La vie de Pasteur
La vie de Pasteur est toute empreinte de simplicité et de qualité morale. Tout dans son œuvre scientifique est articulé avec tant d'harmonie, qu'on dirait l'homme prédestiné et sa mission réglée par quelque puissance surnaturelle.
Louis Pasteur est né à Dôle dans le Jura le 27 décembre 1822, il est le cadet d'une famille de quatre enfants. Il a huit ans lorsque ses parents quittent Dôle pour s'installer définitivement à Arbois.
Dans cette maison qui abrita la tannerie de son père, Louis Pasteur reviendra en vacances sa vie durant. La famille Pasteur est catholique et bonapartiste. Les débuts scolaires au collège d'Arbois du jeune Louis sont sans histoire, il a tout d'abord démontré un don certain pour le dessin, mais ses talents artistiques passeront rapidement au second plan. En 1839, il entre au Collège Royal de Besançon et y passe le baccalauréat ès lettres en 1840, il est Maître d'études avant de passer son baccalauréat ès mathématiques à Dijon en 1842.
A Paris il suit des conférences à la Sorbonne et effectue au lycée Saint-Louis une année de préparation à l'entrée à l'Ecole Normale, qu'il intègre en 1843. Il a pour maître Jean-Baptiste Dumas, ce professeur fait sur lui une impression profonde : "... Un de ces éveilleurs d'idées qui suscitent les vocations scientifiques."
Licencié ès sciences en 1845, il est nommé professeur de physique au lycée de Tournon en Ardèche, mais reste attaché à l'Ecole Normale Supérieure comme agrégé préparateur.
Dorénavant les travaux de Pasteur vont se dérouler sur trois périodes.
Le physicien et le chimiste : 1847—1862
En août1847, il obtint un doctorat ès sciences (physique et chimie) . Il est convaincu que pour progresser sur le chemin du savoir scientifique il faut associer différentes disciplines, c'est pourquoi il soutiendra deux thèses pour le doctorat, l'une de chimie, l'autre de physique; le sujet de sa thèse de physique:
"Recherches sur la capacité de saturation de l'acide arsénieux. Etudes des arsénites de potasse, de soude et d'ammoniaque.- Paris : Impr. de Bachelier, 1847, 40 p. Comprend : 1. Etudes des phénomènes relatifs à la polarisation rotatoire des liquides. 2. Application de la polarisation rotatoire des liquides à la solution de diverses questions de chimie" ces sujets indiquent assez bien l'orientation de ses premiers travaux sur la dissymétrie moléculaire.
Il exerce comme professeur de physique au lycée de Dijon en 1848. Il entreprend des recherches sur le dimorphisme et fait à l'Académie des Sciences une communication historique "Sur la relation qui peut exister entre la forme cristalline et la composition chimique, et sur la cause de la polarisation rotatoire" (le dédoublement du paratartrate de soude et d'ammoniaque) qui par sa qualité, lui assure bientôt la notoriété. Puis en 1849 il est nommé professeur agrégé suppléant de chimie à la faculté des sciences de Strasbourg.
Il épouse, le 29 mai 1849, Marie Laurent, fille du recteur de l'académie de la ville. Pour se faire accueillir, il fait état de ses plus nobles projets, pense plus sérieusement à l'Institut. Mais c'est un amoureux émotif et attendri, doutant et espérant, il écrit : "Je sens bien que je n'ai rien de ce qui, tout d'abord, plaît à une jeune fille. Mais mes souvenirs me disent que quand j'ai été beaucoup connu des personnes, elles m'ont aimé." Il songe presque à abandonner ses cristaux tant son cœur est déchiré et impatient. Le mariage sera qualifié "d'union exemplaire." De 1850 à 1863 naissent, dans le ménage de Pasteur quatre filles et un fils; trois des filles meurent entre 1859 et 1866. Durant quelques mois, à la suite de la mort de sa mère, Pasteur va rester effacé, plongé dans un chagrin profond. Son équilibre affectif retrouvé, il s'intéressa à nouveau avec plus d'ardeur à ses travaux.
En 1851 et 1852 Pasteur publie deux mémoires sur les acides aspartique et malique.
