C'est au temps où le Bas-Vivarais souffrit de la dure répression de la "Révolte de Roure" que s'installa à Chomérac, près de Privas, un modeste atelier de moulinage de soie. Son fondateur Jean Deydier allait être, bien malgrè lui, le promoteur d'une invention qui, pendant longtemps, favorisa largement l'épanouissemnt économique du Vivarais.
Présente en Vivarais dès le XVIe siècle, la famille Deydier se distingue particulièrement dans la filature et le moulinage de la soie, à Chomérac et dans la région d'Aubenas à partir des XVIIeet XVIIIE siècles.
Jean Deydier (1607- 1697)
Jean Deydier, est né en 1607 à Chomérac, décédé à Chomérac le 10 avril 1697. Avocat puis notaire à Chomérac, lieutenant du juge de cette ville, il fut maintenu dans sa noblesse par jugement du 21 octobre 1668. Il épousa Isabeau de Rieux, fille d'Antoine, seigneur du Bourg, et de Anne éeallarès, qui lui apporta le domaine des Rieux.
Jean Deydier se fixa à Chomérac où il fit en 1669 ou 1670, un des premiers essais d'organsinage des soies d'après le système de Pierre Benay, attiré de Bologne par Colbert. Il eut trois enfants dont Jacques qui suit ;
Jacques Deydier (1644- 1715)
Jacques Deydier, seigneur du Lac, est né le 1er décembre 1644, avocat, juge de Chomérac et de Rochessauve, conseil du roi, par lettre du 1er juin 1693. Après avoir étudié à Condrieu et à Neuville-sur-Saône le mécanisme des moulins et filatures introduits en France par arrêt du Conseil d'État du 2 septembre 1670, il rentra à Chomérac où il établit une filature à côté des fabriques de soies récemment créées par son père Jean Deydier, puis fonda à Pont-d'Ucel, en 1675, au lieu-dit la Bouissette, une usine plus importante, avec l'aide d'un spécialiste, Pierre Benay, sur la rive gauche de l'Ardèche, laquelle fonctionna jusqu'en 1760. Il fonda en même temps, à Lyon, une maison pour la vente exclusive des produits de ses usines. Cette maison fut dirigée, de 1703 à 1715, par son fils cadet Henri, associé à son cousin Bonaventure Deydier. Il épousa le 1er décembre 1676, Isabeau de Fons, fille de noble Henri de Niclot, seigneur de Fons, ancien régent d'Aubenas et de Léonarde Gros, dont il eut deux fils, dont Jacques qui suit;
Jacques Deydier (1682-1759)
Jacques Deydier est né à Chomérac en 1682, décédé le 29 novembre 1759. Bailli de Boulogne il siégea aux États généraux du Languedoc, délégué par Louis, baron de Crussol-Florensac, par provision du 8 octobre 1710. Admis aux États du Vivarais, en 1711, il les présida en 1717 et 1729. Il épousa le 18 septembre 1712, Marie Mège, fille de Jean et de Léonarde Périer, dont il eut 14 enfants, dont Henri qui suit ;
En 1700, le moulinage Deydier n'était qu'un établissement modeste, comme les fabriques albenassiennes de cadis, ratine et burate, qui produisaient des étoffes grossières faites avec des laines médiocres issues de la région d'Aubenas et des régions avoisinantes. Mais la situation va énormément évoluer pendant le dernier siècle de l'Ancien Régime. Le XVIIIe siècle vit en effet se fonder à Aubenas trois "manufactrues royales".
HENRI Deydier (1716-1775)
Henri Deydier est né le 20 octobre 1716 à Chomérac. Avocat au Parlement de Paris, il se fixa en 1752 au Pont-d'Aubenas où il fut chargé, par lettres patentes du 5 septembre de la même année, de créer à ses frais une manufacture pour la filature et le moulinage des soies, d'après le le système de Jacques de Vaucansson. Celui-ci vint au Pont-d'Aubenas, et conserva toujours des relations d'amitié avec M. Deydier. Cet établissement dénommé Manufacture royale, était exempt du logement des gens de guerre, de milice, de tutelle, de curatelle et devait avoir un portier à la livrée de "Sa Majesté". Il épousa le 20 janvier 1765, Jeanne Marion de La Tour, fille de Jean-Louis, seigneur de La Tour-Laval, propriétaire du château de Saint-Genis-Laval, près de Lyon, et de Marie Denis de Cuzieux, dont il eut deux fils : Henri-Benoît et Jean-Etienne-Marie
Manufacture Royale de soie d'Aubenas
Le 5 septembre 1752, le roi "en son conseil" arrête la création de la manufacture royale de filage et dévidage de la soie à Aubenas, établie pour profiter de "la bonté des eaux de la rivière d'Ardèche" propre à faciliter la séparation de la gomme qui retient les bouts. Celle-ci sera équipée de moulins conçus par Jacques de Vaucanson (1709 - 1782). Les moulins sont payés par l'État. Monsieur Henri Deydier, moulinier, aura la charge de l'entretien des machines et il s'engage à fournir, par an et sur dix ans, 6 000 livres de soie tirée ou moulinée.
