Jean-Louis Alibert est né à Villefranche-de-Rouergue, dans l'Aveyron, le 2 mai 1768, son père était magistrat. Le jeune Jean-Louis a d'abord étudié dans sa ville natale puis à Toulouse chez les frères; où il s'initie à la philosophie, la littérature, le grec, le latin, et commence même des cours de théologie et s'engage dans un noviciat. Mais la Révolution en déclarant hors la loi les ordres religieux, fit interrompre les études religieuses du jeune homme.
Un décret de la Convention du 15 septembre 1793 ayant supprimé toutes les corporations enseignantes, toutes les Facultés de Médecine, Collèges de Chirurgie et un Collège de Pharmacie disparaissent ainsi que l'Académie de Chirurgie et la société Royale de Médecine, avec elles toutes les sociétés scientifiques. Dès lors la profession médicale n'ayant plus de défenseur, se trouve livrée à un charlatanisme sans retenue.
Les études médicales sont peu à peu réorganisées, sous l'impulsion d'Antoine Fourcroy, brillant professeur qui a complètement renouvelé l'enseignement public. C'est ainsi que le décret du 4 décembre 1794 (14 frimaire an III) va donner naissance aux écoles de Santé de la Révolution, prélude des futures Facultés de Médecine et de Pharmacie, à Paris, Montpellier et Strasbourg. Le plus important étant que ce décret donne une impulsion pour ce qui sera plus tard la "Médecine Hospitalière" qui confère la priorité à l'enseignement clinique.
Après Toulouse, Alibert se rend à Paris. Il suit les cours de l'école Normale, créée par la Convention, avec les meilleurs enseignants du moment; les élèves étant destinés à devenir des professeurs pour le peuple, sur l'ensemble du territoire. Mais la mentalité étant trop révolutionnaire, l'école est fermée après quelques mois d'enseignement pendant l'année 1794.
Les mondanités et les rencontresLe salon d'Anne-Catherine de Ligniville d'Autricourt (1719-1800), veuve de C. Adrien Helvétius (1715-1771) et arrière petite-nièce de Jacques Callot, à Auteuil, était installé dans une maison ayant appartenu au célèbre pastelliste Quentin de la Tour. Pendant trente ans ce salon fut fréquenté par deux générations de causeurs, philosophes et encyclopédistes.
La première génération, réformiste et pré-révolutionnaire; celle des "états généraux de l'esprit humain" comprenait: d'Alembert, Condillac, Malhesherbes, Chamfort, Morrillet, Garat, Dupaty, Jefferson, Benjamin Franklin, Roussel, Roucher etc… Turgot y introduisit Cabanis auquel Franklin donna sa canne et son épée.
La seconde génération y eut ses entrées lorsque la Révolution était déjà commencée. Elle comptait Vicq d'Azyr, A. Petit, Boyer, Thouret, Ginguené, Andrieux, Garat, Th. Lagarde, Rousse, Volney, Lareveillère, Daunou, Laromiguière, Thurot et Destutt de Tracy. Fermé pendant la Terreur, le salon d'Auteuil accueillit après le 9 Thermidor an II (27 juillet 1794): Pinel, Desgenettes, Diéyès, Lucien Bonaparte et ultérieurement, Gallois, Pariset, Fauriel, Richerand, Alibert, Dupuytren, Récamier et Bayle.
A Paris Alibert était entouré par les plus brillants jeunes intellectuels. Il fréquenta le brillant salon de Madame Helvetius où il rencontra entre autres célébrités Pierre-Georges Cabanis, philosophe, écrivain, médecin et homme politiquement influent.
Influencé sans doute par Cabanis, Alibert rejoint alors la toute nouvelle école de Santé créée en 1794. Cette école avait des professeurs exceptionnels tels que Pinel, Desault, Corvisart et il se trouva qu'une approche moderne et vraiment scientifique était commune aux professeurs et aux étudiants. Desault le maître de Bichat fut le premier professeur de Clinique Chirurgicale à l'Hôtel-Dieu, Corvisart un peu plus tard fut médecin de l'Empereur et le premier professeur de Clinique Médicale à La Charité. La première Clinique Spécialisée inspirée par ces professeurs, fut la Clinique Dermatologique d'Alibert.
Pendant qu'il est encore étudiant, Alibert commence à écrire des articles médicaux ainsi que des travaux philosophiques et médico-littéraires. Il écrit entre autres "Physiologie des Passions", un traité de moral psychologique. En 1796 se crée la Société d'émulation, dont Alibert fut le Secrétaire et pour laquelle il écrivit de nombreux articles destinés au Bulletin de la Société.
Alibert prépara sa thèse en 1799 sur les "Fièvres Pernicieuses" dans le service de médecine dirigé par Pinel. Au centre de la pensée de Pinel est la classification nosologique des maladies, il publie en 1798 "Nosographie philosophique"
En 1801, Alibert est nommé Médecin-adjoint de l'Hôpital Saint-Louis (Hospice du Nord). Cet hôpital fut construit en 1607 par Henri IV, pour les pestiférés, l'Hôtel-Dieu situé au centre de Paris ne pouvant pas accueillir tous les malades. Le nouvel hôpital fut situé à la périphérie de Paris spécialement pour recevoir ces malades contagieux. Les patients étaient installés dans quatre salles et surveillés par des soldats et des maîtres-chiens pour empêcher leur évasion. Les bâtiments encore intacts, sont un bon exemple de l'architecture du début du XVII ème siècle.
