Hildegarde de BINGEN

1098-1179

«Abbesse, guérisseuse, compositeur, écrivain et sainte…»

Hildegarde Von Bingen compte parmi les penseurs les plus célèbres et les plus originaux de l’Europe médiévale.

Hildegarde de Bingen est née le 16 septembre 1098 à Bermersheim vor der Höhe près de Alzey (Hesse rhénane), dans une famille aristocrate rhénane.  Son pére, Hildebert von Bermersheim, faisait partie de la haute noblesse. Sa mère s'appelait Mechtild.

Hildegarde, religieuse

Elle entre au couvent des Bénédictines de Disibodenberg à l’âge de huit ans,

Hildegarde dictant ses visions à son scribe pour son Scivas
Hildegarde de Bingen

parce que son père a promis de donner son dixième enfant à l’Église, d'abord pour son instruction puis pour y prendre le voile dès l'âge de quatorze ans (1er novembre 1112) sous la tutelle de la Mère supérieure Jutta De Sponheim, elle y restera pendant les quatre-vingts autres années de sa vie.

Abbesse

Quand Jutta décède en 1136, à 38 ans, Hildegarde devient Abbesse (Mère supérieure) du couvent de Disibodenberg.

Vers 1147, elle fonde son propre couvent indépendant du monastère des hommes à Rupertsberg. Le couvent devient indépendant juridiquement de Disibodenberg seulement en 1158 ( En effet, le couvent est une source importante de revenus. Les dots des religieuses d’origines nobles sont utilisées pour embellir le monastère des hommes, ce qui suscite de nombreuses rancoeurs ches les religieuses.) A partir de là, les religieuses peuvent même choisir quels prêtres sont chargés de la messe ou de donner la confession. Le couvent devient prospère et vers 1165, Hildegard peut fonder une filiale dans le voisinage à Eibingen.

Visions

" Il est dit que vous serez élevée au ciel, que bien des choses vous seront révélées, et que vous écrirez de grandes œuvres et découvrirez des chants nouveaux..." lui écrivit le Maître Odo de Paris en 1148. La renommée d'Hildegarde reposait sur la hardiesse avec laquelle elle explora le cosmos selon sa propre vision, créant ainsi une émouvante théologie féminine - qui néanmoins respecte les puissances divines masculines aussi bien que féminines. Son engagement dans la vie réelle et le monde politique est aussi impressionnant que son total dévouement à la vie spirituelle, qu'elle enseignait à ses soeurs au couvent.

A 43 ans, elle reçoit de Dieu l'ordre de mettre par écrit ses visions. Elle ne le fit qu'avec beaucoup de réticence et tombe même gravement malade. Ses premières visions sont consignées dans le Scivias qu'elle achève en 1151. Elle l’écrit avec l’aide de Volmar, son secrétaire, et Richardis, la religieuse avec qui elle a un lien très solide. Hildegard souligne qu’elle n’est pas dans l’extase mais qu’elle perçoit ses visions ‘dans son âme’ dans un état éveillé. Elle fait illustrer ses textes avec des miniatures magnifiques. Les images de ses visions sont réalisées sous la surveillance attentive de Hildegarde. Cet ouvrage était admiré par saint Bernard de Clairvaux et du pape Eugène III.

Scivias provient de l’expression latine « Scito VIAS Domini » qui veut dire « connaître les voies du Seigneur ». Le livre est assez volumineux, plus de 150000 mots et est illustré de 35 dessins ou miniatures. La première partie de l’incunable comprend une préface décrivant la façon dont elle a été commandée pour écrire le livre. Le Scivias est le premier de trois ouvrages décrivant ses visions, les autres étant le Liber vitae meritorum écrit entre 1158 et 1163 et le De operatione Dei écrit entre 1163 et 1174, également connu sous le nom de Liber divinorum operum.

Elle écrivit de nombreuses lettres qui nous sont très précieuses pour la compréhension de sa vie et de son oeuvre, ainsi qu'un traité sur la Règle de Saint Benoît, sur le symbole de Saint Athanase, la Vita sancti Ruperti et la Vita sancti Disibodi. Les Expositiones Quorundam evangeliorum sont des commentaires sur les évangiles, sur le mode de prédications.

Hildegarde, femme de science et guérisseuse

En femme accomplie Hildegarde était également Maître dans la médecine psychosomatique et l'art de guérir par les plantes, elle soignait à la fois les corps et les âmes en initiant ses nonnes à la gravure, à l'écriture, à la reliure, aux chants et à la science domaine généralement réservé aux hommes !

