Arétée (Ἀρεταῖος) fut un médecin grec de l'Antiquité dont la biographie n'est pas connue. Né en Cappadoce (Anatolie Centrale - actuelle Turquie). On ne peut dire avec certitude si Arétée de Cappadoce, beaucoup moins connu qu' Archigène déApamée (le premier utilisateur du spéculum), Rufus d'Ephèse (qui décrira la peste et la lèpre), Dioscoride l'expert des herbes aromatiques), est le plagiaire ou l'inspirateur d'Archigène. Il est cité par Aetius et Paul d'Egine auxquels il était donc antérieur.
Quelques indications éparses dans son œuvre donnent à penser qu'il séjourna à Alexandrie en Egypte, et s'installa par la suite à Rome vers la fin du règne de Néron selon les uns, ou un peu plus tard, du temps de Trajan ou Hadrien, selon d'autres. Son nom n'est pas mentionné avant le VIe siècle. Son œuvre a été conservée cependant en grande partie sous forme du Traité des signes, des causes et de la cure des maladies aiguës et chroniques (traduit par Laennec).
Le traité d'Arétée est divisé en huit livres, intitulés :
deux livres : De causis et signis acutorum morborum
deux livres : De causis et signis diuturnorum morborum
deux livres : De curatione acutorum morborum
deux livres : De curatione diuturnorum morborum
Il a été publié pour la première fois en latin par J.-P. Crassus, à Venise, 1552, avec Rufus d'Ephèse; la première édition grecque est celle de Goupyl, Paris, 1554, l'imprimeur d'Henri II. Dès 1567, l'œuvre d'Arétée prenait place parmi celle des "Princes de l'art médical" dans une édition latine publiée à Bâle; c'était rendre justice à l'un des plus grands médecins de l'Antiquité, trop longtemps méconnu. Plus tard Boerhaave consolidera encore sa renommée en qualifiant son œuvre de "monument d'or de la lmédecine". En 1723, J. Wigan publia une magnifique édition critique gréco-latine, en un vol. in-fol., à Oxford. L'édition de Boerhaave (Liège, 1731) est moins estimée; celle de Kühne (Leipzig, 4828) n'est qu'une réimpression; enfin, la meilleure de toutes est celle d'Ermerins, Utrecht, 1847, in-4. Cet ouvrage a été traduit en français, en allemand et en Italien. (Dr.L. Hn.).
Observateur et scientifique rigoureux
Dans un style à la fois ferme et nuancé, Arétée fait une excellente description de la plupart des entités morbides connues de son temps. Il s'en tient à des cadres nosologiques précis, définis presque exclusivement par leurs caractères cliniques; il est ainsi inévitablement conduit à ériger certains syndromes fonctionnels au rang de maladies autonomes. Cette tendance se maintiendra d'ailleurs pendant plus de quinze siècles encore, jusqu'à ce que la médecine parvienne à dégager la notion de spécificité lésionnelle et étiologique. Dans ce domaine même, Arétée apparaît souvent comme un précurseur. Son don de l'observation joint à sa grande logique scientifique lui font aborder la physiologie pathologique de certaines affections ou de leurs symptômes. Si quelques unes des explications qu'il avance nous paraissent aujourd'hui manifestement erronées, plusieurs d'entre elles se signalent par leur originalité et par leur clairvoyance; toutes, en tout cas témoignent d'un effort louable pour éclaircir la pathogénie des faits en dehors des théories préconcues et des systèmes étroits ou arbitraires.
Arétée avait déjà une bonne connaissance de l'anatomie; pour s'en convaincre il suffit de remarquer qu'il a coutume de commencer chaque chapitre par une courte description anatomique de la partie dont il va décrire les maladies.
Entités morbides connus d'Arétée
Complétant l'admirable traité hippocratique du Mal Sacré (sur l'épilepsie), Arétée consacre un chapitre à l'épilepsie, à ses manifestations paroxistiques et à leur aura prémonitoire.
Il rapporte ailleurs le cas d'une maladie encore plus rare. "Il y a, dit - il, une espèce de manie dans laquelle les malades se déchirent le corps, et se font des incisions dans les chairs, poussés à cette pieuse extravagance par l'idée de se rendre plus agréables aux dieux qu'ils servent, et qui demandent d'eux ce sacrifice. Cette espèce de fureur ne les empêche pas d'être sensés sur d'autres sujets: on les guérit tantôt par le son de la flute, tantôt en les enivrant; et dès que leur accès est passé, ils sont de bonne humeur, et se croient initiés au service de Dieu. Au reste, continue - t - il, ces sortes de maniaques sont pâles, maigres, décharnés, et leur corps demeure long et affaibli des blessures qu'ils se sont faites".
