En 1772, le 17 décembre, à Saint-Malo, près du marché, François-Joseph-Victor BROUSSAIS naît d'une mère tendre et énergique et d'un père officier de santé, chirurgien de vaisseaux marchands. Enfant, il est très tôt violent, vigoureux, querelleur, batailleur, emporté comme si quelque sang de corsaire farouche coulait en ses veines. Au collège de Dinan, le jeune Broussais est le condisciple du futur auteur des "Mémoires d'Outre-Tombe," il ne semble pas qu'une amitié soit née entre eux, peut-Être un souvenir.... Chateaubriand écrit que "M. Broussais, au cours de la baignade du jeudi, fut mordu par d'ingrates sangsues, imprévoyantes de l'avenir."
En 1791, il fait un court apprentissage chirurgical auprès de son père et vole au secours de la Révolution. Revenu dans la campagne malouine, ses parents le supplient de devenir médecin. Il fait un stage dans les hôpitaux de Saint-Malo et de Brest, et obtient une commission de chirurgien sur la frégate "La Renommée." Puis sur "L'Emile," avec Robert Surcouf, il est médecin auxiliaire de 3ème classe et chirurgien-major. Ces nouvelles promotions lui font entrevoir de bonnes perspectives.
Cependant sa culture est incomplète. Il vient à Paris en 1799 terminer ses études. Le défaut de culture préalable pourrait le vouer tôt aux engouements et au fanatisme mais il en est encore pour quelque temps aux douceurs de l'admiration. Il soutient sa thèse en 1803 ; ce travail, inspiré de PINEL, fera dire à un biographe qu'il y voit "l'esprit pénétrant et hardi qui a besoin d'inventer tout en imitant et généraliser tout en en ignorant." Bienveillance ou ironie ?
Il s'engage dans la Grande Armée de l'Empire et suit ses drapeaux en Belgique, Hollande, Autriche, Italie, mais la défaite de Trafalgar modifie son plan. Dans les hôpitaux militaires où il travaille, il note ses observations, ses impressions "ne trouvant que confusion parmi les auteurs les plus illustres et auxquels la Médecine confesse devoir ses plus grands progrès", il pense faire preuve d'originalité en publiant " L'Histoire des phlegmasies ou des inflammations chroniques" en 1808. Ce livre contient quelques principes excellents, des aphorismes utiles, mais est aussi le point de départ de divagations orgueilleuses et d'une emphase souvent pénible. Au lieu d'enregistrer avec patience et humilité, il gaspille sa valeur en sophismes présomptueux, et, tyrannisé par le langage militaire, l'introduit dans les débats scientifiques.
Pour lui, la plupart des maladies chroniques sont le résultat d'une inflammation aiguë non guérie...principe physiologique par lequel l'organisme réagirait à toutes les irritations, et la plus importante de toutes les inflammations concernerait le tube digestif qu'il nomme la gastro-entérite. Pour la guérir il soumet ses malades à une diète sévère en même temps que pour décongestionner les organes enflammés il fait pratiquer des saignées abondantes et fréquentes par l'application d'innombrables sangsues.
L'inattention ou l'échec qu'il subit sur le coup, le décide à partir pour six années dans le deuxième corps d'armée d'Andalousie.
Revenant après la paix de 1814 de ses randonnées militaires il est nommé professeur en second au Val de Grâce puis inspecteur de médecine militaire.
Militaire, marin, longtemps chirurgien dans l'armée, son oeuvre est un combat. Il est bourré d'idées fausses mais comme il possède la carrure et l'éloquence d'un tribun, il arrive à les faire admettre durant une longue période, faisant ainsi beaucoup de mal à la médecine, comme par ses haines violentes il fera beaucoup de mal à tous ceux qui, à l'exemple de Laënnec, auront le tort, à ses yeux, de ne pas penser comme lui. Ce chirurgien militaire exercera une véritable dictature médicale comme Dupuytren le faisait en chirurgie à la même époque.
Il observe incomplètement, déraisonne jusqu'à l'extravagance et présente son oeuvre comme "L'histoire abrégée d'une très grande partie des maladies qui affligent notre système."
