Léon-Clovis-Eugène JAMOT

1879-1937

Médecin militaire français, "Vainqueur de la maladie du sommeil"

L'ambassadeur de France au Cameroun, dans son hommage rendu au Docteur Jamot le 25 avril 2002, relève le caractère de l'homme et la modernité de sa démarche. Ce sont tout à la fois, la ténacité, l'attachement à l'Afrique, la rigueur, l'hônnêteté intellectuelle, la confraternité, la persévérance qui caractérisent cet homme dans sa lutte contre la maladie du sommeil (la trypanosomiase).

Ce texte est très largement inspiré de l'article du docteur Jean-Marie Milleliri : "Jamot, cet inconnu" École du Pharo (Institut de Médecine Tropicale du service de Santé des Armées) à Marseille, publié dans le bulletin de la société de pathologie exotique (2004, 97, 3, 213-222)

La jeunesse, les études

Léon-Clovis-Eugène Jamot est né le 14 novembre 1879 à La Borie dans la commune de St Sulpice-lès-Champs dans la Creuse. Son père Jean est agriculteur et accessoirement aubergiste, sa mère espère qu'il reprendra les terres familiales. Le jeune homme, élève brillant sera poussé par son instituteur vers les études.

Scolarisé dans le secondaire à Aubusson, Jamot est bachelier à Clermont-Ferrand. Il réussit facilement sa licence ès-Sciences Naturelles à la faculté des Sciences de Poitiers en juillet 1900, est lauréat de cette faculté et se dirige vers l'enseignement comme le souhaite son père.

Il débute dans la vie comme instituteur à Ben-Aknoun (Algérie) puis répétiteur au Lycée d'Alger de 1902 à 1905. Il s'inscrit à la Faculté de Médecine d'Alger en octobre 1902 puis à la Faculté de Médecine Montpellier en octobre 1905 devant laquelle il soutient sa Thèse de Doctorat en Médecine en juin 1908, sous le titre: "Contribution à l'étude de la méthode de Bier".

Les premiers postes

Son doctorat en poche Jamot exerce sa profession de médecin à Sardent de 1908 à 1910 . Il est apprécié de ses patients, dont il parle le patois…

Mais, en 1910 il passe le concours latéral d'entrée dans le Corps de Santé des Troupes Coloniales. Eugène JamotIl est nommé Aide Major de deuxième classe (médecin sous-lieutenant) le 15 janvier 1910, il a 31 ans. Il suit le stage de spécialisation à l'Ecole d'Application du Service de Santé des Troupes Coloniales, dite du "Pharo". C'est la troisième promotion de cette école. Elle est baptisée "l'Africaine".

Du 25 décembre 1910 au 8 juin 1913, il est promu Aide Major de première classe (médecin lieutenant), il est désigné pour le Tchad (Bataillon du Ouaddaï) et participe aux opérations de pacification. Il se fait remarquer pour ses qualités tant de médecin que de militaire et y obtient une citation à l'ordre du bataillon.

Il profite de son congé de fin de campagne en France, du 8 juin 1913 au 13 juillet 1914 - (il est affecté au 5e Régiment d'Infanterie coloniale à Cherbourg), - pour effectuer un stage à l'Institut Pasteur de Paris. Il fréquente le laboratoire de Mesnil auprès duquel il découvre la Maladie du Sommeil et se prend de passion pour cette affection.

La première guerre mondiale éclate, alors que Jamot vient d'être nommé sous-directeur à l'Institut Pasteur de Brazzaville (il n'occupera son poste que quinze jours). Jamot est mobilisé sur place, il rejoint la colonne franco-belge "Sangha-Cameroun" qui chasse les Allemands de Yaoundé le 4 janvier 1917 . Il obtient deux nouvelles citations à l'ordre de l'Armée.

La Maladie du sommeil

Naissance de la doctrine

A partir de maintenant Jamot ne servira plus, comme nombre de ses camarades, qu'en position "hors cadre", détaché par le Ministère de la Guerre auprès du Ministère des Colonies et employé à des tâches purement civiles. Fort des connaissances acquises à l'Institut Pasteur à Paris et de son expérience en terre africaine, il réfléchit sur les moyens de mieux lutter contre la maladie du sommeil. Il présente un rapport spécial sur la Maladie du Sommeil au Conseil d'Hygiène de l'AEF, le 29 novembre 1916.