Il dresse un tableau tout aussi complet du tétanos et de ses contractures. Il connaît les états de contraction et de dilatation des pupilles. Ses vues sur l'ictus apoplectique sont d'une grande exactitude : comme Cassius Felix vers la même époque, il indique déjà les raisons anatomiques qui localisent l'hémiplégie du côté opposé à celui de la lésion causale et il invoque expressément l'entrecroisement initial des éléments nerveux. Il entrevoit certains effets anatomo-cliniques de la compression ou de la rupture de la veine cave inférieure. Il fait une place notable aux syncopes cardiaques, aux céphalées, aux vertiges, aux affections du foie et de la vésicule, aux ictères, à la lithiase réno-vésicale, aux paralysés, aux psychoses d'extériorisation à type maniaque et de concentration à type mélancolique, au priapisme et au satyeriasis, à la peste bubonique, à la lèpre, aux angines ulcéreuses, dont la variété "syriaque" préfigure déjà la "diphtérite" de Bretonneau, aux syndromes dysentériques et cholériformes, au volvulus de l'intestin e aux iléus de l'enfant, aux affections utérines enfin.
Première description du diabète par Arétée
On vante souvent l'excellent tableau qu'il a dressé du diabète sucré avec sa polyurie, sa polydypsie, son amaigrissement, son évolution possible vers le collapsus. Il ne lui a manqué que de reconnaître la glycosurie, découverte qui était réservée au médecin hindou Sucruta, puis plus tard à Paracelse et à Thomas Willis.
"Le diabète est une maladie remarquable mais heureusement plutôt rare. Elle consiste en une liquéfaction des chairs et des parties solides du corps dans l'urine. Comme l'hydropisie, elle est de nature humide et froide. Les reins et la vessie qui sont les passages habituels de ce fluide ne cessent d'émettre de l'urine, l'émission est profuse et sans limites, comme si les aqueducs étaient grands ouverts. Le développement de la maladie est progressif mais courte sera la vie de l'homme chez lequel la maladie est complètement développée. Un amaigrissement rapide se produit et la mort survient vite. Bien plus, la vie pour le patient est difficile et douloureuse. Le désir de boire devient de plus en plus impérieux mais, quelle que soit la quantité qu'il absorbe, la soif n'est jamais satisfaite et il perd plus d'urines qu'il ne boit. Il ne peut s'empêcher ni de boire ni d'uriner. Car s'il s'arrête ne serait-ce qu'un court moment de boire, sa bouche se dessèche, son corps s'assèche, et [les patients] ressentent leurs viscères comme s'ils étaient consumés par un feu intérieur. Ils désespèrent de tout et la mort survient rapidement dans un [tableau] de sécheresse brûlante et de soif comme causée par un feu dévorant. D'où il me semble que cette affection a reçu le nom de diabetes, ce qui signifie siphon, car les fluides ne restent pas dans le corps qu'ils utilisent comme un canal à travers lequel ils peuvent passer."
"Il est nécessaire de traiter énergiquement car la soif est de toutes les formes de douleur celle qui est la plus grande. Si des fluides sont absorbés, ils provoquent une diurèse et l'urine emmène avec elle différentes parties du corps qui ont été liquéfiées. Il faut diriger le traitement vers l'estomac qui est la cause de la soif." (Tiré de : J. Hazard et L. Perlemuter (1995) L'Homme hormonal, Hazard, Paris, p. 295-296
Pathologie pleuro-pulmonaire selon Arétée
Arétée consacre à la pathologie pleuro-pulmonaire des chapitres particulièrement remarquables. Ce Pneumatiste aux conceptions larges donne de l'appareil respiratoire une vue synthétique qui préfigure la notion anatomo-fonctionnelle adoptée de nos jours.
Il fait de l'astme encore confondu avec les autres manifestations dyspnéiques d'origine respiratoire ou cardiaque, une description saisissante à laquelle, dix-sept siècles plus tard, Trousseau aura peu à rajouter : "Ces malades se redressent pour respirer; ils errent au dehors, en proie à une soif d'air qui les incite à ouvrir la bouche avidement, aussi largement que possible, mais sans résultat… leur respiration soufflante fait gonfler leur cou; ils sont secoués d'une toux fréquente et pénible qui ramène une expectoration peu abondante, filante… ". Les modalités évolutives de la crise sont bien étudiées. Les principales formes cliniques et étiologiques de la dyspnée sont clairement entrevues. Celles qui relèvent d'une atteinte cardiaque sont particulièrement sévères : "Si le cœur est malade, la vie ne peut jamais se prolonger longtemps". Arétée signale même l'existence de certaines dyspnées en rapport avec la profession, notamment chez les ouvriers de la laine, les plâtriers, les travailleurs du bronze, les forgerons, les souffleurs de foyers dans les bains publics.
