Giovanni-Battista Morgagni est né le 25 février 1682 à Forli en Italie. Orphelin de père, sa mère consacre sa vie à l'éducation de son fils. Dès l'âge de 14 ans il écrit des discours et des poèmes philosophiques Il fait ses études à l'université de Bologne où il est l'élève de Valsalva (lui-même est l'élève de Malpighi). Valsalva le choisit comme son assistant en anatomie. Reçu docteur à l'âge de 19 ans, il publie cinq ans plus tard, en 1706, son ouvrage inaugural: le premier tome des "Adversaria anatomica prima". Après avoir été lecteur et prosecteur à l'amphithéâtre anatomique de Bologne (il remplace parfois son maître Valasalva comme conférencier), il occupa à partir de 1711, les chaires tant enviées de médecine théorique, puis d'anatomie, à l'Université de Padoue. Le succès de son enseignement et de ses écrits fut à la mesure de ses mérites exceptionnels : il lui valut d'être consacré en 1769 "Anatomicorum totius Europae Princeps" et d'être surnommé avec une familiarité admirative : Sa Majesté Anatomique.
Au nom de l'anatomie normale qui l'a d'abord retenu, il s'est attaché à l'étude des musculatures laryngée, œsophagienne et intestinale, à celle des voies biliaires, de la structure pulmonaire, du tissu adipeux. Il s'orienta bientôt vers la confrontation des lésions relevées à l'autopsie et des troubles cliniques observés durant la vie du malade.
A quatre vingts ans il publia son œuvre maîtresse, le fameux "De sedibus et causis morborum par indigatis" (les Sièges et les Causes des maladies par l'anatomie) parut pour la première fois à Venise en 1761 et traduit en plusieurs langues) dont Benjamin Richardson dit "À ce jour aucun savant médical n'a pu aider la médecine comme ce livre". Aussitôt considéré comme le premier grand traité d'anatomie pathologique, il fut réédité sept fois jusqu'en 1825 et bénéficia de trois traductions en langues étrangères. L'accueil enthousiaste qui lui fut réservé d'emblée a eu son écho par les voix de Ruysch, de Boerhaave, de Mascagni, de Winslow et de nombreux autres contemporains.
Le médecin éclairé, le chercheur attentif admiré des rois et des papes, n'effaçaient cependant pas en Morgagni le disciple au souvenir fidèle qui écrivit une admirable biographie de Valsalva (1740), ni l'érudit féru d'antiquité et d'archéologie qui commenta l'œuvre de Celse et consacra ses Lettres émiliennes aux monuments de la région de Forli.
Anatomiste et anatomo-pathologiste
A partir d'un matériel énorme, fait d'observations précises qu'il soumet à la critique avant d'en faire la synthèse lucide et objective, Morgagni établit qu'à chaque altération anatomique correspond une altération fonctionnelle s'exprimant par une maladie. Celle-ci cesse dès lors d'être une association fortuite de symptômes provoqués par des causes diverses: elle apparaît enfin comme une entité autonome. On peut dire que le dogme de la spécificité, déjà conçu par Sydenham sur le plan de la clinique pure, s'est affirmé avec Morgagni.
Sa méthode est déjà celle que Laennec utilisera cent ans plus tard, pour la plus grande gloire de la médecine. La seule différence tient à ce que le génial Italien remonte des constatations post mortem aux troubles observés pendant la vie, alors que le génial Breton recherchera dans les constatations de nécropsie l'explication et la cause des manifestations cliniques qu'il aura précédemment consignées. Morgagni enseigne que l'autopsie, pour être utile, doit être faite par un clinicien averti doublé d'un excellent anatomiste, et que l'observation faite sur le cadavre est stérile si elle ne s'appuie pas sur la connaissances des désordres qui se sont développés durant la vie. Il ajoute qu'un bon clinicien ne doit s'occuper que de peu de malades à la fois. Le corps destiné à la vérification anatomique doit être accompagné d'une description de la maladie aussi détaillée et complète que possible, si l'on veut pouvoir mettre en évidence une relation directe entre les lésions et les symptômes.
Morgagni donne à son travail une rigueur que renforce son constant scrupule scientifique et qu'embellit sa modestie exemplaire. il ne se borne pas à définir une méthode de recherche : il en déjoue par avance les pièges et s'efforce inlassablement d'en dépister les causes d'erreur, telles que certaines lésions contingentes, les coagulations fibreuses agoniques ou les altérations secondaires qui se produisent après la mort. Il apporte le même souci constant à améliorer sa technique qu'à perfectionner ses ouvrages avant de les livrer à l'impression : présenté sous forme de lettres, le De Sedibus est écrit dans un style aussi clair qu'élégant. Son sens aiguisé de l'objectivité ne lui interdit cependant pas les perspectives générales, dont certaines apparaissent véritablement prophétiques.