En tant que médecin la plus importante de son époque, Hildegarde Von Bingen écrit des livres qui préfigurent les idées à venir sur la circulation du sang et les caractéristiques du système nerveux. Les médicaments qu’elle utilise pour les diverses maladies révèlent chez elle une vaste connaissance de la pharmacologie et des herbes. Elle entretient une correspondance volumineuse avec les plus grands penseurs et participe à tous les débats politiques et religieux de son époque. Elle inspire Dante par sa conception holistique de l’univers, basée sur l’unité du corps et de l’esprit.

Régine Pernoud, dans sa biographie d’Hildegarde, qu’elle appelle la « conscience inspirée du XIIe siècle, » constate que plus de trois siècles avant la naissance de Léonard de Vinci « cette vision de l’homme, bras étendus sur le globe de la terre, était présente dans l’œuvre de la petite religieuse des bords du Rhin. [...] Reste que cette image qui met l’homme au centre de l’univers était familière dès le XIIe siècle, et résume ce qu’Hildegarde nous révèle touchant le cosmos. »

Mais autant on a glorifié et encensé Vinci jusqu’à nos jours, autant on a oublié et enterré l’œuvre d’Hildegarde, en dépit de sa grande valeur. Une œuvre immense, consignant dans des livres denses ses visions, l’expression musicale et poétique de ses soixante-dix chants et hymnes, la richesse de sa correspondance, l’élaboration d’une langue et d’un alphabet nouveaux, deux ouvrages médicaux, les seuls au XIIe siècle, tout cela constituant une véritable encyclopédie des connaissances du temps en matière de sciences naturelles et de médecine.

Elle fût la seule femme du Moyen Âge à transmettre par écrit les pratiques de guérison d'une "sage femme" et à comprendre aussi, que pour soigner, il fallait s'occuper de la personne en totalité. L'alimentation et la phytothérapie prennent une place essentielle dans la pharmacopée de sainte Hildegarde en passant par le jeûne qui a de profondes vertus curatives. De nombreux conseils pratiques, des recettes, des remèdes à la portée de tous : c'est un excellent guide pour celui ou celle qui recherche un mieux être tant du point de vue spirituel que sur le plan de la santé.

Le Liber simplicis medicinae ou Liber subtilitatum diversarum naturarum creaturarum, sera ensuite connu sous le titre de Physica, dans lequel 513 animaux, plantes, éléments, métaux et pierres sont décris avec la mention de leurs propriétés médicinales.

le Liber compositae medicinae ou Causae et curae , traite de la santé et des maladies humaines. Hildegard s’appuie fortement ici sur les traditions d’Hippocrate et de Claude Galien. Hildegard insiste sur l’hygiène, une bonne alimentation, suffisamment de repos et d’exercices. Elle est une des premières à conseiller de bouillir l'eau avant de la boire. Dans les environs du couvent, Hildegard est connue et appréciée en tant que guérisseuse.

Hildegarde, musicienne

Hildegard tente aussi d’exprimer ses visions à travers la musique. Ses compositions religieuses sont obstinées et témoignent d’une riche utilisation de sons.

Régine Pernoud revient à plusieurs reprises sur le sens musical étonnant d’Hildegarde :

Hildegarde musicienne
Hildegarde de Bingen musicienne e

« Dans la ligne du plain-chant ; musique méditative qui garde un tranquille contrôle au sein même de l’extase et amène celui qui la chante à un développement de vie intérieure beaucoup plus qu’à des effets musicaux nouveaux, surprenants ou occasionnels. » Esprit universel, cette incommensurable précurseure n’a pourtant pas été jugée digne d’être retenue par l’histoire. Il est à peu près certain que sans les études et recherches féministes récentes, les historiens l’auraient vouée à l’oubli à l’instar de tant d’autres femmes extraordinaires de toutes les époques. Hildegard composa plus de 70 cantiques.

Dans sa recherche sur Von Bingen, Judy Chicago rappelle qu’au XIIe siècle la visibilité des femmes n’est pas seulement à son apogée à la cour, mais également dans les cloîtres dont les abbesses pouvaient posséder et administrer de vastes domaines terriens, avoir leurs propres soldats, frapper de la monnaie et exercer un grand pouvoir politique.

À l’abbaye de Fontevraud, les hommes sont soumis à une autorité féminine, fait unique dans toute l’histoire du monachisme. Mais, petit à petit, le pouvoir des abbesses passe sous l’autorité du père supérieur et les religieuses se réfugient dans la voie plus individuelle du mysticisme ou se tournent vers des mouvements considérés hérétiques, tels les Cathares ou les Béguines, qui veulent réformer l’Église. Elles se battent aussi aux côtés des paysans contre l’oppression féodale, montrant qu’elles n’ont jamais accepté passivement la perte de statut de leur communauté.