Il devient titulaire de la chaire de chimie de la faculté de Strasbourg en 1852 et découvre qu'un rayon de lumière polarisée est dévié ou non, selon la nature de la solution qu'il traverse. La stéréochimie des cristaux est née.
Cette même année, c'est la Révolution. Pasteur rassemble ses modestes économies pour les offrir à la Patrie en un autel élevé place du Panthéon.
En 1853, Pasteur est fait Chevalier de l'Ordre Impérial de la Légion d'Honneur. Il reçoit le prix de la Société de Pharmacie de Paris pour la synthèse de l'acide racémique.
En 1854, après plusieurs années de recherche et d'enseignement à Dijon et à Strasbourg, Pasteur est nommé professeur et doyen de la faculté des sciences de Lille. En 1855 il débute ses études sur la fermentation et la vie anaérobie.
En 1857, il est rappelé à Paris, où il est nommé administrateur et directeur des études scientifiques de l'école Normale Supérieure de Paris.
Cette même année il publie un "Mémoire sur la fermentation appelée lactique", qui établit l'origine microbienne de la fermentation et peut être considéré comme l'acte de naissance de la microbiologie.
L'année suivante il installe son laboratoire dans les greniers de l'école Normale, rue d'Ulm et commence son enquête sur la "génération spontanée"
.
Le 5 novembre 1860 suite à une précédente communication relative aux générations dites spontanées il déclare devant l'Académie des Sciences dont il n'est pas encore membre: "Ce qu'il y aurait de plus désirable, serait de conduire assez loin ces études pour préparer la voie à une recherche sérieuse de l'origine des diverses maladies".
Le biologiste : 1862—1877
Le 8 décembre 1862 il est élu à l'Académie des Sciences (section minéralogie) et en 1863 il est nommé professeur de géologie, physique et chimie appliquées, à l’École des Beaux-Arts.
Après avoir installé un laboratoire à Arbois, il fait une communication en 1865, à l'Académie des sciences sur un procédé de conservation et d'amélioration des vins par chauffage modéré à l'abri de l'air. Pasteur en dépose le brevet sous le nom de "pasteurisation".
En 1867, à la suite de désordres à l'école Normale, Pasteur avait dû résilier ses fonctions d'administrateur. Mais il devient directeur du laboratoire de chimie physiologique qui est créé à l'école Normale, il avait également été nommé professeur de chimie organique à la Sorbonne, en remplacement de son ancien maître Balard. Mais l'attitude hostile autant qu'injuste des Normaliens l'avait vivement peiné. Il reçoit le Grand Prix de l'Exposition universelle pour ses études sur le vin. D'autre part les marchands de graines de vers à soie, craignant pour leur négoce, lui suscitaient des luttes sans fin, qui empêchaient l'application de ses méthodes. S'il ne craignait pas la polémique, les injustices l'affectaient au plus haut point; elles le fatiguaient énormément et le laissaient complètement désemparé. Il eut de plus à gravir un douloureux calvaire, car il perdit en peu de temps son père et ses deux filles.
En 1868, il est fait docteur en médecine de l'Université de Bonn.
Le 19 octobre 1868, alors qu'il revenait d'une séance de l'Académie des Sciences, il n'a que quarante-cinq ans, Pasteur est victime d'une hémiplégie gauche. On craint d'abord pour sa vie, il conserve l'usage de la parole, et jusqu'au terme de son existence il gardera un avant-bras fléchi et contracturé, une démarche difficile et lente. L'Empereur Napoléon III l'envoya se reposer dans une villa qu'il possédait à Trieste, et le fait Commandeur de la Légion d'Honneur.
En 1870, Pasteur publie les Etudes sur la maladie des vers à soie. Mais cette année là éclate la guerre franco-allemande. Pasteur qui était extrêmement patriote eut un grand chagrin de ne pas pouvoir servir son pays. Il eut en revanche la consolation de voir son fils s'engager à 18 ans pour aller faire son devoir dans l'Armée de l'Est. Après l'inutile bombardement de Paris il adresse sa protestation au vainqueur en retournant au doyen de la Faculté de Médecine de Bonn, le diplôme de Docteur Honoraire qui lui avait été décerné. Il assurait les professeurs de tout son respect, mais ne voulait pas voir son nom accolé plus longtemps à celui d'un roi, qui, pour satisfaire un orgueil criminel, s'obstinait dans le massacre de deux grands peuples. En retour Pasteur reçut du doyen de Bonn une lettre de grossières injures.
