Edward Jenner est né le 17 mai 1749, à Berkeley, dans le Gloucestershire. Fils et frère de pasteur, ce campagnard se sentit très jeune attiré par les phénomènes de la nature. Il choisit la profession de médecin et se retrouve apprenti chirurgien sous la conduite de D. Audlow, chirurgien de Sodbury non loin de Bristol.
Il se rend ensuite à Londres et devient l'élève de John Hunter qui lui enseigne l'anatomie et la chirurgie, à l'hôpital Saint-George.
Il est également employé par Sir John Banks avec lequel il peut donner libre cours à ses goûts de naturaliste en participant à la préparation et au classement des spécimens zoologiques recueillis au cours des premiers voyages du Capitaine Cook. Il étudie l'ornithologie et la géologie. Il construit un ballon.
En 1792, Jenner obtient son diplôme de Docteur en Médecine. Il retourne dans sa ville natale et s'installe en tant que médecin de campagne (on disait médecin ambulant) jusqu'à la fin de sa vie. Personnalité attachante, poète et violoniste, excellent père de famille, l'histoire nous le dépeint adoré par ses malades et respecté de ses confrères. C'est ce médecin de campagne qui débarrassa l'humanité de la variole.
La variole
L'origine de la variole semble très lointaine puisque certains croient en voir des signes dans les vestiges de la préhistoire et que des chercheurs anglais auraient relevé des cicatrices de pustules sur une momie de la XXe dynastie (le pharaon Ramsès V en serait mort en 1157 av. J.C.)
Ni Hippocrate, ni Galien ne la mentionnent, ce qui aura de fâcheuses conséquences par la suite, en effet, pourra-t-on reconnaître une maladie ignorée par les Maîtres?
Les premières descriptions connues de la variole remontent au IVe siècle après Jésus-Christ, par Ge Hong, en Chine. En fait, il est généralement admis que la variole fut introduite en Europe par les invasions arabes, à la suite de l'épidémie de la Mecque en 572. C'est d'ailleurs un médecin arabe, Rhazès, qui au IXe siècle, en donna le premier un excellent exposé symptomatique. Ensuite les croisés la rapportèrent chacun dans dans leur pays. Au XIIIe siècle la maladie est connue dans toute l'Europe méridionale.
Au XVIe siècle Ambroise Paré la distinguera de la rougeole qui, elle, "ne laisse pour traces de soi sinon taches comme de puces par tout le corps."
Mais déjà la variole prenait un nouvel essor, car si les Espagnols avaient rapporté la syphilis du Nouveau Monde, ce n'était pas sans contrepartie qui la variole décima rapidement les Indiens des Caraïbes (grande vérole pour petite vérole).
Au XVIIe siècle, Sydenham en dresse un tableau magistral. Car de toutes les maladies infectieuses, la variole est une de celles qui exerçait les ravages les plus visibles. Selon le géophysicien Charles de La Condamine "Elle détruit, mutile ou défigure, plus du quart du genre humain."
Au XVIIIe siècle, Diderot écrit: "la petite vérole ne le cède point à la peste par les ravages qu'elle cause." A Paris en une seule année elle fait jusqu'à vingt mille morts.
A ce moment Jenner entre en scène.
La variolisation
Méthode employée avant la vaccination jennérienne, et qui consistait à inoculer une variole bénigne pour éviter une variole grave.
Sa première mention écrite a été effectuée par Aaron, médecin d'Alexandrie. Dès le XIe siècle, les chinois pratiquaient la variolisation par voie nasale : il s'agissait d'inoculer une forme qu'on espérait peu virulente de la maladie en mettant en contact la personne à immuniser avec le contenu de la substance suppurant des vésicules d'un malade. C'est le premier ministre Wang Dan qui après la perte d'un de ses fils de la variole avait convoqué divers praticiens de toute la Chine pour mettre au point une prophylaxie. Un moine Taoïste apporta la technique d'inoculation qui se diffusa progressivement dans toute la chine.
Le résultat restait cependant aléatoire et risqué, le taux de mortalité pouvait atteindre 1 ou 2 %. La pratique s'est progressivement diffusée le long de la route de la soie. En 1701, Giacomo Pylarini réalise la première inoculation à Constantinople.
La technique est importée en occident au début du XVIIIe siècle (1717), par Lady Mary Wortley Montagu la femme de l'ambassadeur d'Angleterre en Turquie qui l'apprend du docteur Emmanuel Timoni, médecin de l'ambassade d'Angleterre à Istanbul. Diplômé de l'université de Padoue, membre de la Royal Society de Londres depuis 1703, le docteur Timoni publie en 1713 dans les Philosophical transactions de la Royal Society son traité sur l'inoculation. Son travail est publié de nouveau l'année suivante à Leipzig. A partir de cette date, les publications sur ce sujet se multiplient, Pylarini en 1715, Leduc et Maitland en 1722...
Elle est introduite en France par un médecin Suisse, le docteur Théodore Tronchin en 1756, qui introduit la variolisation à la cour de Versailles (les enfants du duc d'Orléans). En 1760, Daniel Bernoulli démontra que, malgré les risques, la généralisation de cette pratique permettrait de gagner un peu plus de trois ans d'espérance de vie à la naissance. Elle suscita cependant l'hostilité de nombreux médecins. La France fut ainsi une des dernières nations à adopter la méthode, en 1764. La Faculté de médecine de Paris, consultée par le Parlement, rendit un arrêt le 8 juin 1763, par 52 voix contre 26, en faveur de l'inoculation.