Sa description clinique et évolutive de la pneumonie fait mention de l'orthopnée, de la rougeur des pomettes, de la sécheresse de la langue, des troubles du pouls, de la fréquence de l'affection chez les sujets âgés, du caractère cyclique de la maladie et de la gravité de certaines de ses complications. Mais la note la plus originale est d'ordre anatomo-pathologique : "Bien qu'il ne suppure pas, le poumon est plein d'humeurs qui sont comme condensées".
Les observations relatives aux pleurésies sont tout aussi justes : les douleurs thoraciques traduisent bien plus l'atteinte pleurale que celle du poumon. Fait très particulier à cette affection, le malade peut se coucher du côté atteint alors que le décubitus latéral du côté sain lui est impossible. Arétée connaissait le procédé de la percussion qu'il utilisait pour déceler les ascites; mais il ne semble pas l'avoir appliqué à la détection des épanchements thoraciques. Le rôle favorisant du froid ne lui a pas échappé, non plus que la gravité des complications pulmonaires et du passage à la purulence.
Le diagnostioc différentiel des hémoptysies au sein des hémorragies en général, de même que leur traitement, font l'objet de remarques aussi précieuses que pertinentes. Parmi les suppurations profondes, abdominales ou thoraciques, dont il étudie avec soin les manifestations générales et les modalités évolutives, le Maître de Cappadoce fait une place à part à l'abcès pulmonaire.
Ne pouvant connaître l'unité étiologique de la maladie Arétée définit la phtisie par un de ses caractères lésionnels : l'ulcération des poumons. Comme tous les médecins qui précederont Laennec, il englobe ainsi sous une même dénomination la tuberculose cavitaire, les abcès chroniques, la dilatation des bronches et les cancers pulmonaires excavés. Il attribue à tort à l'hémoptysie initiale un rôle pathogénique. La description clinique magistrale qu'il donne de la maladie n'a guère été modifiée depuis. Le pronostic apparaît différent suivant l''âge : l'affection est rarte, mais grave chez les vieux; les jeunes, surtout lorsqu'ils sont pâles ou graciles, la voient s'installer au décours d'une hémoptysie et peuvent en guérir, mais difficilement; les enfants s'en remettent plus aisément, mais demeurent par la suite fragiles.
Hydropisie vésiculaire
Arétée n'avait pas moins de modestie que de savoir, comme il paroît par son détail d'une hydropisie vésiculaire, dont les autres médecins n'avoient point parlé.
On retrouve certes dans Arétée des notions déjà bien connues avant lui et éparses chez divers auteurs, dans les œuvres d'Hippocrate et de Celse notamment. Mais l'ensemble est d'une objectivité et d'une qualité rares. Même dans le domaine des prescriptions thérapeutiques qui pèchent souvent par manque d'originalité, certaines observations dénotent une remarquable clairvoyance et conservent actuellement encore toute leur valeur. En veut-on un exemple : après avoir conseillé de traiter l'insomnie et l'agitation nocturne des pneumoniques par les soporifiques, Arétée met formellement en garde contre les dangers des sédatifs dépresseurs chez les dyspnéiques : "Si tu administres ces médicaments lors d'un accès de suffocation chez un malade au seuil de la mort, tu passeras aux yeux du public pour l'auteur du décès".
Arétée apparaît en son temps comme le modèle même du clinicien objectif et éclairé, indépendant de toute école, ennemi de tout sectarisme, libre de toute influence étrangère à la discipline hippocratique. Ne connaisant d'autre loi que celle de l'observation attentive au lit du malade, Arétée fut en outre un pathogéniste sans doute faillible mais du moins éclectique, un thérapeute avisé et prudent. Tant par l'esprit qui l'a animé que par la méthode qu'il a adoptée et le procédé d'expression médicle qu'il a utilisé, il asouvent égalé, quelquefois même surpassé le Père de la Médecine. Il figure en tout cas avec Galien, parmi les meilleurs intermédiaires entre la médecine d'Hippocrate et celle des temps modernes.
Arétée est le premier qui ait fait usage des cantharides comme vésicatoires, et eut pour imitateur Archigenes. "Nous nous servons du cataplasme où elles entrent, dit ce dernier dans Aetius, parce qu'il produit de grands effets, pourvu que les petits ulceres demeurent ouverts, & qu'ils fluent; mais il faut avec soin garantir la vessie par l'usage du lait, tant intérieurement qu'extérieurement".