Pasteur effectue un séjour dans sa province natale, il gagne Clermont-Ferrand où l'appelle son ancien préparateur, Émile Duclaux; il s'intéresse alors aux maladies de la bière.
Après l'abdication de Napoléon III et la guerre contre la Prusse, Pasteur, fervent napoléonien, ne reprend que lentement ses recherches. Il s'étonna que l'on n'ait pas trouvé d'hommes supérieurs au moment du péril. De l'armée d'Alsace, le chirurgien Sédillot signale l'affreuse mortalité des blessés, les ravages que font les complications infectieuses des plaies. Lister, inspiré des travaux de Pasteur, publie dès 1867 dans "The lancet of king's college" à Londres les premières étapes de l'antisepsie. Dans une lettre il remercie Pasteur pour ce dont la chirurgie lui est redevable.
Pasteur est élu en avril 1873 à l'Académie de Médecine (avec une seule voix de majorité). Dans cette noble assemblée, entouré de médecins, il est parfois mal à l'aise : ceux-ci semblent trop souvent dire : "Je viens de sauver mon semblable" !
A partir de 1874, Louis Pasteur agrandit, aménage et transforme sa résidence arboisienne pour en faire une coquette demeure familiale.
En juillet 1874, la Troisième République lui attribue une rente viagère de 25.000 francs, après le vote par la Chambre des députés reconnaissant que le savant "avait rendu d'éminents services à l'état," avec le grand cordon de la Légion d'Honneur.
En 1876, il présente sa candidature aux élections sénatoriales du Jura, mais essuie un échec.
Le savant au service de la médecine et de la chirurgie : 1877—1887
Pasteur résilie ses fonctions de professeur en raison de son état de santé et pourra se consacrer exclusivement à ses travaux de recherche sur les maladies contagieuses des animaux et de l'homme à partir de 1877. En 1878, il publie un mémoire sur "La théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie"; il y énonce les conditions idéales de la stérilisation.
Puis Louis Pasteur découvre le principe du vaccin au moyen de cultures atténuées du choléra des poules, s'attaque au problème de la maladie du charbon chez le mouton et de la rage chez l'être humain. En 1880 il est nommé membre de la Société centrale de Médecine vétérinaire.
En 1881 il est élu à l'Académie française où Renan le reçoit le 27 avril 1882, en remplacement de Littré, et le compare à Galilée, Pascal, Michel-Ange, Molière : "Cette base commune de toutes les œuvres belles et vraies, cette flamme divine, ce souffle indéfinissable qu'inspire la science et la littérature, nous l'avons trouvé en vous, Monsieur, c'est le Génie". Il a 59 ans, mais il n'est pas encore arrivé au plus haut sommet de la gloire, il lui faut encore vaincre la rage réputée incurable. Il est promu Grand Officier de la Légion d'Honneur.
Le 10 août 1884 au "Congrès périodique international des siences médicales de Copenhague" il fait une communication de ses expériences sur les microbes pathogènes et les virus-vaccins; il expose le principe général des vaccinations contre les maladies virulentes (vaccination contre la rage de chiens avec des moelles de lapins desséchées puis inoculées), sa communication est accueillie par des acclamations enthousiastes.
Si le vaccin contre le charbon est mis au point dès 1881, il faudra attendre 1885 pour que le jeune Joseph Meister soit le premier humain a être vacciné avec succès contre la rage. Cette découverte vaut une reconnaissance mondiale au scientifique, et plus encore, la participation internationale à la création de l'Institut Pasteur.
Malheureusement il est victime d'une seconde attaque d'hémiplégie. Convalescent en mai 1887 il siège à l'Académie de Médecine. En juillet de la même année il est élu Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, pour les Sciences physiques.
Louis Pasteur dans son laboratoire de l'École Normale Supérieure (rue d'Ulm).
Gravure d'Adrien Marie publié dans l'l'Univers Illustré le 12 Décembre 1885.
