Mathieu-Joseph-Bonaventure ORFILA (Mateu-Josep-Bonaventura Orfila i Rotger)

1787-1853

Médecin légiste français, chimiste, Doyen de la Faculté de Médecine de Paris

Français d'origine espagnole, il vint étudier la chimie à Paris avec Fourcroy, Vauquelin et Thénard. Après avoir reçu son diplôme de docteur en médecine, il ouvre un cours public en chimie qui obtient un succès considérable ; en effet les empoisonnements sont alors fréquents et justement Orfila s'occupe surtout de poisons, en créant une nouvelle science la Toxicologie.

Premières années en Espagne

Mateu Josep-Bonaventura Orfila est né le 24 avril 1787 à Mao sur l'ile Minorque. Il est le fils d'Antoni Orfila et de Susanna Rotger. Son éducation est faite par un moine espagnol, un prêtre languedocien et un immigré irlandais. Son père le destinait à une carrière dans la marine. Il donne quelques leçons de mathématiques puis en 1802 il s'embarque pour un voyage initiatique mais se tourne définitivement vers la médecine.

Il commence sa formation à Minorque avec un professeur allemand qui lui enseigne "les mathématiques élémentaires, la physique presque expérimentale, la logique et un peu d'histoire naturelle". En septembre 1804, il va étudier la médecine à la Faculté de Médecine de Valence, une des plus anciennes et des plus prestigieuses facultés d’Espagne, en juin 1805 il obtient un prix de chimie, puis se rend à Barcelone pour suivre les cours du Collège Royal de Chirurgie ainsi que des cours de chimie. Il publie ses premiers travaux sur la composition de l'acide muriatique (acide chlorhydrique), dans le Diario de Valencia.

Etudiant et professeur à Paris Orfila

En 1807, il se rend à Paris, muni d'une bourse pour étudier la chimie et la minéralogie, avec promesse d’une place de professeur à Madrid à son retour. Là il entre en contact avec des chimistes comme Nicolas Vauquelin (10763-1829) et Louis-Jacques Thénard (1777-1857). Avec l'aide d'un riche mécène qui lui permet d'utiliser son laboratoire, Orfila commence à donner des cours privés de physique et chimie. En 1808, il s'inscrit à la Faculté de médecine de Paris. Il suit le cours de chimie de J. Thénard au Collège de France et fréquente les cours du Museum d'Histoire Naturelle.

Après l'échec de Napoléon à Baylen, le 22 juillet 1808, vaincu par l’armée espagnole. Les Espagnols en résidence à Paris sont obligés de prêter serment au nouveau roi (Joseph Bonaparte) et, pendant l’automne 1808, Orfila et Lacoma doivent se rendre à la Préfecture de police, où ils sont inopinément mis en prison et où ils restent jusqu’à l’arrivée de Nicolas Vauquelin, habillé en membre de l’Institut, qui réclame Orfila et répond de sa bonne conduite.

Il passe son doctorat le 27 décembre 1811 avec une thèse sous le titre: "Nouvelles recherches sur l'urine des icteriques".

Peu après, dès 1812, il continue comme d'autres étudiants à donner des cours privés dans diverses matières scientifiques, et des cours de chimie à l'Athénée de Paris, succédant à son maître Thénard. Après les guerres napoléoniennes, qui lui occasionnèrent de nombreux problèmes, Orfila publie vers 1813, son "Traité des poisons tirés des règnes minéral, végétal et animal ou toxicologie générale" (une des principales œuvres de toxicologie de l'époque) qui lui ouvre les portes de l’ Institut de France (Académie des Sciences) en 1815 – dont il devient membre correspondant, mais il n’en sera jamais élu membre académicien, malgré tous ses efforts.

Il est nommé "médecin par quartier" du roi Louis XVIII qui lui accorde ainsi l’indépendance financière, ce qui, avec ses cours, lui permettait de rejetter une offre du gouvernement espagnol pour occuper une chaire de chimie à Madrid. Ses cours étaient devenus suffisament populaires pour être inclus dans les livres destinés aux étudiants en médecine.

En août 1815, il se marie avec avec la séduisante et cosmopolite demoiselle Anne-Gabrielle Lesueur, fla fille du sculpteur, qui, artiste comme lui, a toujours tenu un grand rôle dans sa vie. Orfila et sa femme fréquentent les salons parisiens et deviendra célèbre pour sa voix et ses chansons dans les salons.

En 1817, Orfila publie un manuel de chimie, d’après ses cours privés, qui fut aussi reçu très favorablement par la communauté scientifique.

Professeur et doyen de la Faculté de médecine de Paris

En 1818, il publie à Paris : Secours à donner aux personnes empoisonnées ou asphyxiées, suivis des moyens propres à reconnaître les poisons et les vins frelatés et à distinguer la mort réelle de la mort apparente.

Orfila est naturalisé français, le 24 décembre 1818, et il est nommé le 1er mars 1819 par la Commission d’Instruction Publique "Professeur de médecine légale" à la Faculté de Médecine de Paris.

