Abu Bakr Mohamed Ibn Yahia al-Tjibi al-Serqasti Ibn Bajja, ("Bajja", selon Ibn Khallikan, est un terme européen signifiant l'argent), est surnommé également Ibn al-Sayegh (fils du bijoutier). Chez les Européens, il est connu sous le nom d'Avempace.
Sa vie n'est pas bien connue, sinon qu'il est né à Saragosse, en Andalousie, à la fin du XIe siècle.
Il semble que le jeune Avempace avait des dons particuliers pour la chanson et pour la musique qui lui valurent la reconnaissance des puissants. Il a écrit un traité de musique et a composé des chansons populaires. Le prestigieux arabisant García Gómez le croit inventeur du zéjel (Poème de la littérature espagnole médiévale, dérivé de la poésie mozarabe). Il s'est attaché à l'étude de la majorité des sciences de son époque, à savoir, la médecine, la philosophie, les mathématiques, l'astronomie et la musique.
Il s'est intéressé également à la politique, puisqu'entre 1110 et 1113 il fut le vizir de Abu Bakr Ibrahim, gendre de Ali Ibn Youssef Almoravide, gouverneur de Grenade, puis de Saragosse. Après la conquête de Saragosse par Alphonse Ier roi d'Aragon et de Navarre, il semble que son succès devant les nouveaux souverains de Saragosse était du à l'influence de ses approches philosophiques, qui préconisaient un état idéal face aux états imparfaits et dégénérés de son temps. À sa condition de musicien et de philosophe nous devrons ajouter celle de médecin, de mathématicien, d'astronome.
En 1117 son protecteur Ibn Tifilwit, et en 1118 les chrétiens occupent la ville. Devant l'arrivée des chrétiens, Avempace se rend à Séville où il est capturé. Ensuite il marche vers Almeria et Grenade, villes dans lesquelles il exerce la médecine, loin des occupations politique, puis il et s'embarque finalement pour Oran avant de se rendre à Fez (Maroc) où il devint médecin à la Cour des Almoravides. C'est là que ses ennemis s'étaient acharnés contre lui, l'accusant d'athéisme et le taxant d'incompétence. Il a trouvé la mort empoisonné entre 1128 et 1138 à Fez au Maroc.
Ses contemporains ont émis les avis les plus disparates à son sujet : des éloges sans limite aux plus grands dédains et les insultes. Accusé d'hétérodoxie et jalousé par les médecins et les poètes, il existe quelques points obscurs dans sa biographie, comme son souci démesuré pour le profit dans les affaires. Si les hommes se mesurent par la hauteur de leurs ennemis, nous pourrions citer, entre autres, le célèbre médecin Avenzoar et le poète Ibn Jaqan. Ceux-ci, selon son biographe al-Maqqari, lui vouaient une haine viscérale : “ils étaient séparés comme l'eau et le feu”.
Contributions laissées par Avempace
Ibn Tufayl, qui a écrit "Le Philosophe autodidacte" (Hayy Ibn Yaqzan) sur les secrets de la sagesse orientale, connu comme le philosophe autodidacte, n'a jamais rencontré personnellement Avempace, mais a très bien connu sa vie et ses œuvres. Il a mis sous forme de roman philosophique le “Solitaire” d'Avempace, l'incarnant dans le personnage de Hayy Ibn Yaqzan, comme un précurseur de Robinson Crusoë paru en 1719. Si l'on peut faire une relation de son l'influence depuis Avempace jusqu'à Daniel Defoë (1660-1731), en passant par Ibn Tufayl et même par le Criticon de Baltasar Gracián (1601-1658), c'est une affaire difficile et complexe. Ce qui paraît sûr est qu' Avempace a inventé le personnage du “Solitaire”.
Averroès ne fait que continuer et exécuter la tâche commencée par Avempace, en menant à bien un travail d'explication de l'œuvre d'Aristote. Et sur ce point les coïncidences entre Averroès et Avempace sont palpables, puisque celui-là suit en général l'interprétation de celui-ci et, quand il divergera dans un certain point, il le fait avec un grand respect et des soins, chose qui n'arrive pas quand elle s'opposera à d'autres auteurs musulmans andaloux ou orientaux. Quant à son système philosophique, Averroès suit la même ligne qu'Avempace, en défendant le pouvoir de la raison et la liberté de pensée au moment de faire science et philosophie. D'autre part, il expose une théorie de la connaissance humaine, une interprétation de la structure de l'intelligence et un itinéraire intellectuel et spirituel très semblables à à ceux d'Avempace. Même, à la fin, il conclut avec la même théorie de l'unité de tous les intellectuels , chose qui doit provoquer les critiques les plus dures de l'Européen scolastique.