Copyright©Institut Pasteur
En 1888, une vaste souscription publique internationale permet de financer la construction de l'Institut Pasteur à Paris qui sera tout à la fois "un dispensaire pour le traitement de la rage, un centre de recherche pour les maladies infectieuses et un centre d'enseignement pour les études qui relèvent de la microbie." c'est le condensé de toutes les idées que Pasteur a glanées au cours de sa vie.
L'Institut Pasteur est inauguré le 14 novembre 1888 par le Président Sadi Carnot, il ne tarde pas à se ramifier en un réseau réparti sur les cinq continents. Tous les Instituts perpétuent la dimension de l'action pasteurienne. Il fut dirigé par Pasteur lui-même, jusqu'à sa mort. Aujourd'hui, l'Institut Pasteur est réputé pour être l'un des principaux centres mondiaux d'étude des micro-organismes et des maladies infectieuses. La double hantise de résoudre les problèmes et de servir l'humanité justifie la gloire universelle qui est devenue la sienne.
L'année 1888 marque aussi la fin des travaux de Pasteur tant il est affaibli par de nouvelles hémorragies cérébrales. Il vivra désormais dans l'Institut Pasteur où il aura la joie de voir ses élèves attirer auprès d'eux des chercheurs du monde entier.
Le 27 décembre 1892 va marquer son apothéose à l'occasion de la cérémonie de son jubilé: à l'initiative des professeurs Bouchard et Guyon, au grand amphithéâtre de la Sorbonne vibre un immense public réuni pour fêter les 70 ans du grand homme et une destinée prodigieusement accomplie. Pasteur entre au bras du Président de la République devant les applaudissements d'une foule enthousiaste et respectueuse. Lister apporte l'hommage de la médecine et de la chirurgie en faisant l'éloge de celui qui avait levé le voile sur les maladies infectieuses et leur origine microbienne, auquel Pasteur répond: "A travers cet éclat, ma pensée se rapporte avec mélancolie vers le souvenir de tant d'hommes de sciences qui n'ont connu que des épreuves."
Louis Pasteur décède quelques années plus tard, le 28 septembre 1895, à Villeneuve-l'Étang (domaine sur la commune de Marnes-la-Coquette, en Ile de France). Des funérailles nationales lui sont réservées le 5 octobre suivant, au cours desquelles son corps est déposé dans la crypte de Notre-Dame de Paris. En 1896, à la demande de son épouse son corps fut placé dans la crypte de l'Institut où il repose au milieu de ses disciples.
Louis Pasteur le pionnier de la bactériologie
Les travaux de Pasteur
1- La cristallographie ou stéréochimie des cristaux
Dès ses thèses de doctorat, Pasteur réunit les méthodes de la cristallographie et de l'optique en vue d'élucider un problème de constitution moléculaire sur lequel des chercheurs éminents ne trouvaient pas de solution.
A l'aide d'une solution contenant des bactéries et des moisissures, Pasteur sépare les 2 formes de cristaux d'acide tartrique (cristaux de tartrate et de paratartrate), pour former 2 tas : il montra que des molécules organiques de structure identique ne dévient pas toutes la lumière de la même façon. On observe les formes dextrogyres, qui dévient le rayon vers la droite, et les formes lévogyres, qui le dévient vers la gauche. Un mélange des deux solutions ne dévie pas cette lumière.
"Il y a dissymétrie moléculaire des produits organiques naturels." Le recoupement de méthodes inaugure ainsi une science, la stéréochimie. Pasteur vient de mettre en évidence l'isomérie (les formes dextrogyre et lévogyre d'une même molécule sont appelées isomères de cette molécule). "La vie est fonction de la dissymétrie de l'Univers" : la dissymétrie est la grande ligne de démarcation entre le monde organique et le monde minéral. Il formule la loi selon laquelle: "seuls les produits nés sous l'influence de la vie sont dissymétriques, cela parce qu'à leur élaboration président des forces cosmiques qui sont elles-mêmes dissymétriques".