Première équipe mobile en brousse

Par Arrêté du Gouverneur général de l'Afrique Equatoriale Française (AEF) du 12 avril 1917 Jamot est chargé d'organiser en Oubangui-Chari un service spécialisé dirigé contre la Maladie du Sommeil. Il y opère un dépistage et un traitement de masse, sillonnant les vilages avec deux ou trois infirmiers et quelques porteurs d'août 1917 à mai 1919. Il va ainsi au devant des malades dont la plus part ne pourraient pas rejoindre un poste médical. En peu de temps il voit environ 100.000 habitants sur 100.000 km2 - et dépiste 5347 trypanosomés sur les 89.743 personnes examinées, 30% de la population est touchée. Il est urgent de trouver un remède.

En 1918 le Dr Jamot est Promu Médecin Major de 2e classe (Médecin Capitaine) et en 1919 il est fait Chevalier de la Légion d'Honneur.

Campagne du Cameroun 1921 1931

Jamot s'attache désormais à prospecter au Cameroun. Dépistage trypanosomiase (E. Jamot)C'est en 1920 qu'il met au point et codifie la méthode de lutte contre cette maladie. Il fait appliquer dans un système codifié des plans d'intervention permettant de mettre en place une médecine de masse. Il comprend que pour éradiquer le trypanosome des populations, il faut aller chercher le parasite là où il se trouve, c'est à dire dans la brousse au bout de la piste. Les sommeilleux, affaiblis, sont incapables de rejoindre les postes médicaux et meurent dans leur village. Il invente la médecine mobile en lui donnant des fondements et pose les postulats qui lui survivront :
- examen systèmatique de toutes les populations
- schéma standardisé de diagnostic
- traiement immédiat

Il applique sa méthode au foyer du Haut-Nyong (Akonolinga, Abon M'bang, Doumé) de 1922 à 1923. Il trouve 33.537 trypanosomés, soit 29,7% de la population. Il prospecte le nord du Cameroun, de septembre 1923 à février 1925, entre Logone et Chari (214 villages contaminés, 29.366 habitants visités, 1.948 malades dépistés et traités).

Le 5 mars 1925 Jamot est promu Médecin Major de 1ère classe (Médecin Commandant).

1926 le tournant

Mais c'est dans le Sud-Cameroun, entre 1925 et 1926, qu'il montre que le péril est encore plus grave qu'au Nord. Sur 663.971 personnes examinées, soit 80% de la population en danger, 115.354 (soit 17%) seront reconnues trypanosomées et traitées sur place dans les cinq années à venir.

Le 8 avril 1926 avec le soutien de Marchand, commissaire de la République au Cameroun ainsi qu'avec le soutien des pasteuriens, il parvient à convaincre le Ministre des colonies Maginot, de l'ampleur du fléau au Cameroun. La mission permanente de Prophylaxie de la Maladie du Sommeil est instituée par décret ministériel; Jamot en est le Directeur.

En décembre 1926 il est distingué Officier de la Légion d'Honneur.

Les résultats 1926-1930 : "Je réveillerai la race noire."

Avec les nouveaux moyens dont il dispose, Jamot lance ses troupes composées de 18 médecins, 400 infirmiers et 40 assistants sanitaires, comme un chef de guerre. Les équipes mobiles quadrillent les coins les plus reculés du Cameroun et prospecte systématiquement le pays. En cinq ans de travail acharné, la Maladie du Sommeil est vaincue au Cameroun, les résultats sont spectaculaires, Jamot déclare : "la maladie du sommeil n'est plus au Cameroun un facteur important de mortalité, de dénatalité et de dépopulation." Mais on ne doit pas arrêter l'effort. Et pour cela il faut des moyens financiers, du personnel en suffisance et l'autonomie administrative.

En 1928, l'Académie des Sciences lui attribue son prix le plus important, le Prix Martin-Damourette.

Le 25 juin 1930, Jamot est promu Médecin Lieutenant-colonel.

1931 : la reconnaissance

En 1931, lors de l'exposition coloniale de Vincennes, l'œuvre de Jamot et de ses équipes est saluée. Le président de la Républque Alexandre Millerand, désigne Jamot comme "bienfaiteur de l'Humanité". Jours de gloire et de bataille pour Jamot. Il donne des conférences, notamment devant Lyautey, commissaire général de l'exposition. Il rencontre des journalistes, des écrivains. Consacré par la presse et par l'opinion publique "Le vainqueur de la Maladie du Sommeil", comblé de distinction et d'honneurs, met sa renommée au service de son œuvre et s'adresse directement aux décideurs pour renforcer la Mission permanente. C'est aussi l'épilogue du drame de Bafia. Un collaborateur de Jamot avait en 1928 prescrit, contrairement à ses directives et sans l'en informer, des doses excessives de tryparsamide entraînant des troubles oculaires sérieux chez 700 malades. Jamot refuse d'accabler son jeune confrère et ne se rend pas au Conseil d'enquête qui devait juger de cette affaire grave.