Dans la fournée fondatrice de 1820, Orfila est nommé par le roi, membre de l’Académie de médecine, à l’âge de 33 ans, le plus jeune de la compagnie, en tant que "professeur de la Faculté de médecine de Paris", dans la section de médecine (alors qu’il est correspondant de l’Académie des sciences depuis 1815). La même année il est nommé expert auprès des tribunaux.

En 1821, il publie ses Leçons de médecine légale qui deviendront la source de son fameux Traité de Médecine Légale.

C'est en 1823 qu' il passe à la Chaire de chimie médicale en remplacement de son maître Vauquelin, et où durant trente années, il fera ses cours devant des amphithéâtres bondés. Il étudie en effet toutes les applications de la chimie à la médecine, ce qui ne s'était jamais fait avant lui.

En même temps il devient l'expert à la mode et il fait devant les tribunaux des expertises retentissantes; tout le monde connaît ses démêlés avec Raspail dans l'affaire Lafarge.

Doyen de la Faculté de médecine de Paris

Nommé Doyen de la Faculté de Médecine de Paris le 1er mai 1831, en remplacement d'Antoine Dubois, il sera reconduit dans sa fonction jusqu'au 28 février 1848. Orfila introduit de nombreux changements dans la Faculté de médecine, il réforme l'enseignement médical, rend obligatoire le Baccalauréat-ès-Sciences pour l'accession au titre de Docteur en Médecine, fait supprimer le titre d'Officier de Santé, rend plus difficile l'accès à l'agrégation et au professorat, astreint les étrangers aux mêmes examens que les Français et rétablit la discipline parmi les étudiants trop prompts à s'agiter.

Pavillons de dissection

En 1832, Orfila propose la construction de pavillons de dissection sur l’emplacement des jardins du couvent des Cordeliers devenus un jardin botanique. Il fit transférer ce dernier dans la pépinière du Luxembourg. En 1835, le percement de la rue Racine ayant emporté l’emplacement de l’Ecole pratique, on ne put construire que dix pavillons de dissection, trop petits pour accueillir tous les étudiants.

Le doyen crée donc, rue du Fer à Moulin, l'école anatomique de Clamart, ainsi nommé d’après l’hôtel de Clamart, dont les jardins avaient servi de cimetière aux morts de l’Hôtel-Dieu que les familles ne réclamaient pas, et qui était le lieu de dissection des étudiants de première année.

Musées

En 1835, Orfila installe dans l’ancien réfectoire des Cordeliers … un Musée d’anatomie pathologique auquel il fit donner le nom de Dupuytren, en raison du legs de 200.000 francs fait par ce chirurgien.

À l’exemple de Dupuytren, Orfila fait un don de 60 000 francs pour la création du Musée d'Anatomie Comparée, ouvert le 1er mars 1845 - aujourd'hui le "Musée Orfila".

En même temps il réorganise les écoles préparatoires, crée des hôpitaux et des cliniques de spécialités, Orfila est nommé en 1832 membre du Conseil général des hospices. L'année suivante, il deviendra président de l'Association de prévoyance des médecins qu' il avait fondée. Le 14 février 1834, il est aussi nommé membre du Conseil royal de l'instruction publique.

Il fut le Doyen le plus actif qu'ait connu la Faculté de Médecine de Paris et c'est certainement grâce à lui qu'elle est devenue la Faculté la plus importante de France.

Vers la fin de 1834, il est élu membre du Conseil municipal et du Conseil général de la Seine. La même année il est aussi fait chevalier de la Légion d'honneur.

Les affaires judiciaires célèbres Buste d'Orfila

Orfila fut membre de la Société de Chimie médicale de Paris, en même temps que Jean-Louis- Lassaigne. Le Doyen Orfila qui occupa la chaire de médecine légale et de chimie pendant vingt trois ans à Paris, était aussi un grand expert en toxicologie, ce qui lui valait d'être souvent cité comme témoin dans les procès d'empoisonnement.

Appareil de Marsh et arsenic

Orfila adopte l’appareil créé par James Marsh en 1836. L’appareil est adapté par Orfila aux recherches toxicologiques de l’arsenic et permet d'en détecter de très petites quantités. Orfila l’emploie pour trouver des traces du poison absorbé, dans le foie ou dans le sang. Avec l’appareil de Marsh, Orfila étudie l’absorption de poisons et écrit : "désormais le crime sera poursuivi avec succès jusque dans son dernier refuge".

En octobre 1838, il présente à l’Académie de Médecine ses travaux menés avec le Dr Couerbe sur l’arsenic contenu dans le corps de l’homme à l’état normal de santé. Ces travaux déclenchèrent une forte polémique d’antériorité avec Couerbe et une longue discussion avec d’autres chimistes et médecins. Finalement, Orfila doit reconnaître en 1841 qu’il s’est trompé dans ses expériences et qu’il n’existe pas d’arsenic dans le corps humain à l’état normal. Cette question sera l’une parmi beaucoup d’autres qui seront employées pendant les discussions des affaires judiciaires auxquelles Orfila sera associé en tant qu’expert.