2- Fermentations, vie anaérobie et génération spontanée
1854-1857
En 1854, Pasteur partit pour Lille, devint doyen de la faculté des sciences et professeur de chimie. A l'origine, cette faculté avait été fondée, en partie au moins, pour résoudre les problèmes pratiques de certaines industries de la région, en particulier dans le domaine de la production de boissons alcoolisées. Dès 1855, Pasteur débute des études sur la fermentation. Au temps de Pasteur, le terme de fermentation était appliqué aux altérations qui se produisent souvent dans les solutions organiques et qui aboutissent à des substances alcoolisées ou acides. Les processus fermentaires étaient déjà connus dans l'Antiquité: ils permettent en effet d'obtenir des aliments agréables et des boissons savoureuses.
Les changements qui se produisent dans les cuves de fermentation laissaient croire à l'existence de forces mystérieuses. L'idée que les levures jouent un certain rôle dans ce phénomène n'était pas nouvelle, mais c'est Pasteur qui démontra en 1856 que la production d'alcool est bien due à des micro-organismes très difficiles à voir au microscope.
C'est en examinant une solution d'acide paratartrique qu'il s'était aperçu que, sous l'effet d'une moisissure, cet acide avait fermenté et qu'il s'était dissocié : on ne trouvait plus dans le liquide fermenté que l'acide tartrique gauche, l'acide tartrique droit avait été décomposé "désassemblé". Ainsi, une substance inactive sur la lumière polarisée (acide paratartrique) était devenue active (acide tartrique gauche) sous l'influence d'une fermentation.
1857-1862
En 1857 il publie deux Mémoires l'un sur la fermentation lactique, l'autre sur la fermentation alcoolique. Dans les conditions naturelles, toutes les fermentations sont l'œuvre d'un micro-organisme vivant : le ferment. "Les fermentations sont une œuvre de vie." et à chaque fermentation répond un ferment particulier. Il arrive à multiplier ces micro-organismes et c'est à cette occasion qu'il imagina la méthode des cultures pures qui sera dorénavant la base des études bactériologiques. Certains ferments ne peuvent vivre qu'en présence d'oxygène. Pour d'autres, au contraire, l'oxygène a la valeur d'un poison. Ainsi la distinction était faite pour la première fois entre deux modes de vie: l'aérobiose et l'anaérobiose. Il démontre que les germes n'apparaissent pas spontanément dans les milieux fermentescibles, mais qu'ils proviennent du milieu environnant et se multiplient lorsqu'ils rencontrent des conditions favorables. Un milieu nutritif stérilisé par chauffage ne peut pas fermenter s'il est conservé à l'abri des germes: telle est la fameuse conclusion des expériences avec les ballons à "col de cygne". On parlait ainsi de fermentation alcoolique, de fermentation acétique ou de fermentation butyrique.
C'est l'origine de toute la technique microbiologique. Pasteur s'est ainsi affirmé comme chimiste-biologiste.
En 1859 le Prix de Physiologie Expérimentale de l'Académie des Sciences lui ait décerné pour ses travaux sur les fermentations.
Il étudie la formation du vinaigre et la transformation de l'alcool en acide acétique par un micro-organisme, le Mycoderma aceti, qui fixe l'oxygène de l'air sur l'alcool. Il montre aux vinaigriers comment obtenir un vinaigre d'une qualité constante. En 1861 le Prix Jecker Académie des Sciences pour les recherches sur les fermentations lui ait attribué, il publie dans le bulletin de la Société chimique de Paris l'ensemble des résultats sur la question du vinaigre.
3- Controverse à propos de la génération spontanée
Depuis que l'humanité peut contempler le monde dans lequel elle vit, l'origine des micro-organismes dans la nature était un vaste débat et depuis très longtemps, on croyait que les organismes inférieurs pouvaient naître de conditions physico-chimiques particulières, idée selon laquelle la vie peut émerger du non-vivant, c'était la théorie de la génération spontanée.
La question était : d'où viennent les ferments, provoquant les fermentations? Proviennent-ils de germes semblables à eux ou apparaissent-ils spontanément dans les milieux fermentescibles? Le biologiste français, Félix-Archimède Pouchet, directeur du Muséum d'Histoire Naturelle de Rouen, prétendait que les micro-organismes étaient le résultat d'une génération spontanée, pour lui, renier la génération spontanée, c'était renier la création divine.