En ce qui concerne le juif Maimonides (1135-1204) de Cordoue, la première chose qu'il faut signaler est qu'il enseigne une admiration pour le philosophe de Saragosse comme il le montre en le citant d'une manière élogieuse à de nombreuses occasions, surtout dans son œuvre à l'origine écrite en arabe "Dalalat al-ha’irim" (Guide des égarés), dans lequel seront reproduits divers passages d'Avempace. D'autre part, il y a beaucoup de points de coïncidence dans leurs deux systèmes : l'effort pour incorporer l'aristotélisme dans la philosophie, l'idéal de spritualité comme objectif de la vie humaine, la confiance dans la raison humaine et dans la science, l'union mystique intellectuelle, la manière de classer les hommes selon l'utilisation qui font de leurs facultés mentales…
Albert le Grand (1206-1280) fait le compte rendu de la pensée d'Avempace, bien qu'il critique l'idée de l'unité des âmes, dans la problématique d'interpréter l'agent intellectuel aristotélicien comme unique et impersonnel ou comme personnel et multiple, en accord avec le dogme chrétien.
Thomas d'Aquino (1225-1280) fait souvent allusion à Avempace et toujours pour le réfuter, dans la même ligne de de ce qui est appelé l' “averroísme latin”.
L'enseignant dominicain Eckart (1260-1327) soutient dans ses sermons latins et allemands certaines thèses très semblables à celles d'Avempace. Par exemple, dans son idée de l'itinéraire de l'homme vers Dieu, lequel doit passer par un chemin intellectuel et spéculatif, au terme duquel l'homme déifie, en s'unissant à lui et en lui, toutes les âmes des bienheureux sages .
Spinoza(1632-1677) est en accord avec l'approche d'Avempace : le lien qui il y a entre éthique et théorie de la connaissance, l'établissement des trois niveaux moraux dans lesquels peut vivre l'homme (le corporel, la vertu morale et l'intellectuel), la vision du mal comme lié à à ce qui est corporel et matériel.
Teilhard de Chardin(1881-1955) reproduit, ce qui n'indique pas une influence directe ou indirecte, des thèses morales dans son œuvre "Le groupe zoologique humain" (1949).
Œuvres écrites d'Avempace
Avempace s'inscrit dans la même lignée des commentateurs à tendance médico-philosophique. Il eut pour maître Avenzoar (médecin d'origine juive qui eut lui-même pour disciple Averroès). Il composa des ouvrages de mathématiques, de métaphysique et de morale fort estimés, et souvent cités avec éloge par Averroès. Il a également exercé une influence sur Albert le Grand, notamment en botanique. Il professait une philosophie mystique qui le fit accuser d'hérésie. Il est l'auteur d'un système rationaliste faisant de Dieu l'Intelligence suprême. On dit qu'il n'était pas en accord avec le Coran pour avoir nié le retour à Dieu, et pour avoir considéré la mort comme la fin de l'existence.
Ibn Bajja - Avempace - a laissé quelque trente ouvrages en logique, philosophie, mathématiques, médecine, sciences naturelles, botanique et médicaments, dont la plupart ont été égarés, et ne restent que des épîtres et des pages de traductions latines et hébraïques
Philosophe
- «Rissalat al-Widae» (Lettre d'adieu) ;
- Son ouvrage le plus connu est le "Rissalat Tadbir al-Mutawahid" ("Régime du solitaire").
- Exégèse de l'ouvrage «Al-Simaa al-Tabi'i» (L'ouïe naturelle) d'Aristote ;
Avempace est le le premier à avoir fait connaître d'une manière globale et qui commente certaines œuvres fondamentales d'Aristote, jusqu'à alors non étudiées par aucun philosophe andaloux (et y compris chrétien occidental). À partir d'Avempace, Aristote commence à occuper le premier plan de la pensée occidentale, avant tout musulmane puis chrétienne. Après, l'occitan l'Ibn Tufayl (1110-1185) mît en texte certaines thèses d'Avempace, et, surtout, Averroes (1126-1198) passera dans l'histoire comme “Le Commentateur” d'Aristote.