L'implantation de cette manufacture se situe à Ucel, en bordure de la rivière Ardèche, tout près d'Aubenas. Elle est assortie d'une école de formation pour les fileuses et moulineuses, aux nouvelles machines dans le cadre du programme de rénovation de l'industrie de la soie lancé en France par Trudaine. Les travaux commencèrent sur les espaces nécessaires : terrain de la veuve Tailhand au Boisset, moulins du nommé Grandpré, le tout pour 11 000 livres. Le devis qu'avait fait exécuter Vaucanson par un architecte de Paris atteignait 100 000 écus pour la construction. Sur la porte principale, au-dessous des armes du roi, figuraient les armoiries de la famille Deydier.
Vaucanson vint sur place pour édifier la Manufacture, dont les perfectionnements techniques sont unanimement reconnus. Le moulinage se détachait particulièrement avec ses deux avant-corps latéraux et son atelier voûté qui inspirera d'autres constructions industrielles. Les plans avaient été dessinés par l'académicien Guillot Aubry. Les bois provenaient de Suède. La clarté, l'aération de salles étaient prévues. Les tours de tirage (filature) réduisaient les déchets. Les moulins, certes couteux, économisaient la force motrice et donnaient une très belle soie. Les Organsins Deydier (sortes de soie qui s'emploient dans les étoffes de soie), de qualité supérieure, se vendaient à Lyon plus cher que ceux du Piémont. Holker (1756) et Rodier (1758), inspecteurs des manufactures, signalèrent superbement la qualité des mécaniques de Vaucanson ainsi que la valeur de celui-ci et de Deydier. Holker qualifie les machines de Vaucanson de "plus bel ouvrage" qu'il ait jamais vu de sa vie "dans ce genre". Et Rodier déclare : "S'il a fallu un Vaucanson pour mettre (cet établissement) sur pied en présidant en personne aux travaux, s'il fallait un tel génie pour désoler les Piémontais, il fallait aussi un Deydier pour saisir le but de chaque innovation… pour étendre et soutenir chez lui ce nouveau genre de fabrication".
Vaucanson place dans cet atelier, 25 moulins d'organsinage, autant de moulins de dévidage et 60 tours de tirage : de quoi faire pendant dix ans au moins six milliers d'organsins chaque année.
Le bassin d'Aubenas comptait déjà deux autres Manufactures Royales, une de laine et une de coton. Une "condition de soie" y est encore implantée par décret impérial en 1854, pour contrôler les produits utilisés par les industriels. Le volume des matières traitées situe alors Aubenas parmi les plus grandes places européennes, derrière Lyon et Saint-Etienne mais devant Avignon.
La "condition des soies" qui fonctionnera jusqu'au début du XXe siècle sera à l'origine de la Chambre de Commerce et d'Industrie créée en 1869.
Les machines, très performantes, nécessitaient un entretien et des réglages minutieux. Il fallait former des techniciens. Les décideurs des États du Languedoc refusèrent d'investir davantage et la belle manufacture périclita. Toutefois, Bourceret, élève de Vaucanson apporta plus tard, des modifications qui réduisirent les coûts de maintenance. Les machines modernes d'aujourd'hui comportent des engrenages créés par Vaucanson.
Malheureusement, emprunts, faiblesse de gestion, situation économique amenèrent la fermeture presque totale de la manufacture royale (1774). Et le 25 juin 1775, Henri Deydier, homme de progrès et d'honneur, mourut au Pont-d'Aubenas, écrasé par les soucis. Sa femme, née Marion de la Tour-Laval, et leurs deux fils, relevèrent courageusement l'entreprise. Les États de Languedoc fermant l'atelier créé par eux à Montpellier, les objets de réparation, le matériel Vaucanson qu'il contenait, avaient été transportés chez Deydier (1773).
Jean-Étienne Deydier (1770-1836)
En 1825, quelques industriels, notamment Jean-Étienne Deydier (né le 7 mars 1770 et décédé le 20 novembre 1836) fils d'Henri ci-dessus à Pont d'Ucel, et Chabert à Chomérac, construisirent de vastes filatures à traction hydraulique qui occupèrent jeunes gens et jeunes filles de la région ainsi qu'une main d'œuvre émigrée.
Toujours établis à Ucel, les Deydier s'illustrèrent par de hautes récompenses officielles (par exemple en 1849, 1855, 1878) se classant au premier rang de notre pays dans l'industrie des soies. En 1882, venu à Aubenas pour le Concours agricole, le savant Louis Pasteur fut reçu le 5 mai chez les Deydier. Dans le cadre de la lutte contre les maladies du ver à soie, il fit l'éloge de leur organisation de grainage cellulaire tout à fait remarquable.
La rivière Ardèche était un appoint précieux foumissant la force hydraulique. L'introduction de la machine à vapeur alla de pair avec l'extension des moulinages, de toute taille. Certains engouffairent chaque matin plusieurs centaines d'ouvriers, plus particulièrement des femmes comme le moulinage Deydier à Ucel.
Sources
- "La France Moderne - Drôme et Ardèche" de Jules Villain (Saint-Étienne - 1908)
- "La manufacture royale de Henri Deydier (Pont d'Ucel) par Jean Cheyron historien, Jean Cheyron Éditeur, 1994.
- "Ucel à travers les siècles" , Jean Cheyron, Aubenas 1993
- "La Manufacture Royale de soie" de Henri Deydier - Pont d'Ucel, Aubenas 1995
- Geneanet
- ENVOL n° 459, avril 1996