts. Il y avait là :

- "Le bœuf et l'étable" groupe exposé en 1844, représentant la famille Breysse réunie dans une étable.

Le bœuf et l'étable de R. Breysse
"Le bœuf et l'étable", bas-relief inédit de R. Breysse représentant sa famille au Béage - ADA

 

- "Défense de la redoute de Monte-Legino par Rampon" à la bataille de Montenotte où s'illustra le général Rampon à la tête de la 32e brigade.

Defense de la redoute de Montelegino par Régis Breysse
"Défense de la redoute de Monte-Legino par Rampon"

 

- "Boissy d'Anglas, présidant l'assemblée du 1er prairial, debout et saluant la tête du député Féraud" bas-relief de quatre mètres de longueur et trois mètres de hauteur, exposé en 1845, comportant 72 figures aujourd'hui dans l'ancienne salle d'audience du Conseil de Préfecture à Privas.

Boissy d'Anglas salue la tête sanglante du malheureux Feraud, bas-relief de R. Breysse, 1845 - ADA
Boissy d'Anglas de R. Breysse

 

- "Le Christ en croix" aujourd'hui dans l'église d'Aubenas.

- "L'ange Gabriel tenant un lys en main" exposé en 1844, propriété d'un chatelain aux environs d'Autun.

- Ainsi que de nombreuses ébauches de bustes, de médaillons, des figurines d'hommes et d'animaux.

Entre 1848 et 1852, époque troublée par la deuxième révolution française du XIXe siècle, le public a d'autres soucis que l'encouragement des Beaux-Arts. Pour vivre, Breysse se contente de se livrer à un travail de retouche de chemins de croix en plâtre moulé, les transformant de ses mains en un relief qu'ils n'avaient jamais eu. Mal rétribué, Breysse menait une vie très modeste.

Comme beaucoup d'artistes, Breysse vivait par le cœur bien plus que par la tête. Ainsi il s'amouracha d'une jeune femme de comptoir du Café du Luxembourg, qui pendant trois mois, mit à l'envers la cervelle attendrie de l'artiste. Puis il eut une aventure romanesque avec une comtesse, une des plus belles et plus spirituelles femmes de Paris, à qui il fait parvenir maints hommages fleuris accompagnés de billets doux composés par un autre fidèle ami ardéchois, Louis Saussac. Il se présentait à elle en homme frisé, rasé, endimanché, derrière lequel se trouvait le pâtre du Béage.

Un jour il est intercepté par des agents. On trouve sur lui un couteau. Outil de travail ? C'est possible ; objet de fidélité au pays natal ? probablement puisqu'il lui a été offert par Saussac ; et c'est un Coste de Montpezat ! Dès lors les relation avec les privilégiés sont terminées.

Vers 1852, Breysse espérait être chargé de la statue d'Olivier de Serres, dont l'érection était projetée à Villeneuve-de-Berg. Le projet de Pierre Hébert lui fut préféré, ce dont Breysse fut profondément blessé dans son amour propre d'artiste et d'Ardéchois.

 

Fin tragique

Régis Breysse armé d'un maillet saccage son atelier, réduit en poudre ses maquettes, anéantit ses marbres. Cette frénésie sacrilège frappe d'effroi ses compagnons incapables de s'interposer. Régis Breysse s'abandonne d'une buvette à un estaminet où il consomme l'absinthe avec des copains éphémères et des filles de passage. Il dépense ses dernières forces, son dernier argent. Et se retrouve à Bicêtre, cette traditionnelle maison de force, tout à la fois hôpital, asile et bagne. Sous les voûtes de cet établissement, Régis n'est plus que le plus anonyme et la plus oubliée des épaves les derniers jours de son existence. Par le plus grand des hasards, Régis Breysse eut la visite d'un compatriote du Béage : l'abbé Soleilhac, vicaire à Sainte-Marie des Batignolles. Ainsi Régis put être réconforté dans son patois !

Breysse mourut à Bicêtre le 1er juillet 1860, trop tôt pour donner l'œuvre à laquelle son talent paraissait le promettre. Il fut inhumé le 2 juillet 1860, le même jour que le prince Napoléon.

 

Sources

 

- "Voyages aux pays volcaniques du Vivarais", par Albin Mazon 1878 - Réédition Lienhart-Aubenas, 1979.

- Les cahiers du Mézenc : "Du Béage à Bicêtre, Régis Breysse" par Paulette et Marcel Eyraud n° 15, juillet 2003.

- "Breysse, sculpteur ardéchois", note de Henry Vaschalde

- "Terres maudites" : au nom de Bel, dieu des Arvernes, des Vellaves et des Helves, Imprimerie Jeanne d'Arc, Le-Puy-en-Velay, 1981.

- "L'almanach du Pays d'Ardèche" : d'hier à aujourd'hui" par Pierre Veyrenc, Éditeur Veyrenc, Baix, 1989.