L'affaire Mercier

Nicolas Mercier meurt le 22 décembre 1838. Son père est accusé de l’avoir empoisonné à l’arsenic. Les premiers experts ne trouvent pourtant aucune trace d’arsenic. Quelques mois après, Orfila est appelé comme expert et, avec l’appareil de Marsh modifié par lui-même, il trouve de l’arsenic dans les restes du foie de Nicolas Mercier. La défense appelle Francesco Rognetta (1800-1857), médecin italien républicain qui critique les méthodes d’Orfila. François V. Raspail (1794-1878), républicain, participe aussi au débat contre Orfila.

L'affaire Lafarge

Dans la célèbre affaire Lafarge, Marie Capelle est accusée d’avoir empoisonné son mari, M. Lafarge, maître de forges, propriétaire d’un château en Corrèze, mort le 14 janvier 1840 après avoir absorbé un gâteau préparé par son épouse.

Après trois expertises négatives, Orfila est appelé de Paris, par le ministère public de Tulle, pour une nouvelle autopsie du corps de Charles Lafarge. À la surprise générale il décèle par des manipulations, considérées aujourd’hui comme étant douteuses, une quantité minime d’arsenic dans le corps du défunt Monsieur Lafarge, constatation qui eut dû conduire tout droit Madame Lafarge à l'échafaud. L'avocat de l'accusée, Maître Théodore Bac, demande à Raspail, éminent chimiste à Paris, de réaliser une contre-expertise, mais celui-ci arrivera quatre heures après le verdict du jury… Il est trop tard pour démontrer une présence dite « naturelle » de l’arsenic dans tous les corps humains. L’arsenic confiné dans les os des individus est une réalité. Il jeta néanmoins le doute en proclamant "de l'arsenic… Mais on en trouverait partout, même dans le fauteuil du président !".

Le 19 septembre 1840, Madame Lafarge est condamnée aux travaux forcés à perpétuité. Elle est envoyée au bagne de Toulon; mais la dégradation de son état de santé conduira à commuer sa peine en détention criminelle à perpétuité. Transférée dans une prison de Montpellier, elle contracte la tuberculose et est libérée par le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte en 1852. Elle décèdera quelques semaines plus tard. Jusqu'à son dernier jour elle ne cessa de clamer son innocence. L'affaire reste une énigme judiciaire.

Dès lors, Orfila décide de ne plus participer comme expert aux débats médico-légaux devant les Cours d’assises. Orfila aurait déclaré on m'a demandé de dire si le corps de Lafarge contenait de l'arsenic et non de dire si Madame Lafarge était coupable ou innocente.

Dernières années

La FAC en 1848

Traité de Médecine Légale (Orfila)

"Le métier de Doyen n'était pas de tout repos pendant la période inter-révolutionnaire. Bien des étudiants faisaient preuve de mauvais esprit. Paresseux, mal élevés, turbulents, ils portaient barbe, bonnets rouges et sabots, et entraînaient dans les cours des ouvriers, des individus de toutes sortes dans un but de désordre. Affiliés à des sociétés secrètes, ils ne songeaient qu'à des appels à la révoltequand le professeur ne leur plaisait pas, ils chantaient "La Marseillaise" ou "A bas le mouchard". La sédition était constamment dans l'air"
R. Bouissoux dans Encyclopédie de la Médecine

Il n'en demeure pas moins que cette période fut celle de l'organisation rigoureuse des études médicales. Doyen pendant dix huit ans, jusqu'en 1848, Orfila, malgré l'agitation pittoresque de quelques étudiants fit une œuvre durable: il instaura, entre autres, des cours de chimie et de dissection en amphithéâtre, sanctionnés par des examens difficiles, dès la première année des études, et rendit obligatoire la présence des étudiants aux consultations hospitalières.

Mais en 1848, à la suite de l'affaire Lafarge relatée ci-dessus, Raspail étant devenu membre du Gouvernement provisoire, Orfila fut aussitôt destitué et remplacé comme Doyen par Bouillaud, malgré la protestation unanime des étudiants. Bouillaud se montra odieux et fit nommer une commission pour examiner les comptes de gestion d'Orfila; la Commission n'ayant pu constater que la scrupuleuse probité de ce dernier, Bouillaud fut à son tour révoqué.

Elu de nouveau à la section permanente du Conseil supérieur de l'Instruction Publique le 29 juillet 1850 jusqu'au 9 de février 1852. Orfila ne fut pas mentionné dans la suivante liste du Comité d’instruction publique de 1852.

Orfila, inconsolable de sa chute, mènera dorénavant une vie misérable et mourra dépressif le 12 mars 1853, à l'âge de 66 ans. Il est inhumé au cimetière du Montparnasse à Paris.

Avec lui disparaît une des plus grandes figures de la Faculté de Médecine de Paris et incontestablement son plus grand Doyen. Orfila fut le véritable créateur de la chimie médicale.