Glossaire

La Révolution féodale en Vivarais

(d'après Histoire du Vivarais par Jean Régné Tome premier page 479-503)

La terre et l'épée sont les deux grands principes sur lesquels reposait la société du Moyen Age.

Origine et caractère de la Féodalité en Vivarais :


• Le comté de Viennois est l'objet de prétentions opposées des comtes de Bourgogne, des Dauphins comtes d'Albon, des archevêques de Vienne sur les principaux fiefs du Haut-Vivarais.
• Le comté de Valentinois : les comtes du comté de Valentinois dominent sans rivaux toute la section comprise entre l'Eyrieux et le Doux. On constate le déclin de la puissance des archevêques de Lyon sur les bords du Doux. Le titre du comte de Vivarais s'éteint avec Éribert, jusqu'à ce qu'il revive dans celui de comte de Viviers porté par les évêques au XIVe et XVe siècle.
• La lutte exista surtout vive, longue, acharnée, dans les rangs inférieurs du baronnage. Par la nature de sa constitution, une société comme celle du Moyen Age, qui reposait toute entière sur ces deux principes, la terre et l'épée, devait à son origine engendrer la guerre, et la plus terrible de toutes, la guerre sociale.

Le fief étant la confusion du droit de propriété et du droit de souveraineté, pour atteindre au pouvoir, on s'attaqua de prime abord à la propriété. Ainsi l'ambition et la cupidité armèrent à la fois les petits comme les grands feudataires, les uns contre les autres. On se battit partout et pour le plus léger prétexte; on se battit pour venger une injure privée, pour punir le refus d'hommage d'un vassal, pour s'affranchir d'un droit ou d'une servitude onéreuse; on se battit pour disputer le péage d'un pont, d'un chemin, d'une rivière, etc. Mais sous des motifs frivoles en apparence, la guerre conserva toujours un but réel et sérieux, qui était d'accroître l'importance du fief. Ce fut l'ultimo ratio qu'on invoqua en toute rencontre, dès qu'on voulut s'agrandir aux dépens du voisin, se débarrasser d'un rival ou affermir sa domination par la ruine de son ennemi; Dès lors toute sécurité disparut. Le faible fut livré à ma merci du fort. Pour dormir en pais, chaque seigneur eut besoin de se sentir à l'abri des hautes murailles dont il avait entouré sa demeure convertie en un sombre donjon. En 864, c'est à dire au milieu des ravages exercés par les Normands, Charles-le-Chauve avait défendu aux seigneurs d'élever des châteaux. Moins d'un siècle plus tard, toute la France en était couverte. Ces forteresses féodales, qui dans l'esprit du prince, ne présageaient que malheurs et servitude au pays, furent en effet, d'un faible secours pour arrêter l'invasion des barbares, tandis qu'elles devinrent le principal point d'appui des passions anarchiques qui bouleversaient alors la société. En se retranchant ainsi derrière de fossés et des murs infranchissables, l'audacieux baron ne cherchait le plus souvent que le droit de tout braver, la liberté de tout faire et l'impunité pour ses brigandages et pour ses crimes.

D'un autre côté, comme l'abus de la force appelait la résistance, le besoin même de se prémunir contre des hostilités et des surprises incessantes fit que l'usage de fortifier les diverses agglomérations d'habitations devint général; les bourgs et les villages eurent une enceinte de murailles; les monastères et la plupart des églises furent munis de défenses, et le pays tout entier présenta l'aspect d'un immense camp retranché. Le Vivarais, cette terre de montagnes , de rocs et de torrents, qui conserve toute fraîche encore l'empreinte de la fureur des volcans qui l'ont bouleversée jadis, offrit à la féodalité naissante un théâtre tel qu'il le lui fallait pour que son génie turbulent pût s'y développer à l'aise. Aussi n'est-il pas de contrées où la violence des luttes de cette époque ait laissé plus de traces. On peut aisément y reconnaître partout la direction que la nécessité de la défense a imprimée aux diverse constructions; partout l'on remarque la tendance des populations à déserter la plaine pour s'établir sur les hauteurs; on voit les hameaux, les habitations isolées se grouper ensemble pour former un bourg ou un village nouveau fermé de murs et par conséquent plus facile à défendre, ou venir s'abriter sous la protection des créneaux du manoir seigneurial. Il semble qu'aucune position avantageuse pour la défense ou pour l'attaque n'ait été négligée; chaque colline eut sa tout placée comme en vedette, chaque rocher escarpé supporta un château fort. Et lorsque aujourd'hui l'on contemple les ruines imposantes et pittoresques de tous ces vieux castels, on ne sait vraiment davantage ou les richesses variées de la nature qui en a fourni le site, ou les ressources de l'art qui s'est évertué à en rendre l'assiette (la conception) plus forte et l'accès plus périlleux :

