Miguel Serveto da Villanova alias Michel SERVET

1511-1553

Médecin et théologien espagnol

Au XVIe siècle, sous la double influence des progrès anatomiques et de l'affranchissement de la pensée, Miguel Servet, esprit attentif et éclairé est célèbre par ses écrits hétérodoxes et par sa fin tragique.

Michel Servet est né le 29 septembre 1511, à Villanueva de Sigena dans la province de Huesca, en Aragon (Espagne). Ce qui explique qu'il est parfois connu sous le nom de Miguel de Villeneuve. Son père Don Antón Serveto Meler est notaire à Villanueva de Sijena, et sa mère Doña Catalina Conesa. Miguel Servet eut deux frères Pedro et Juan.

Il commence à étudier avec son père et avec les moines de Sigena, ensuite il complètera sa formation au Château de Montearagon de Huesca où il va augmenter ses connaissances en langues classiques (latin, grec et hébreu), histoire, géographie, mathématiques et religion. Toulouse, Paris, Lyon furent d'autres lieux de référence pour les études de Servet au long de sa courte vie.

Voyage en Europe

Vers 1530, au service de Frére Juan de Quintana, savant religieux espagnol qu'il avait connu lorsqu'il était écolier, et qui fut confesseur de Charles-Quint, il voyagea en Italie et en Allemagne et fit partie du cortège pour le couronnement de Charles-Quint, comme roi de Lombardie, à Bologne, le 2 février 1530. Le Pape organisa un des plus magnifiques spectacles digne de la splendeur médiévale. Servet fut impressionné par le spectacle et écrivit: "Con mis propios ojos he visto cómo le llevaban (al Papa), con pompa sobre los hombros de los príncipes, haciendo con la mano el signo de la Cruz, adolado por el pueblo puesto de rodillas y sintiéndose afortunado todo aquel que le podía besar o tocar". Cet évènement marqua en grande partie sa vision du christianisme. Miguel Servet

Déni du dogme de la Trinité

Plus tard il fut invité par Ecolampadio à Bâle et plus tard encore il se rendit à Strasbourg et Haguenau (ville en Alsace alors germanique), il publie en 1531 son premier ouvrage antitrinitaire : "De Trinitatis erroribus" - Les erreurs de la Trinité - livre qui servit à acumuler les haines et déclencher vingt-huit ans plus tard les persécutions et son martyr. "L'essence divine est indivisible... il ne peut y avoir dans la Divinité diversité de personnes", écrit-il. Il publiera encore à Haguenau le "Dialogaruium de Trinitate Libri duo" qui poussa à l'action sa requête pour l'Inquisition Espagnole.

Puis le père Quintana mourut ce qui l'entraîna à prendre ses distances avec l'Allemagne en plus du rejet qui se manifesta dans les Eglises réformées.

En 1535, Lyon, important centre culturel en France, le vit arriver avec son nouveau nom. Maintenant il est Michel de Villaneveuse. Il se présente à la fameuse imprimerie des frères Treschsel et leur offrit ses services, qui furent acceptés, comme correcteur. Mais rapidement il se rendirent compte de l'immense érudition de cet étranger et en 1535 le chargèrent de la publication et des anotations de la Géographie de Ptolomée, ce qu'il fit à la perfection, corrigeant de nombreuses erreurs, jusqu'à celles de Ptolémée et de son traducteur latin Wilibald Pickheimer, l'enrichissant de notes d'une grande valeur scientifique et littéraire.

La Réforme est - sans doute - destinée à ceux qui comptent sur un appui suffisant pour la réaliser et non à ceux qui vivent en théologien nomade et isolé. En travaillant à l'imprimerie il fit la connaissance de Symphorien Champier (1471-1538), un ami de Rabelais et un des médecins humanistes les plus connus de son temps, initié par lui aux secrets de l’art, et prenant dès lors du goût pour la médecine.

Grâce à son influence, en 1537, Servet se rendit à Paris pour étudier la science d'Hippocrate. Il eut pour professeurs Fernel, Andernach et Silvius, et disséqua au côté de Vésale. A la même époque, il traduit en latin l'œuvre médicale des grecs.