A la suite de l'incendie de l'Hôtel-Dieu en 1773, l'Hôpital Saint-Louis reçu davantage de malades. Mais situé loin du centre de Paris, à la fin de 1801, l'Administration Hospitalière réserva officiellement l'hôpital aux maladies chroniques, contagieuses et aux cachectiques. Ceci comprenait également les maladies de peau comme les maladies croûteuses, les teignes, scorbut et ulcères de toutes origines. Les ulcères étaient considérés comme maladies chroniques ne justifiant pas de visite quotidienne. Il faut dire que seuls les plus démunis étaient soignés à l'hôpital.
Ainsi, Alibert avait la charge, comme il dit lui-même, d'un cloaque, qu'il considéra comme un champ prometteur d'investigation scientifique.
Bien qu'Alibert proclama qu'il se consacrerait aux maladies de la peau comme un pionnier, et bien qu'il ne put pas se référer à des travaux antérieurs, quelques influences importantes ont sans doute fondé son approche et sa pensée médicales:
- La philosophies sensualiste appliquée par Cabanis à la médecine, qui pensait que l'observation clinique est l'essence de la médecine. En donnant la priorité à l'observation, par opposition à la pensée théorique. Ce courant de pensée revint aux traditions hippocratiques qui donnaient une place prépondérante à ce que le médecin pouvait percevoir avec ses cinq sens.
- La médecine hospitalière. Avant 1794, les hôpitaux étaient des refuges pour sans-abri. Après cette date il devinrent le domaine de la médecine scientifique. Saint-Louis environ six cents lits étaient occupés en permanence par des patients atteints de maladies de peau; le fait qu'Alibert puisse suivre chaque jour l'évolution des maladies de la peau, lui donna l'idée que le caractère évolutif était important pour la description et la classification de ces maladies. Cela a probablement renforcé son opinion que les maladies de peau devraient être considérées comme une partie de la médecine interne. On peut également observer que dans l'atlas des maladies de la peau d'Alibert, il tient compte de toute la personne, de sa physionomie y compris de ses vêtements et pas seulement de l'aspect cutané de la lésion.
- La méthode botaniste. Alibert a vécu à une époque où les sciences progressaient rapidement, ceci spécialement dans les sciences de la nature. Les botanistes furent les plus admirés parce qu'ils réussirent à créer une classification des plantes.
- Carl von Linné, naturaliste et médecin suédois (1707-1778) fut le premier a essayé de formuler une nomenclature binominale des êtres vivants (noms latins de genres et d'espèces) ce qu'Alibert suivit pour les maladies de peau, et une classification des plantes à fleurs appelée "artificielle", dans laquelle le critère important était le nombre et la distribution des organes sexuels (les étamines et les pistils).
- D'autres botanistes comme les frères Bernard et Antoine Jussieu et leur neveu Antoine-Laurent proposèrent un classement en suivant l'ordre "naturel" basé sur plusieurs caractéristiques des plantes comme l'apparence, le poids, le diamètre.
Jean-Louis Alibert eut de nombreuses réussites:
Professeur
Alibert devint célèbre car il fut un grand enseignant. Dès son arrivée à Saint-Louis il commença ses leçons cliniques en appliquant à la dermatologie ce qui avait été fait à l'école de Santé par Desault et Corvisart. Ses leçons attirèrent étudiants, médecins, étrangers et gens à la mode. Le Pavillon Gabrielle devint trop exigu et suivant l'exemple des philosophes grecs, Alibert fit son cours en plein-air sous les tilleuls. Une représentation picturale en a été faite par René Berthon en 1811.
Alibert y décrivait les maladies de peau de façon un peu théâtrale, sous formes de causeries, avec un sympathique accent du sud-ouest teinté de métaphore et d'humour.
Documentaliste
Alibert écrivit également d'impressionants ouvrages dans lesquels il se montrait novateur à plus d'un titre: les descriptions étaient faites en français et non en latin, les éditions étaient de grand format, et ils étaient illustrés de dessins ou peintures en couleurs.
En fait, Alibert publia essentiellement deux livres importants de dermatologie: Le premier "Description des maladies de la peau observées à l'hôpital Saint-Louis, et exposition des meilleures méthodes suivies pour leur traitement" publié entre 1806 et 1814, comporte 53 planches en couleurs, c'est le fruit du travail d'Alibert à l'hôpital Saint-Louis. Il y fait la première description du mycosis fongoÏde qu'Alibert appela le "pian fongoÏde." Mycosis est un mot créé par Alibert pour désigner les affections caractérisées par des excroissances ou tumeurs fongueuses de la peau. Actuellement ce mot ne s'emploie plus que dans l'expression mycosis fongoÏde dite aussi Maladie d'Alibert.