Les uns comme Séray, Rochefort, Pierregourde, Saint-Alban, Mirabel, Sampzon le géant de ces forteresses féodales, Brison ou la Tour du Diable, dressaient leurs lourdes et massives construction au point le plus culminant d'une montagne qui dominait au loin sans être dominée elle-même; les autres étaient suspendus comme un nid de vautour sur la corniche des rochers, au bord d'un abîme, où l'homme le plus intrépide ne saurait abaisser la vue sans saisissement et sans frayeur: ainsi Crussol, Latourette, Rochebonne, Rochemaure, Balazuc, Borne, etc. La situation de quelques-uns rendait plus saillant encore l'antagonisme social dont ils étaient l'expression, en les faisant ressembler à deux adversaires en champ clos qui se mesurent de l'œil avant d'en venir au combat; tels étaient le vieux chastel de Vallon et le donjon de Salavas, assis l'un en face de l'autre, séparés seulement par la rivière Ardèche dont ils se disputaient le passage; ou bien le château de la Tour-Brune et celui de la Tour-Blanche qui se partageaient la souveraineté de la petite terre d'Hayras (Arras), sur les bords du Rhône, rivaux, dès l'origine, de fait aussi bien que de nom, engagés, dans de continuelles luttes jusqu'à ce que , vers la fin du quinzième siècle les barons de Tournon, déjà possesseurs de la Tour-Blanche, éteignirent le débat en conciliant les prétentions opposées par l'acquisistion de la seigneurie de la Tour-Brune. Nous pourrions citer encore le château de Meyras, plus vulgairement connu sous le nom de château de Ventadour; celui d'Aubenas, de Vogüé, du Pouzin, de Beauchastel et plusieurs autres, postés sur les contreforts des montagnes, d manière à commander l'entrée d'une vallée, le gué d'une rivière, ou le passage des routes fréquentées qui serpentaient à leur pied : position recherchée de préférence par les barons di moyen âge, mais dont ils abusaient aussi quelquefois pour détrousser et rançonner les passants, témoin ce Roger de Clérieux, sire de Glun et de Châteaubourg, qui selon les chroniqueurs contemporains "estoit criez de desrober les pélerins et les marchans et chargoit de trop de mauvaises coustumes tous ceux qui par le chastel ou près du chastel passoient."

Quoique l'institution des péages fut généralement regardée alors comme un attribut de la puissance royale, il n'y eut pas un petit seigneur qui ne se crût le droit d'en établir sur ses terres. Il y en eut tant qu'on ne pouvait parcourir plus de deux lieues sur la route qui longeait le Rhône, sans être arrêté par une barrière de ce genre et avoir à solder le tribut exigé pour obtenir le libre passage. Chaque seigneur posté le long du fleuve exerçait ce droit sur le Rhône. Les routes de l'intérieur offraient le même aspect, les barrières étant parfois plus nombreuses et plus rapprochées. Quant aux taxes, elles variaient bautour de chaque château et changeaient suivant le caprice du nouveau maître.

On comprend qu'avec tous ces obstacles mis à la circulation et en l'absence de toute sécurité, il n'existât, au onzième siècle, guère plus de commerce que de communications.