Dans l'amphithéâtre de la rue du Foin, il va enfin pouvoir développer sa théorie et conquérir ses auditoires. Il parle sans aisance, sans élégance, peut rester longtemps monotone, embarrassé, égaré puis, tout à coup, il s'exclame avec verve, persifle drôlement et anime une leçon d'abord insipide ou triviale. Les étudiants enfiévrés par ce lutteur si peu académique et affranchis de leur ignorance par ses ruses simplificatrices, accourent, l'applaudissent, l'adoptent. Parfois, dans la rue, poursuivant une action qu'une heure de cours n'a pas affaiblie, il renouvelle une démonstration que la vérité étayerait plus infailliblement que des cris et à laquelle des recherches de laboratoire, conviendraient mieux que les comédies de trottoir.
Il répand ses doctrines... Elles partaient d'une vérité pour aboutir à une erreur : la vérité c'est que l'on doit demander à l'autopsie la confirmation ou la rectification d'un diagnostic, mais qu'il est excessif de croire que l'on peut constituer une médecine exacte, comme le pensaient déjà certains. L'erreur c'est d'avoir tiré d'une hypothèse physio-pathologique des conclusions thérapeutiques sanguinaires
Pour Broussais, la lésion et les perturbations viscérales sont le point de départ; il prend pour la cause un effet anatomique et pour l'essentiel un trouble fonctionnel presque toujours secondaire.
La saignée et les sangsues ont donc été réhabilitées par Broussais ; et l'on assure que l'on importa plusieurs millions de sangsues en France dans les premières années du XIX' siècle. On dit aussi que la médecine devint un fléau aussi redoutable que la guerre. La France avait été décimée par les batailles de la République et de l'Empire, Broussais la "saigna à blanc."
En 1831, il n'en fut pas moins nommé Professeur à la Faculté de Médecine de Paris, dans la chaire de pathologie et thérapeutiques générales, Il continue là à jeter à tue-tête des aphorismes que la modestie ne tempère pas. " J'apporte la médecine physiologique... le messie de la médecine est arrivé et les aveugles et les malheureux ne l'aperçoivent pas... Sans ces notions, la pathologie n'est qu'un chaos, un amas informe de vérités et d'erreurs, voilà ce qui n'avait pas été aperçu avant moi. "
Sous son influence la chirurgie a éprouvé un véritable recul: à la suite des applications de cataplasmes, de cérat et de charpie, toutes les plaies suppurent et la plupart des blessés et des opérés meurent d'infection purulente; la fièvre puerpérale décime les maternités dans lesquelles dix pour cent des accouchées meurent.
Mais cet astre va subir une éclipse les étudiants désertent son cours ; il n'est plus écouté quand survint le choléra en 1832, l'épidémie fut un fléau qui compta parmi ses victimes les théories de Broussais.
Il se tourne alors vers la phrénologie qu'il enseigne au grand scandale de ses collègues, mais sans succès.
Il oublie les injures qu'il multiplie, les accusations qu'il porte, mais aussi les outrages reçus ; il trahit sans rancune, se dit sans haine, sinon sans violence, et, dans sa passion de dictature, trouve assez de versatilité ou de hauteur pour se contredire sans rougir.
Très affecté par ces revers, le lutteur s'effondre un beau jour, avec sang-froid et objectivité, il observe la cruelle maladie qui le ronge. Il supporte avec courage et fermeté sept interventions.
Le 17 novembre 1838, il mourra de ce cancer du rectum dont il a suivi l'évolution avec curiosité et sagacité après avoir tenu un journal de ses souffrances, de son évolution et de son pronostic.; alors même qu'il avait déclaré que Napoléon ne serait pas mort d'un cancer s'il avait été soigné par un médecin physiologiste; en réalité sa doctrine est heureusement morte avec lui.
Dans son "Examen de la doctrine médicale", il a combattu avec force toutes les traditions consacrées de la médecine.
Mais ces errements et ces combats d'arrière-garde parfois brillants faillirent avoir les plus graves conséquences immédiates: la médecine risquait de briser son élan contre des abstractions tortueuses... dont, cependant, elle avait peut-être besoin pour se renouveler.