Dès 1861 Pasteur était fermement convaincu, à l'inverse, que la génération spontanée était impossible et que tout germe provient nécessairement d'un autre germe. Pasteur mis en œuvre des expériences montrant que ces organismes existent tout simplement dans les poussières de l'air et qu'il suffit de maintenir un milieu de culture à l'abri de l'air pour qu'il reste indéfiniment stérile; ce sera la base de l'asepsie et de la grande révolution chirurgicale du XXe siècle. "Il n'y a ni religion, ni philosophie, ni athéisme, ni matérialisme, ni spiritualisme qui tienne... Tant pis pour ceux dont les idées philosophiques sont gênées par mes études."
En 1862 il a le Prix Alhumbert pour ses recherches sur la génération spontanée. Cette même année Pasteur affirme "la génération spontanée est une chimère: chaque fois qu'on y a cru, on a été le jouet d'une erreur".
Quant à la théorie de la génération spontanée, elle ne se relèvera pas de cette expérience cruciale, qui ouvre à Pasteur les portes de l'Académie des Sciences à l'âge de 39 ans.
Pour ou contre la génération spontanée, la controverse déclencha les passions et fut débattue à l'Académie des sciences, qui trancha officiellement en faveur de Pasteur. C'est dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, le 7 avril 1864 devant un immense auditoire composé de savants, d'étudiants, de curieux instruits et de badauds que Pasteur fait sa communication selon laquelle il n'y a aucune circonstance connue permettant d'affirmer que des êtres microscopiques sont venus au monde sans parents semblables à eux.
Ces débats se prolongèrent jusque dans les années 1870, donnèrent un élan considérable à la microbiologie, et en particulier aux méthodes expérimentales.
4 - Travaux sur les maladies du vin et de la bière - la pasteurisation
En 1863, Napoléon III avait des problèmes avec sa flotte, parce que la perte rapide du vin en mer, après seulement quelques semaines, poussait les marins à la mutinerie. Les rêves de grandeur de Napoléon étant alors tenus en échec par quelques barils de vinaigre, il demanda à Pasteur de l'aider. Pasteur ayant été élevé à Arbois, ville renommée pour ses excellents vins, en 1864 il installe un laboratoire dans cette ville et étudie I'influence de l'oxygène de l'air sur la vinification à l'aide de son microscope. Pasteur réalisa une étude microbiologique du vin en distinguant des germes "parasites", qui se développent en plus des microorganismes responsables de la fermentation "normale" qui causaient la perte du vin. Dès 1865 il apprend alors aux industriels des fermentations (brasseurs, viticulteurs, fabricants de vinaigre...) à n'utiliser que des souches pures de microorganismes, pour éviter les accidents de production. L'étude de la transformation du vin en vinaigre lui permet aussi d'indiquer aux fabricants de vinaigre d'Orléans des améliorations qui rendent la fabrication du vinaigre plus complète et plus rapide.
Mais il ne se contente pas d'étudier les micro-organismes qui les produisent, il "trouve le remède au mal dont il a fait connaître la cause", Pasteur met au point une technique permettant de réduire le niveau de contamination d'un milieu grâce à un chauffage de quelques minutes entre 55° et 60°C en l'absence d'air, sans modifier le goût du vin.
Cette méthode, appliquée à tous les liquides altérables, est connue dans le monde entier sous le nom de "Pasteurisation".
Pasteur s'intéressa également au problème du lait aigre et proposa une solution similaire: chauffer le lait à haute température et le pressuriser avant la mise en bouteille. Ce procédé sera également appliqué au traitement moderne des liquides en bouteilles pour la conservation du lait et des jus de fruits. (Il est important de savoir que la pasteurisation n'est pas une stérilisation.)
Pasteur s'est également occupé d'améliorer la fabrication de la bière pour laquelle la France est tributaire de l'Allemagne, c'est ainsi qu'il montra dans une publication sur la bière en 1876 qu'on peut obtenir une bière claire et savoureuse en procédant à une stérilisation du moût par chauffage, suivie d'un refroidissement à l'abri de toute contamination, et avant mise en fermentation au moyen de levures pures et sélectionnées.