La variolisation devient le première technique médicale de masse, non pour empêcher la contagion d'une maladie, mais pour la rendre moins grave.
Cependant cette méthode présentait des dangers, elle ne mettait pas à l'abri de toutes les maladies qu'on pourrait inoculer en même temps.
La vaccine des vaches
Jenner apprend en discutant avec ses patients l'existence d'une bien étrange croyance populaire : les personnels travaillant dans les laiteries de la région affirment à Jenner qu'ayant eu la vaccine, maladie qui se contracte au contact de vaches contaminées, ils ne pouvaient être atteints par la variole (Daisy: Jenner's inspiration au Jenner Museum). Cette observation le poussa à s'intéresser à la variole, que l'on tentait de prévenir, à l'époque, par "variolisation".
D'ailleurs, quel fut le mérite de Jenner si toutes les notions utilisées pour une application rationnelle de la vaccination antivariolique existaient avant lui ? C'est d'avoir compris la valeur et démontré le bien-fondé de méthodes jusque-là empiriques et populaires.
En 1775, Jenner commence ses recherches sur la variole par l'étude de la vaccine des vaches. En 1788, il observe que chez les garçons de ferme ou les livreurs de lait qui ont accidentellement contracté la "cow-pox" (maladie de la vache), l'inoculation échoue toujours et qu'ils sont réfractaires à la variole humaine.
Il est maintenant prouvé que cette protection était aussi reconnue en France, notamment en Picardie et en Languedoc, où le cowpox britannique était connu sous le nom de "picote", et que ces informations étaient parvenues à Edouard Jenner. Un pasteur du midi, Rabout Pommier, considérait l'inoculation à l'homme de la "picote" des génisses comme le meilleur traitement préventif de la variole, picote et variole étant, disait-il, la même maladie.
Plus tard, comme médecin, Jenner s'est rappellé l'histoire de la laitière. Posant des question à son entourage, un homme des environs lui aurait rappelé le dicton: "Si tu veux une femme qui n'aura jamais les cicatrices de la variole, mari une laitière".
Première vaccination contre la variole : 14 mai 1796
Quatre ans plus tard, et vingt ans après ses premiers travaux, le 14 mai 1796, Edward Jenner pratique la première inoculation du vaccin contre la variole. Il inocule du pus prélevé sur une pustule de cow-pox (la maladie de la vache) de la main d'une paysanne contaminée par sa vache, Sarah Nelmes, à un garçon de huit ans, James Philipps, qui n'avait jamais été en contact avec la variole. Au dixième jour l'enfant présenta une pustule vaccinale au point d'inoculation, qui guérit sans incident. Ensuite, Jenner lui fit subir une variolisation, qui n'eut aucun effet (après un délai d'observation de deux ans).
Jenner renouvela l'expérience une trentaine de fois, selon des procédés différents: "de bras à bras", "directement" et publie ses résultats, en juin 1798 sous le titre "An Inquiry into the Causes and Effects of the Variolae Vaccinae..." ("Enquête sur les causes et effets de la variole vaccine, maladie découverte dans certains comtés occidentaux de l'Angleterre, notamment dans le Gloucestershire, et connue sous le nom de cow-pox.") "Je n'ai jamais observé de cas mortels de cow-pox et comme il est clair que cette maladie laisse la constitution dans un parfait état de sécurité vis-à-vis de l'infection variolique, nous ne pouvons nier qu'un tel mode d'inoculation devra être adopté".
Dès l'année suivante il adresse à la Société Royale de Londres un rapport dont l'impression lui est refusée; il le fait alors imprimer à ses frais et commence une active propagande. On commence à vacciner à Londres d'abord, puis dans différents pays d'Europe et en 1802 les résultats sont tels que le Parlement anglais lui octroie une subvention de 10.000 livres.
En 1803 se crée la "Royal Jennerian Society". Une "Fondation Nationale." est créée en 1808. Jenner devient rapidement l'homme le plus en vue du monde entier et en France l'empereur Napoléon Ier ordonnera en 1805, de vacciner tous les soldats de la Grande Armée n'ayant pas eu la variole, et fait vacciner le roi de Rome le 11 mai 1811. En 1813 Oxford lui confère le titre de Docteur en médecine Honoraire.
En visite à Londres en 1814, Jenner est présenté aux souverains alliés.
Jenner publie en 1822 "On the influence of artificial eruptions in certain Diseases." puis présente à la Royal Society : "On the migration of birds."
Son œuvre eut une portée beaucoup plus grande que la simple victoire sur la variole : elle orienta le cours des sciences médicales vers l'immunologie et l'anaphylaxie. De cette nouvelle méthode dériveront toutes les autres mesures d'immunisation passive.
Après plusieurs hémiplégies régressives, Jenner succombe à une hémorragie cérébrale le 23 janvier 1823.
Trois quarts de siècle plus tard, Louis Pasteur prit pour point de départ les travaux de Jenner pour établir le principe des vaccinations préventives, qui doivent d'ailleurs leur nom à la vaccine.