Disgrâce et dernier combat

Le 22 novembre 1931, Jamot, sur le chemin du retour au Cameroun est débarqué à Dakar et se voit notifier un blâme officiel et l'annulation de sa mission. Suivent sept mois de solitude, de désespoir et d'attente à Dakar.

Jamot est cependant chargé d'établir le bilan de la Maladie du Sommeil en AOF, en juin-juillet 1932. Il n'a ni les moyens, ni le personnel, ni l'autonomie administrative qu'il avait au Cameroun. Il se met néanmoins à l'œuvre et crée à Ouagadougou une école d'infirmiers spécialisés. Seul ou assisté de quelques jeunes médecins fraîchement issus du Pharo, il parcourt toute l'Afrique occidentale et enregistre en trente mois difficiles, près de 68.000 trypanosomés dans une contrée où l'existence de la trypanosomiase était contestée. Sa santé décline.

Le 19 novembre 1934: Une "Conférence sanitaire" réunie à Bobo-Dioulasso conteste les méthodes de Jamot et écarte toutes ses propositions concernant la lutte contre la maladie du Sommeil en AOF.

Le 25 décembre 1934, il est promu Médecin Colonel des Troupes Coloniales.

Il résume dans son rapport final du 26 janvier 1935 (écrit à Thiès, Sénégal) l'état de ses découvertes et surtout il préconise les mesures exceptionnelles qui sont à ses yeux les seules capables d'arrêter la marche du fléau. C'est son testament scientifique.

Meurtri par l'affaire de Bafia, las de lutter contre ceux qu'il appelle "les cloportes", technocrates de l'administration coloniale, apprenant en décembre 1935 la nomination de Reste (qui ne l'a pas en sympathie et qui ne croit pas à la réalité de cette maladie) comme Gouverneur général de l'AEF, Jamot écrit le 24 décembre 1935 sa lettre de demande de mise à la retraite.

Après avoir fait valoir ses droits à la retraite en février 1936, Jamot retourne en Creuse où il est accueilli par son fils médecin lui aussi. Il redevient médecin de campagne à Sardent dans le cabinet médical qu'il avait quitté 25 ans auparavent.

Eugène Jamot décède le 24 avril 1937 à Sardent, victime d'un accident vasculaire cérébral.

La maladie du sommeil

La maladie du sommeil est provoquée par un parasite sanguin abrité par le bétail. Les deux formes de la maladie existent en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest, toutes deux transmises par l'intermédiaire des glandes salivaires de mouches tsé-tsé infectées. La maladie débute par une plaie au point de piqûre de l'insecte, un rythme cardiaque accéléré, un gonflement de la rate, une éruption et de la fièvre. Au cours des quelques mois suivants, le système nerveux est altéré : modifications de l'humeur, somnolence, perte d'appétit, éventuellement coma. Pris au début, le mal peut être traité par l'administration de divers médicaments antiparasitaires; le traitement à un stade plus avancé avec de l'arsenic a moins de chances d'être efficace.

Méthode Jamot de lutte contre la maladie du sommeil

Malette Jamot
Mallette médicale ayant appartenu à Eugène Jamot 1932
Collections particulières, Musée des Troupes de Marine de Fréjus, Pharo : Exposition du Centenaire du Pahro (Marseille 2005)
GIPSE

Sa méthode, novatrice, visait à réduire le réservoir de parasites par le dépistage précoce des patients atteints et leur traitement par l'Atoxyl introduit en thérapeutique par Aires Kopke. Elle reposait sur la mise en place d'équipes médicales mobiles et l'assistance d'auxiliaires formés aux techniques du diagnostic biologique. Cette approche fut si efficace que la maladie du sommeil avait quasiment disparue d'Afrique Equatoriale Française (Congo, Gabon, Oubangui-Chari, Tchad) et du Cameroun en 1930. Appliquée par la suite à d'autres maladies, la méthode d'Eugène Jamot reste encore aujourd'hui la technique la plus efficace pour le contrôle de la trypanosomiase africaine.

 

Sources

- Allocution de l'ambassadeur de France au Cameroun

- Sociétés correspondantes

- Bulletin de la Société de Pathologie Exotique: [Milleliri JM. Jamot, cet inconnu.Bulletin de la Société de Pathologie Exotique. 2004, 97, 3 : 214-8.]

- "Moi, Jamot" Le vainqueur de la maladie du sommeil 1 vol. 210 p. Les presses de l'INAM. Edit. Plaisir 1987, par L. Lapeyssonnie

- Le vainqueur de la maladie du sommeil Eugène Jamot (1879-1937) (Extrait de thèse de doctorat en Médecine de Marcel Bebey Eydi, 1950.