5- Les maladies du ver à soie Tudes en 1865, 1866 et 1867.
Jean-Baptiste Dumas est devenu entre temps Ministre de l'Agriculture; en 1865 il charge son élève Pasteur d'étudier à Alès dans le Gard les maladies qui déciment les élevages de vers à soie : la pébrine et la flacherie des magnaneries et qui menacent de ruiner cette industrie prospère. Au terme de quatre ans d'observations et d'expériences sur place, Pasteur aboutit à la conclusion que certains petits corpuscules ovoïdes de 2 à 3 µ de longueur, qui abondent dans les différents organes des vers à soie et des papillons et qui existent même dans les œufs, étaient des organismes pathogènes.
Il surveilla alors les éclosions et démontra que la pébrine n'est pas seulement contagieuse, mais également héréditaire. En 1870 il publie des études sur les maladies des vers à soie. Il en conclut qu'il fallait séparer les œufs malades des œufs sains, c'est le "grainage sélectionné" qui lui permettra de supprimer l'épidémie en détruisant les pontes dues à des femelles contaminées. En adoptant cette méthode de sélection, l'industrie de la soie fut sauvée. Pasteur, regroupant ces données, insistait à juste titre sur l'importance du terrain en pathologie infectieuse.
6- Les maladies infectieuses contagieuses: "théorie des germes", l'asepsie
Les travaux de Pasteur sur la fermentation et sur la génération spontanée, les maladies de la bière et du vin et les maladies du ver à soie ont amené Pasteur à la conviction que la plupart des maladies de l'homme sont dues également à des micro-organismes. Cette idée eut un impact considérable en médecine. Il pensait en effet que l'origine et le développement des maladies étaient comparables à la fermentation: une maladie apparaît à cause de germes externes attaquant l'organisme, de la même façon que des micro-organismes envahissent le lait et entraînent sa fermentation. Ce concept, appelé "théorie des germes", fut longuement débattu par les médecins et les scientifiques du monde entier. L'idée que des micro-organismes puissent tuer des organismes beaucoup plus gros semblait ridicule.
Le débat dura plusieurs années, puis les recherches de Pasteur plaidèrent en sa faveur. Au cours de sa carrière, Pasteur put développer la théorie des germes pour expliquer plusieurs maladies. Il n'hésite plus à se lancer dans cette étude lorsqu'il est élu à l'Académie de Médecine en avril 1873.
En février 1874, un chirurgien écossais, Joseph Lister, écrivait à Pasteur: "Mes plus cordiaux remerciements pour m'avoir par vos brillantes recherches démontré la vérité de la théorie des germes de putréfaction et m'avoir ainsi donné le seul principe qui peut mener à bonne fin le système antiseptique."
Sous l'influence de Broussais la chirurgie a éprouvé en effet un véritable recul: à la suite des applications de cataplasmes, de cérat et de charpie, toutes les plaies suppurent et la plupart des blessés et des opérés meurent d'infection purulente; d'autre part la fièvre puerpérale décime les maternités où 10% des accouchées meurent de la terrible maladie. Pasteur, ayant des amis dans les hôpitaux, osa y transporter ses tubes de cultures et ses pipettes stérilisées pour étudier les microbes de ces affections redoutables. En 1878 il publie un mémoire sur "La théorie des germes et ses applications à la médecine et à la chirurgie" et notes sur le choléra des poules. Le 30 avril 1878, il enseigne aux chirurgiens et aux accoucheurs que ce sont les mains, leurs instruments et leurs objets de pansement, qui véhiculent les germes d'une femme malade à une femme saine et d'un blessé infecté à un autre blessé "Si j'avais l'honneur d'être chirurgien [...], je n'emploierais que de la charpie, des bandelettes, des éponges préalablement exposées à un air porté à la température de 130 à 150 °C. Je n'emploierais jamais qu'une eau qui aurait subi la température de 110 à 120 °C..." en conséquence il leur apprend à se laver les mains, à flamber les instruments et à stériliser les objets de pansement, pour ne plus disséminer la mort autour d'eux. En d'autres termes il crée l'asepsie à l'époque où Lister en Écosse et Lucas-Championnière en France créaient l'antisepsie. Ce fut une véritable révolution. Dans la chirurgie et dans l'obstétrique, elle ne se fit pas sans peine et souvent Pasteur revint découragé, mais grâce à son entêtement les idées nouvelles firent peu à peu leur chemin et finalement la vérité triompha.