Encore très actuelle à bien des égards, l'œuvre de Morgagni touche à presque tous les domaines de la pathologie. Elle échappe à une analyse sommaire. Sa partie la plus originale concerne les affections cardio-vasculaires et vasculo-nerveuses; elle se signale par la mise en évidence du substratum anatomique de l'angine de poitrine, l'identification des lésions dégénératives du myocarde, la descriptions des anévrismes aortiques et d'autres altérations artérielles, qui sont très fréquemment dues à la syphilis. Cette même étiologie se retrouve à l'origine de la pluspart des hémiplégies : celles-ci sont la conséquence d'atteintes vasculaires et, dans leurs formes hautes, revêtent une topographie croisée par rapport à la lésion responsable. En pathologie pulmonaire, la description que Morgagni fait des lésions tuberculeuses en voie de caséification témoigne, de nos jours encore, d'une exactitude et d'une précision remarquables. Il développe aussi des considérations précieuses sue les tumeurs du pylore, la blennoragie, les lésions des cartilages laryngés.
Castiglioni rappelle la remarquable observation qu'il a relatée d'un cas de néphrite aiguë anurique, œdémateuse et ascitique consécutive à l'application d'un onguent contre la gale : c'est sans doute le premier cas connu de néphropathie toxique, à une époque où la pathologie médicamenteuse, rançon des progrès de la thérapeutique, était loin d'occuper sa place actuelle. Il a étudié la pulsation, et surtout la palpitation du coeur. Quant au cancer, Morgagni a émis l'idée que la chirurgie était le seul traitement capable de donner des bons résultats.
La sémiologie clinique lui est en effet aussi familière que l'étude macroscopique des organes lésés. C'est ainsi qu'il décrit les caractères de la splénomégalie et le signe du flot ascitique chez un sénateur vénitien intempérant, du nom de Gasparo Lombria, atteint de l'affection hépatique que Laennec appellera plus tard cirrhose.
On pourrait multiplier les exemples de la perspicacité scientifique de Morgagni. Vers la même époque que Robert Whytt, près d'un siècle avant Fabre et Constant, il a reconnu sans équivoque et parfaitement relié entre elles les circonstances étiologiques, les principales manifestations cliniques et les lésions macroscopiques habituelles de la méningite tuberculeuse. Extraite du livre de May, voici la traduction du passage correspondant : " Un enfant de treize ans, de beaucoup d'esprit et d'intelligence, avait perdu un frère et une sœur de phtisie et avait lui-même éprouvé, l'année précédente, une inflammation du poumon gauche. Il fut pris de douleur de tête sus-orbitaire et ses yeux laissaient échapper une humeur visqueuse. Le lendemain, il délire, ses yeux se fixent sur les assistants; il rejette par le vomissement quelques viscosités. Ensuite, il est agité tout à coup de mouvements convulsifs; après quoi, il tombe dans une espèce d'affection soporeuse; cependant il est souvent réveillé par des convulsions accompagnées de difficultés de respirer. Enfin il meurt. A l'autopsie on trouve à la base du cerveau une sérosité sanieuse à lquelle il faut rapporter la maladie."
L'œuvre de Morgagni a été aussi vaste que durable. Elle l'a été dans ses détails, puisqu'elle a apporté des notions dont la plupart n'ont pas cessé d'être fondamentales en médecine pratique. Elle l'a été dans son principe, puisqu'elle a intégré pour la première fois l'anatomie pathologique dans l'ensemble du raisonnement médical dont elle est devenue l'un des instruments essentiels. Que comptent alors les critiques mesquines que Morgagni a subies de la part d'un Broussais en regard de l'éloge vibrant qu'en 1894 Rudolf Virchow, le plus grand des anatomo-pathologistes modernes, adressera à sa mémoire.
Il semble que Morgagni était heureux dans sa vie privée. Il vivait avec telle simplicité que la parcimonie lui était reprochée durant sa vie et à la surprise générale, d'épisodes de charités secrètes ont été révélés après sa mort, dévoilant une autre facette de sa vie. Il a eu quinze enfants, trois fils, un décédé durant son enfance, un autre est devenu Jésuite et a fait quelques travaux scientifiques, le troisième a suivi la profession de son père mais il meurt jeune. Huit de ses filles sont devenues religieuses.
Un exemple de la considération dont jouissait Morgagni à l'époque ; lors du siège de Bologne, les commandants des armées donnent des ordres stricts pour qu'aucun mal n'arriva au Pr Morgagni.
La Société Royale d'Angleterre l'a choisi en 1724, l'Académie de Sciences de Paris l'a fait membre en 1731, l'Académie Impériale de St Petersburg en 1735, et l'Académie de Berlin en 1754.
Morgagni avait entretenu des correspondances avec les scientifiques de son époque comme Ruysch, Boerhaave, Richard Meade, Haller, et Meckel. Le Roi Emanuel III de Sardaigne le consultait. Les cinq papes de la seconde moitié de sa vie l'ont engagé comme conseiller en médecine. Le pape Benoît IV le cite en termes élogieux, le pape Clément XIII l'a logé au palais papal durant ses visites à Rome. Il était un homme respecté de son temps, et même aimé.
Morgagni est décédé à Padoue, le 6 décembre 1771.