Alexandre de TRALLES

vers 525 - vers 605

Médecin byzantin

Le VIe siècle est dominé par la prestigieuse figure d'Alexandre de Tralles qui fut le plus grand sans doute de tous les médecins byzantins.

Né à Tralles , en Lydie, près de la vieille ville d'Ephèse en Asie Mineure, il était lui aussi fils de médecin. Son frère aîné n'était autre que l'illustre architecte Anthémios qui avec Isidore de Milet, édifia en cinq ans à la demande de Justinien, la grandiose basilique de la Sainte-Sagesse à Constantinople. Alexandre fut surnommé le "périodeute" pour avoir parcouru le monde antique au cours des campagnes de l'Empereur et de Bélmisaire qu'il accompagnait en qualité de médecin militaire. Il partagea ensuite son temps entre Rome et Byzance et vécut près de quatre-vingts ans jouissant d'une extraordinaire renommée et groupant de nombreux élèves. Alexandre de Tralles

Il se décida sur le tard à écrire des ouvrages de médecine dans lesquels il s'attache à ajouter aux connaissances traditionnelles "ce qu'une longue pratique des maladies des hommes avait fourni à son expérience". Son œuvre principale est constituée par un traité de pathologie interne et de thérapeutique en douze livres. Ecrit dans un langage clair et suivant un plan précis, cet ouvrage, apparemment destiné à l'enseignement, fut très rapidement traduit en latin et en arabe. Sa première édition imprimée parut à Paris en 1538.

Alexandre de Talles fut avant tout un clinicien et un thérapeuthe remarquables : jusqu'à Sydenham, aucun n'atteindra une telle envergure. Ses constatations originales et judicieuses portent sur un grand nombre de maladies, notamment sur certaines affections neuro-psychiques, oculaires et gastro-intestinales. Il connaissait bien la peste bubonique pour l'avoir observée au cours de la célèbre épidémie qui ravagea le monde oriental au temps de Justinien et dont Procopius a relaté l'histoire : née semble-t-il , à Péluse en 542, elle fit l'année suivante à Byzance dix mille victimes en un seul jour et atteignit finalement Rome en 590.

La description qu'Alexandre donne de l'abcès du foie d'origine dysentérique est un chef-d'œuvre d'exactitude et de concision : "Il y a de la fièvre, une expectoration souvent couleur rouille, une sensationde tiraillement au niveau de la clavicule, une toux diaphragmatique qui provoque plutôt un sentiment de pesanteur hépatique qu'une douleur. Mais lorsque l'inflammation occupe les enveloppes et les vaisseaux environnants, elle détermine une douleur plus vive." Le tableau qu'il donne de la fièvre tierce palustre est plus lapidaire encore : "L'accès commence par un frisson intense; le déclin est suivi de sueurs abondantes; l'accès dure environ dix à douze heures."

Dans une de ses lettres à son ami Théodore, il différencie magistralement les trois variétés de vers parasites de l'intestin et propose contre chacune d'elles un traitement particulier dont l'efficacité a reçu la confirmation des siècles; il distingue ainsi les ascaris, les oxyures qu'il attaque par des lavements d'huile éthérée, et les ténias qu'il combat déjà par la graine de grenadier, la fougère et l'huile de ricin.

Ses remarques les plus saisissantes sont peut-être celles qui concerne les affections respiratoires. Il donne une excellente description de l'hémoptysie qu'il traite de façon très judicieuse par le repos absolu, une potion d'eau vinaigrée, des compresses froides sur la poitrine et une diète sévère. Il réserve la saignée aux seuls malades pléthoriques. Il définit fort bien la pleurite et son traitement. Aux phitsiques, il conseille de changer d'air, de faire un voyage en mer, de consommer une nourriture facile à digérer et d'absorber beaucoup de laitages.

Alexandre s'efforce de réaliser un traitement étiologique et proclame que "le premier objectif du médecin est d'éliminer la cause de la maladie." En parfait thérapeuthe, il connait aussi bien les vertus que les inconvénients des médications qu'il emploie. Ce qu'il écrit des précautionbs à prendre en administrant un médicament opiacé aux pulmonaires pourrait figurer in extenso dans nos traités les plus modernes : "Il risque de tuer les sujets très faibles ou ceux dont la poitrine renferme une quantité excessive de matières à rejeter. Si son action semble calmer la toux et amener le sommeil, elle augmente en réalité l'embarras thoracique, de sorte que beaucoup de malades sont asphyxiés comme avec un lacet". Alexandre fait également une admirable étude, précise et nuancée, sur l'administration du colchique d'automne dans la goutte et sur ses effets ; il n'y a rien à y ajouter.

Partisan convaincu des traitements physiques, féru d'hygiène, il proclame que "l'alimentation est la première et la plus importante partie du traitement de toutes les maladies". Eclectique et curieux de toutes choses, il n'écarte à priori aucun procédé susceptible de favoriser la guérison, pas même les amulettes si celles-ci son efficaces : "Le médecin instruit doit s'efforcer de soulager par tous les moyens et employer aussi bien les sortilèges que les formules savantes et les méthodes de l'art. Il doit comme on dit, faire flèche de tous bois." Son seul souci est de faire prévaloir la rigueur et l'honnêteté scientifiques en établissant les faits tels qu'ils sont : "Par cela même qu'on est homme, il est difficile de ne pas se tromper. Aussi n'aurais-je jamais parlé comme je l'ai fait d'un aussi grand savant (Galien), si la vérité même ne m'avait donné ce courage et si le silence ne m'eût paru impie. Un médecin qui garde en lui-même, sans le dire, ce qui lui semble vrai, commet une grande injustice, une véritable impiété; il se précipite de lui-même et sans rémission dans la plus grave des erreurs. Le devoir est d'agir comme le dit Aristote. Platon est mon ami, mais la vérité aussi est mon amie. S'il me faut choisir entre les deux, j'opte pour la vérité".

Ce passage célèbre mérite de figurer dans une anthologie des plus hautes pensérs médicales. Il anticipe de mille ans sur la libération de l'esprit scientifique. Alexandre de Talles fut bien, comme o, le disait de son temps, "le médecin par excellence".

Source:

- Histoire de la Médecine par Maurice Bariéty et Charles Coury, Fayard Editeur