Les conditions des populations rurales étaient détestables;

Le peuple d'alors comprenait :


• 1° Les serfs de corps ou serfs proprement dits, portant encore la marque plus ou moins effacée de l'esclavage antique; ces serfs appartenaient corps et bien à leurs maîtres qui pouvaient disposer d'eux, les vendre, les châtier toutes les fois, dit Beaumanoir, "qu'il lor plest, soit à tort, soit à droit, qu'il n'en est tenus à répondre fors à Dieu, " en sorte que le pouvoir absolu du maître sur son serf ne reconnaissait d'autres limites que elles de l'humanité ou de la charité chrétienne.
• 2° les serfs de mainmorte ou serfs de la glèbe, libres de leur personne sur laquelle le seigneur n'avait aucun pouvoir après qu'ils avaient acquitté les cens et rentes qu'ils lui devaient, mais attachés à la terre dont ils suivaient le sort : il leur était interdit de quitter la seigneurie, de se marier avec une personne qui ne lui appartînt pas, sans indemniser le seigneur; ils n'avaient que l'usufruit de leur bien et à leur mort le seigneur seul en héritait. Aussi disait-on d'eux, qu'ils vivaient en hommes libres et mouraient en esclaves.
• 3° Enfin les tenanciers communément désignés sous le nom de vilains, jouissant d'une liberté individuelle plus étendue, ayant la faculté d'acquérir, de succéder, de disposer de leurs biens dans certaines limites, d'ester en justice, etc. mais obligés par leur tenure à des impôts ou redevances, à des travaux ou services corporels réputés ignobles et qu'on appela corvées, services de vilains, comme de porter l'eau, d'abattre le bois, de scier les blés, de faucher le foin, de vendanger, de curer les fossés du château, de faire ou réparer les chemins, etc. Les impôts et la durée des services étaient presque toujours variables, c'est pourquoi ils s'appelèrent taillables et corvéables à merci.

Telle fut, en Vivarais, la condition de la masse du peuple de la campagne comme des artisans des villes; à l'exception des citoyens de la ville épiscopale qui s'étaient maintenus dans la liberté romaine.

Cependant l'ensemble de ces conditions s'adoucit progressivement et notablement à partir du Xe siècle. Les serfs de corps avait quasiment disparu entre le XIe et le XIIIe siècle; la servitude la mainmorte subsistait quant à elle, mais restreinte. C'est ainsi que peu à peu leur fut rendu le sentiment de la personnalité et de la dignité humaine, l'inviolabilité de la famille, une demeure fixe, une existence assurée sur le sol dont ils dépendaient, le droit enfin d'association permit les groupements de familles serves autour de l'église, de la paroisse, puis de la commune, pour s'élever jusqu'à la possession et l'indépendance civile.
Il n'en était pas de même pour les tenanciers libres, dont le nombre s'était accru des serfs ayant obtenu leur affranchissement. Vers le quinzième siècle , les deux tiers des seigneuries du Vivarais demeuraient encore soumises à la loi de la taillabilité indéfinie.

Jugement sur la Féodalité :

Le code de la féodalité avait prévu et réglé d'avance les diverses relations du suzerain avec le vassal, du vassal avec le vavasseur, du vavasseur avec le serf. Que beaucoup de choses nous choquent aujourd'hui dans ces institutions et dans ces mœurs éloignées de nous, cela n'a rien d'étonnant. Mais lorsqu'on envisage dans son majestueux ensemble, cette puissante organisation qui s'étendait à tout, qui embrassait dans ses divers degrés l'État, la famille, comme l'individu, dirigeant et réglant tout, politique, guerre, justice, propriété, fonction de la vie civile, habitudes de la vie privée, créant pour son usage une jurisprudence, un droit des gens, une tactique militaire, une architecture même, tout un code de lois et coutumes, on se prend quelquefois à douter qu'une organisation aussi vaste, compliquée de tant de rouages divers, ait pu jamais fonctionner de manière uniforme, régulière et constante.