Et celui-ci est le lieu et le rôle précis d'Avempace : celui d'avoir entamé en Occident l'étude de l'Estagirita. L'aristotélisme médiéval a les points de repères suivants : en Orient, al-Farabi et Avicenne ; en al-Andalus, Avempace et Averroes ; dans le judaïsme, Maimónides, qu'il suit dans la ligne de de ces derniers ; et, finalement, en Europe chrétienne, tous les courants dérivés d'Avempace et Averroes, à savoir : les aristotéliciens et les averroiciens de tout type et de toute couleur, depuis celui de Thomas d'Aquin jusqu' à celui appelé “averroísme latin”. L'aristotélisme d'Averroes et d'Avempace n'est pas exactement le même, mais s'il fallait rechercher leurs points communs, il serait nécessaire de remarquer leur intérêt commun pour l'analyse de la nature. Averroes connaissait bien la doctrine d'Aristote et était persuadé que ses idées étaient complètes et cohérentes. Averroes s'est particulièrement employé à intégrer parfaitement le phénomène de la génération et de la corruption dans le contexte de la philosophie d'Aristote. Pour Avempace, il s'agissait de rassembler les éléments du discours d'Aristote en un système cohérent
Botaniste
En plus d'écrire, en collaboration avec Abul-Hasan Sufyan al-Andalusi, un "Livre des expériences", qui a été perdu, avec lequel on voulait compléter le livre sur les médicaments simples de Ibn Wafid de Tolède (en 1075), avec Abenguefith un des pharmacologues latins médiévaux, Avempace a écrit Sur les plantes, qui a influencé directement ou indirectement le De vegetalibus d'Albert le Grand. Il ne s'agit pas d'un commentaire d' un certain traité botanique d'Aristote, mais d'une œuvre totalement originale d'Avempace. Dans la première partie il expose les caractères généraux du règne végétal pour ensuite passer, dans la deuxième, aux différences essentielles et spécifiques que l'on observe entre les plantes, en faisant une classification de ces dernières qui offre le grand intérêt d'en tirer une collection d'exemples très concrets qui enrichissent les catalogues des botanistes médiévaux, tant latins qu'arabes.
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Commentaires sur une partie du livre «Al-Kawn wal-Fasad» (L'univers et la corruption) d'Aristote.
- Commentaires sur des extraits du livre «Al-Adwiya al-Mufrada» (Les médicaments solitaires) de Galien.
Médecin
Il aborde la médecine du point de vue de la botanique. Il a aussi écrit des commentaires de Galien, d'Hippocrate, d'Ibn Wafid et de Razès.
- Commentaires sur des extraits du livre «Al-Adwiya al-Mufrada» (Les médicaments solitaires) de Galien ;
- Livre sur les deux expériences pharmaceutiques d'Ibn Wafid.
- Livre «Ikhtissar al-Hawi» de Rhazes.
Physicien
Les sources qu'emploie Avempace, outre Aristote, paraissent être le commentaire de la Physique d'Alexandre d'Aphrodise (début du IIIe siècle) et les idées néoplatoniciennes de Jean Philopon (VIe siècle). L'intérêt qu' offre Avempace en commentant la Physique d'Aristote se situe dans le fait qu'il est le seul immédiat prédecesseur et indiscutable du grand commentateur de la physique aristotélicenne, Averroès; et dans lesquel il diffère sur quelques points de l'Aristote.
Le mérite d'Avempace s'évalue sur la ligne qui part de la scolastique et qui aboutira la “Théorie de l'énergie” ; etarrivera à Galilée, dans lequel il a établi une formulation d'une seule dynamique appliquée tant au monde sublunaire qu' au monde supralunaire.
Astronome
En plus d'être plus ptoloméen qu'aristotélicin, il paraît que, ou il a considéré une dissimulation de Jupiter par Mars, ou qu'il a confondu une dissimulation avec une position très proche des deux planètes. Il a observé, à son tour, deux taches dans le soleil qu'il a interprété comme le pas de Mercure et de Vénus sur le disque solaire. Il a prédit, finalement, une éclipse de lune.
- «Taaliq fi al-Handassa wa 'Ilm al-Hay'a» (Commentaires en géométrique et en cosmographie) ;
Musicien
On ne conserve aucune de ses œuvres, mais on sait qu'Avempace a aussi été un virtuose de la musique.
Les écrits d'Ibn Bajja sont disponibles dans certaines des meilleures bibliothèques du mond, telles que Oxford, l'Escorial, Berlin, Le Caire, Taskent, Istambul, Bagdad