Alibert inventa de nombreux termes comportant une racine grecque ou latine, deux au moins sont restés célèbres: dermatose et syphilide.
Dermatose: n.f. Dérivé du grec derma, -atos, " peau ", sur le modèle d'autres noms de maladie, comme chlorose, névrose ou cirrhose.
Syphilide: n.f. Dérivé de syphilis, lui-même dérivé du nom propre Sipylus ou Syphilus héros d'une légende imaginée par Fracastor ("Syphilis Sive Morbus Gallicus").
Étiologiste
Alibert tenta de résoudre le problème de la contagion de certaines dermatoses en utilisant le procédé de l'inoculation qu'il pratiqua non seulement sur des animaux mais sur lui-même et certains de ses élèves (Le Noble, Fayet et Durand), le 17 octobre 1808, en s'inoculant une substance issue d'un cancer du sein. Il en fit de même avec des substances provenant de dermatoses telle que l'herpès ou les dartres. Le sarcopte acarien responsable de la gale a vu son rôle confirmé en 1834 par un étudiant corse nommé Renucci, élève d'Alibert à l'hôpital Saint-Louis. C'était la première fois qu'une maladie de peau avait une cause spécifique identifiée.
Thérapeute
Alibert écrivit de nombreux articles et de nombreux livres sur les traitements, le plus important "Les Nouveaux éléments de thérapeutique" a eu cinq éditions entre 1804 et 1826. Ses deux grands atlas comportent des paragraphes sur le traitement des maladies de peau. et Alibert était très attentif à la thérapeutique qu'il ne négligeait jamais. Il fut d'ailleurs nommé Professeur de Botanique et de Thérapeutique de la Faculté de Médecine en 1823.
Médecin des rois
Après l'ère Napoléonienne, la Restauration de la royauté mit Louis XVIII sur le trône. Alibert devint le médecin personnel du souverain, à sa mort, Charles X conserva Alibert comme médecin et le récompensa en le nommant Baron. Pendant toute cette période Alibert se tint éloigné de ses travaux de l'Hôpital Saint-Louis et il laissa son service à Laurent-Théodore Biett, un médecin d'origine suisse, son meilleur élève.
Pour ce qui concerne les maladies de peau, il existe plusieurs types de classification possibles. En 1829, Alibert résuma ses leçons cliniques de Saint-Louis dans le second grand ouvrage publié par Alibert de 1832 à 1834, intitulé "Clinique de l'hôpital Saint-Louis" agrémenté de 63 planches gravées au burin, coloriées et retouchées au pinceau, dans lequel il appliqua la nosologie naturelle aux maladies de la peau.
Ces éditions luxueuses étaient trop cher pour les étudiants, il en publia une édition résumée, plus abordable, en 1832 la Monographie des dermatoses.
L'Arbre des dermatoses: La classification des maladies est un problème récurrent en médecine. Telle classification a ses défenseurs et ses détracteurs. Alibert a écrit en 1817 un premier volume: "Nosologie Naturelle ou les maladies du corps humain distribuées par famille" dans laquelle les maladies sont classées par organe; à cause des frais énormes d'impression, le second volume ne vit pas le jour. Il décida d'imiter l'Arbre des fièvres de Torti (1712) et conçu "l'Arbre des Dermatoses" (dont il existe plusieurs versions, selon l'année d'édition), sur lequel figure la pancarte explicative:
Arbre des DermatosesCet Arbre figure le Derme,les Branches principales les diverses Maladies qui lui sont particulières, les Rameaux indiquent les genres, les Ramuscules les espèces et les variétés. Alibert avait imaginé cet arbre afin que la classification qu'il avait adoptée apparût plaisante à ses auditeurs et à ses lecteurs. Il disait de lui que "l'arbre des dermatoses répand sur les élèves l'ombre de son feuillage et les fruits de son instruction."
Le classement et la dénomination des maladies étaient inspirés des travaux des botanistes, l'image de l'Arbre est assez symbolique de ce point de vue, elle frappa tous les esprits et est restée comme un symbole, utilisé de diverses façons, de l'ensemble de la dermatologie
De plus Alibert avait un rival dans la personne de son élève préféré Biett qui avait séjourné en Angleterre et s'était enthousisasmé pour la classification proposée par Willan. Cette méthode consistait à classer les maladies de peau par éléments anatomiques: papilles, pustules, tubercules, alors que celle d'Alibert regroupait les maladies selon leurs affinités ou leurs différences. Cette méthode de classification était trop complexe, et il a toujours été difficile de s'y repérer.
C'est peut-être pourquoi l'oeuvre d'Alibert ainsi d'ailleurs que celle de Biett devaient être évincées à la fin du siècle par la classification de l'autrichien Ferdinand Hebra.
Alibert peut être considéré comme le premier clinicien hospitalier à se spécialiser en dermatologie, et le fondateur de l'Ecole dermatologique de l'hôpital Saint-Louis, une des toutes premières du monde au XIXème siècle.