Il publie également son opuscule : "Syruporum Universa Ratio ad Galeni" (sur la thérapeutiques par les sirops). Il y juge et il propose des arômes plus agréables aux médicaments et tente d'éviter les méthodes thérapeutiques en usage. Mais ce petit livre inoffensif lui causa des problèmes : un jugement dont il sortit absout. Ce qui paraît certain aux biographes les plus chevronés c'est que Servet n’y a jamais été qu’écolier; il n’a jamais été bachelier, ni licencié, ni docteur de l’École de médecine de Paris, laquelle École le chassa de son sein comme se livrant à l’astrologie judiciaire, à la divination, et professant publiquement cette science aussi fausse que dangereuse.

Les pérégrinations de Servet continuèrent et après sa marche sur Paris, il retourna à Lyon où il signa un contrat avec les éditeurs de la Bible de Santès Pagnini, dont on préparait dans cette imprimerie une nouvelle édition, laquelle parut, en effet, en 1542.

Après avoir passé un an peut-être à Charlieu, près de Lyon, ancienne ville romaine du département de la Loire, au bord du Sornin, le mystique rêveur prit pour résidence définitive la ville de Vienne, en Dauphiné, attiré là par l’archevêque Pierre Paulmier, dont il sera le médecin, qui le protégeait et qui finit par l’abandonner.

C’est très probablement de Vienne qu’il se rendit à Padoue, pour prendre le grade de docteur en médecine.Christianismi restitutio Mais sa tranquilité à Vienne ne pouvait pas durer longtemps, et c'est dès lors que le danger devenait plus réel. Son rival épistolaire n'est rien que moins que Calvin lui-même, tout-puissant en Suisse. Calvin publia en 1536, "Christianae Religionis Institutio" - Institution de la religion chrétienne - . Servet réplique en 1553 en faisant imprimer son fameux livre in-8o de 734 pages, à Vienne (Dauphiné), dans un atelier secret, par Balthazar Arnollet son fameux livre, "Christianismi restitutio" - la Restauration du christianisme - . Servet en envoya un exemplaire à Calvin.

Poursuivi par l'Inquisition

Dénoncé par un ami de Calvin, comme auteur du livre qui fait scandale, il est poursuivi en France par l'Inquisition catholique pour avoir correspondu avec Calvin. Ses détracteurs l'accusent en outre d'aller jusqu'à nier la divinité du Christ.

Il est arrêté, emprisonné puis condamné au supplice du feu. La fuite seule put le sauver. L’exécution de l’arrêt n’eut pas moins lieu par contumace, le 17 juin 1553, à Vienne, sur la place La Charnève.

Fuite, procès et condamnation à Genève

Servet, par une imprudence inqualifiable, se réfugie du côté de Genève où il fut aussitôt reconnu et arrêté par les calvinistes; il avait échappé à l’Église de Rome; il va étourdiment au-devant de l’Église calviniste, au-devant de Calvin lui-même, son ennemi implacable. Servet bucherLui, huguenot, il avait été condamné aux flammes par les catholiques, et leur ayant presque miraculeusement échappé, il va tomber entre les mains des protestants qui le guettaient depuis longtemps, et qui cette fois obtinrent contre lui cet arrêt :

"Toy, Michel Servet, condamnons à debvoir estre lié et mené au lieu de Champel, et là debvoir estre à un piloris attaché et bruslé tout vifz avec ton livre, tant escript de ta main que imprimé, jusques à ce que ton corps soit réduit en cendres; et ainsi finiras tes jours pour donner exemple aux autres qui tel cas vouldroient commettre".

Son procès donna lieu à un tel affrontement entre calvinistes et anti-calvinistes que Calvin, qui assumait l'accusation, ne put atténuer la peine demandée par les anti-calvinistes du "Grand Conseil de la république de Genève" : Servet fut condamné au bûcher; brûlé vif comme hérétique avec deux exemplaires de son livre, à Champel près de Genève, le 27 octobre 1553. Une partie des 998 livres qui formaient le reste de l'édition fut détruite par la suite.

Le supplice fut épouvantable, les fagots destinés à brûler l’hérétique étaient en trop petit nombre, et encore humides de la rosée du matin; ils flambèrent difficilement; pendant plusieurs heures le malheureux Servet ne put mourir, criant : Servet in memoriam"O malheureux que je suis, qui ne peux terminer ma vie! Les deux cents couronnes que vous m’avez prises, le collier d’or que j’avais au cou et que vous m’avez arraché, ne suffisaient-ils pas pour acheter le bois nécessaire à me consumer!… O Dieu éternel, prends mon âme!… O Jésus, Fils du Dieu éternel, aie pitié de moi!…"

Cet acte d'intolérance suite à l'Inquisition, qu'elle reprochait justement aux catholiques romains - et contraire à l'esprit de la Réforme - sera condamné par les héritiers spirituels de Calvin.