Entre 1151 et 1158, elle écrivit et compila ses compositions musicales destinées à ê^tre chantées par les soeurs du couvent lors de cérémonies ou autres. Elle les appela symphoniae harmoniae celestium revelationum, un titre qui indique à la fois qu'elles sont d'inspration divine, et que la musique est la forme la plus élevée de toute activité humaine, miroir des harmonies et sphères célestes et des choeurs angélique

Ces chants de l’an mille entièrement voués à Dieu sont, pour qui les entend pour la première fois, une véritable révélation. Pas tout à fait A cappella, puisque le son nasillard de la vièle médiévale vient souvent sous tendre les voix, ils se distinguent notamment par le dépouillement harmonique absolu propre au vocabulaire musical religieux de l’époque. Le chant grégorien, musique liturgique officiel romaine depuis le VI ème siècle est un chant monodique, toutes les voix sont toujours à l’unisson.

Hildegarde, l’éducatrice et l’amie

Hildegarde Von Bingen a consacré sa vie à l’éducation et au développement intellectuel des religieuses, partageant avec elles sa soif de connaissances et d’harmonie. Il existe de nombreux témoignages de l’amitié se développant entre les femmes qui, de gré ou de force, se retrouvent au cloître. Dans les miniatures représentant Hildegarde, on peut voir derrière elle une jeune religieuse, Richardis, dont le rôle est d’assister l’abbesse dans les divers travaux du couvent et la rédaction de ses livres. Au fil des années, elles deviennent inséparables.

En 1151, l’archevêque de Brême, frère de Richardis, semble prendre ombrage de cette amitié, car il décide de confier à sa sœur le monastère de Saxe afin de l’éloigner d’Hildegarde. Celle-ci cherche par tous les moyens à empêcher Richardis et Adélaïde, la sœur de cette dernière, de quitter son monastère : « N’allez pas distraire mon âme et faire couler de mes yeux des larmes amères et remplir mon cœur de blessures cruelles, à propos de mes très chères filles, Richardis et Adélaïde. » Mais l’archevêque de Brême reste inflexible. Hildegarde va même jusqu’à écrire au pape, qui refuse de contrecarrer la décision de l’archevêché local.

Elle écrit une lettre déchirante à Richardis, lui déclarant qu’elle aime sa noblesse de comportement, sa sagesse et la pureté de son âme et de tout son être, montrant l’étendue de la douleur qu’elle éprouve après la séparation. Mais la tragédie n’est pas terminée. Richardis meurt l’année suivante. L’archevêque, responsable d’avoir séparé les deux amies, écrit à Hildegarde :

« Je t’informe que notre sœur, la mienne mais plus encore la tienne, mienne par la chair ; tienne par l’âme, est entrée dans la voie de toute chair [...] que tu lui gardes ton amour autant qu’elle t’a aimée, et s’il te semble qu’elle ait commis faute en quelque chose, de ne pas la lui imputer, mais à moi, tenant compte de ses larmes qu’elle a versées après avoir quitté ton cloître, comme beaucoup de témoins peuvent l’attester. Et si la mort ne l’en avait empêchée, dès qu’elle en aurait obtenu la permission, elle serait venue à toi. »

Cet aveu de culpabilité à peine voilé ne peut ramener Richardis à la vie et à son inconsolable amie qui, dès lors, n’a plus d’existence personnelle, ses visions l’absorbant tout entière.

Dans sa réponse à l’archevêque, Hildegarde écrit à propos de son amie disparue : « ...la Lumière vivante, en une très forte vision, m’a appris à l’aimer comme moi-même. Écoute : Dieu la tint dans un zèle tel que l’attrait du siècle n’a pu la retenir, mais il l’a assaillie bien qu’elle-même apparût dans la symphonie de ce siècle comme une fleur en sa beauté et sa splendeur. » Sa douleur est si forte qu’elle est incapable de cacher sa rancœur envers Dieu et son représentant, allant même jusqu’à utiliser le mot "assaut" pour qualifier la séparation injuste d’avec son amie. Heureusement, la mort a emporté Hildegarde avant que l’Église, institution qu’elle avait grandie de tout son génie, ne commence sa chasse aux sorcières et le massacre des femmeS.

Elle meurt le 17 septembre 1179, à Rupertsberg (près de Bingen), après une longue maladie, au milieu de ses nonnes. De nombreux miracles (guérisons) lui sont attribués.Hildegarde bien que non canonisée figure au martyrologue romain.

Sources

- Les causes et les remèdes (traduction Pierre Monat, 2005)

- Hildegarde de Bingen par Régine Pernoud Editions du Rocher Paris 1995

- Hildegarde von Bingen par Elaine Audet