En 1903, une stèle expiatoire a été érigée, à l’initiative des calvinistes de Genève, à Champel, sur le lieu du bûcher avec ces mots:
"Fils respectueux et reconnaissants de Calvin, notre grand réformateur, mais condamnant une erreur qui fut celle de son siècle et fermement attachés à la liberté de conscience selon les vrais principes de la Réformation et de l'Evangile, nous avons élevé ce monument expiatoire".

La petite circulation du sang

L'ouvrage "Christianismi Restitutio" qui fit condamné Miguel Servet, est considéré comme le plus rare de tous les livres connus. Il n'y en aurait que deux exemplaires, un qui est à la Bibliothèque de Vienne en Autriche, l’autre qui se trouve à la Bibliothèque Nationale de France (ancienne Bibliothèque Royale).

Dans l’histoire de la médecine, ce qui a fait la célébrité et la renommée de cet ouvrage théologique, ce sont les pages 169 à 171 qui donnent des détails anatomiques et physiologiques qui prouvent sans conteste que Miguel Servet avait une idée très-nette et presque complète de la circulation pulmonaire ou petite circulation, et que, s’appuyant sur ce passage, on a, depuis plus de deux siècles, déclaré Servet comme l’auteur immortel de cette grande découverte, qui devait conduire à la compréhension de la grande circulation.

Il contesta le dogme de Galien et affirma l'imperméabilité de la cloison inter-ventriculaire dans le cœur normal: "Cette paroi médiane ne se prête à aucune communication et ne permet pas au sang de passer", notion anatomique fondamentale qui sera reprise par Vésale deux ans plus tard.
Il perçoit l’hématose pulmonaire "…l'air mélangé avec le sang, lequel est envoyé des poumons vers le cœur via les veines pulmonaires; le mélange ayant donc lieu dans les poumons. La couleur vive est conférée à l'esprit sanguin par les poumons et non par le cœur" et "le sang noir se transforme en sang rouge au niveau des poumons grâce à une circulation du sang."
Ayant constaté que les poumons reçoivent par l'artère pulmonaire une quantité de sang supérieure à leurs besoins nutritifs, il en conclut, qu'après s'y être mélangé à l'air, le sang doit nécessairement en ressortir et il décrit la petite circulation : "A partir du ventricule droit, le sang se dirige dans un long conduit vers les poumons où il est épuré; il devient plus clair et passe de la veine artérieuse dans l'artère veineuse. C'est ainsi que l'esprit vital se répand du ventricule gauche du cœur dans les artères du corps entier."

Or, comme A.Chéreau a tenté de le démontrer dans une lecture faite à l’Académie de médecine, le 15 juillet 1879 (Histoire d’un livre : Michel Servet et la circulation pulmonaire), Servet n’aurait fait qu’exposer la théorie révélée par Realdo Colombo, maître d'anatomie à Padoue de 1546 à 1551.

En effet, nous savons aujourd'hui que sa description de la petite circulation, présente une similitude surprenante jusque dans les moindres détails avec celle d’Ibn Al-Nafis. Les orientalistes modernes considèrent que, selon toutes probabilités, Servet connaissait les travaux d’Ibn Al-Nafis grâce aux traductions d’Andrea Alpago (mort après 1522). En effet, le neveu de ce dernier, Paolo Alpago (mort vers 1553) qui continua son œuvre, fut étudiant à Padoue entre 1527 et 1541 et fit connaître le manuscrit d’Ibn Al-Nafis. L’ouvrage fut trouvé par un médecin égyptien, le docteur Al Taoui dans la bibliothèque nationale berlinoise de Prusse, comme il le dit dans sa thèse écrite à l’université de Fribourg en 1924. Servet est cependant le premier européen à affirmer que le "souffle" des anciens est en rapport avec les battements du cœur et la circulation pulmonaire

 

HISTOIRE DE LA CIRCULATION
Les Anciens n'ont jamais eu une idée correcte de la circulation et de son fonctionnement, à l'exception d'Ibn al-Nafis (1210-1288).
EN éGYPTE:
"Métou": "Si tu examines un gonflement des vaisseaux sur la peau d'un membre et que son aspect augmente, devient sinueux et serpentiforme alors tu diras le concernant : c'est un gonflement des vaisseaux " (Papyrus d'EBERS ( v 1550 avant J.C.)
EN GRECE :
Deux sortes de sang ( artériel et veineux ) s'écoulent sans se mélanger, distribués depuis le foie et le coeur.
- pour HIPPOCRATE 460-375 av J.C.: "un fleuve qui arrose tout l'intérieur du corps" . "Quand les fleuves sont à sec, l'homme est mort "
- pour GALIEN 130-200 ap JC: Les artères transportent "l'esprit vital". Le coeur reste au centre du système, il siège dans l'âme, et n'est jamais conçu comme ayant un rôle moteur.
Ce schéma restera le dogme et fera autorité pendant 15 siecles !
EN PAYS D'ISLAM:
- IBN AL-NAFIS 1210-1288, réfute le dogme galénique sur la communication interventriculaire et décrit clairement le concept de la circulation pulmonaire:
" Quand le sang a été raffiné dans cette cavité ( ventricule droit ), il lui faut passer dans la cavité gauche, où se forme l'esprit vital. Cependant il n'existe, entre ces deux cavités, aucun passage. A ce niveau la substance du coeur est particulièrement solide et il n'existe ni passage visible... ni passage invisible pouvant permettre le transit de ce sang, comme l'a cru Galien. Bien au contraire la substance est épaisse et il n'y a pas de pores perméables . Donc ce sang, après avoir été raffiné, doit nécessairement passer dans la veine artérieuse, aller ainsi jusqu'au poumon ... s'y mélanger avec l'air... puis passer dans l'artère veineuse pour arriver dans la cavité gauche du coeur ..."
Par malheur l'oeuvre de ce génial précurseur ne fut révélée en Europe que 260 ans après sa mort, par la traduction en latin, en 1547, faite par le médecin italien Andrea Alpago de Belluno qui avait séjourné à Damas.
EN EUROPE:
- André VESALE (1514-1564), publie en 1543 à Bâle une première édition "De Humani Corporis Fabrica" dans laquelle il n'ose pas contredire Galien: il admet que le sang "s'infiltrait abondamment au travers du septum, du ventricule droit vers le gauche" Il publie une deuxième édition en 1555 dans laquelle il décrit la circulation d'une façon semblable à celle d'IBN AL-NAFIS, en s'interrogeant: "Je ne vois toujours pas comment la quantité de sang la plus infime pourrait être transfusée à travers la substance du septum, du ventricule droit vers le gauche"
- Realdo COLOMBO 1516-1559, publie le "De Re Anatomica" à Venise en 1558. Il y développe les idées qu’il avait enseignées sur la petite circulation. Colombo fut plus formel que Servet sur l’absence de passage à travers la cloison inter-ventriculaire et n’évoqua pas le double passage dans l’artère pulmonaire.
- Michel SERVET 1511-1553 Il reprend la thèse de Realdo COLOMBO.
- Andrea CESALPINO 1519-1603, parle le premier de "circulation" (1559) et de mouvement perpétuel. Il attribue au cœur une action essentielle ( et non au foie). Il entrevoit l'idée d'une grande circulation.
- Fabrice D'ACQUAPENDENTE 1537-1619, dans "De Venarum Ostiolis" il décrit minutieusement les valvules veineuses qu'il étudie depuis 1574 (déjà observées par Carpi et surtout Canani dès 1547).
- William HARVEY 1578-1657, en 1628 Harvey publie à Francfort "Exercitatio Anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in animalibus" Il donne un compte rendu précis des différentes étapes de la circulation. Il en fait la démonstratiopn expérimentale (ligatures), pharmacologique et physique (pressions différentes dans les deux circulations).
- Après HARVEY il y eut: MALPIGHI, VIRCHOW, ASELLI, PECQUET, BARTHOLIN, RIOLAN, HALES, DOPPLER

 

Indépendamment de l'importance de ses découvertes philosophiques ou de son travail de polémiste religieux, Miguel Servet se distingue comme martyr de la liberté de pensée et de la liberté d'expression des idées, quelles qu'elles soient.

Œuvres et écrits de Miguel Servet :


De Trinitatis Erroribus.1531
Dialogorum de Trinitate libri duo.1531
Geografía de Ptolomeo. 1535,1541
In Leonardum Fuchsium Apologia. 1536
Syruporum universia ratio. 1537
Disceptatio pro-astrologia. 1538
Biblia Sacra. 1542, 1545
Christianismi Restitutio. 1553

 

Sources

- Servetus International Society: all about Michael Servetus

- Villanueva de Sijena - Michael Servetus Town

- Miguel Servet