A ce moment on demande à Pasteur de vouloir bien s'intéresser à une maladie terrible, le charbon, qui s'attaque aux ruminants et surtout aux moutons. Nous savons qu'en 1850 le médecin parisien Casimir Davaine avait décrit dans le sang des animaux malades un micro-organisme en forme de bâtonnet, auquel il avait donné le nom de "Bactéridie" (Bacillus anthracis) et qu'il considérait comme la cause de la maladie. En 1876, Pasteur confirme l'observation de Davaine. S'étant installé dans une ferme des environs de Chartres avec ses agrégés préparateurs Émile Roux et Chamberland, Pasteur montre bientôt comment se fait l'infestation par voie digestive et comment on peut préserver les animaux de la maladie.
Pasteur passa le reste de sa vie à identifier différents facteurs pathogènes, et travailla à leur prévention grâce à la vaccination. C'est ainsi qu'il a découvert également :
- le vibrion septique (1877)
- le staphylocoque (1880) cause des furoncles et de l'ostéomyélite
- le streptocoque (1880), cause des fièvres puerpérales
- le bacille du choléra des poules (1880)
- le pneumocoque (1881)
7- Premières vaccinations: choléra des poules, charbon, rouget du porc et rage
Le Choléra des poules
En été 1880, Pasteur et ses collaborateurs, Roux et Duclaux, en étudiant le choléra des poules découvrent le grand principe de la vaccination par les virus vieillis (donc moins virulents: on dit "atténués") les cultures vieillies du microbe du choléra injectées aux poules ne déclenchent pas la maladie. De plus, les poules résistent ensuite à des injections de souches virulentes. Pasteur expose pour la première fois le principe des virus-vaccins. Il adapte rapidement le principe de la vaccination à d'autres maladies comme le charbon ou le rouget du Porc.
La maladie du charbon des moutons, le "Secret de Pouilly-le-Fort"
Vers 1880, les troupeaux de moutons, de la région de Melun sont décimés par la maladie du charbon (appelée aujourd'hui anthrax, du Grec anthraxis = charbon) : les animaux sont fièvreux, leur sang devient incoagulable et noir et ils meurent d'une septicémie. D'autres animaux sont à leur tour atteints.
Le vétérinaire melunais Hippolyte Rossignol était au départ très critique sur les thèses de Pasteur. Il propose néanmoins que sa ferme de Pouilly-le-Fort serve de terrain d'expérimentation à grande échelle de ce qui n'est encore qu'hypothèse du laboratoire de l'Ecole Vétérinaire d'Alfort. Le baron de La Rochette, président de la Société d'Agriculture de Melun, signe avec les organisateurs une convention précisant que :
- La Société met à disposition de M. Pasteur 60 moutons
- Dix de ces moutons ne subiront aucun traitement
- On vaccinera 25 de ces moutons, en deux fois à 12 jours d'intervalle
- Après un nouveau délai de 12 jours, on inoculera à ces 25 moutons, et à 25 autres moutons non vaccinés, le microbe du charbon dans sa forme virulente. On observera ensuite les résultats
Le 5 mai 1881, pour démontrer sa théorie, Pasteur réalisa une expérience publique, à Pouilly-le-Fort, de vaccination de moutons contre la maladie du charbon Il commença par inoculer à vingt-cinq moutons ses bacilles atténués. Quelques jours après, il leur injecta une concentration particulièrement forte du bacille normal. Il injecta également cette solution à vingt-cinq moutons qui n'avaient subi aucun traitement préalable. Comme animaux témoins, il prit dix moutons auxquels il ne fit strictement rien.
Les moutons du premier groupe et les moutons témoins devaient survivre, tandis que ceux du deuxième groupe, non vaccinés, devaient tous mourir. Et de fait, c'est ce qui se passa. Encore une fois, Pasteur avait démontré le bien-fondé de ses théories grâce à une expérience spectaculaire et bien menée. Des expériences faites à Melun et à Chartres ayant donné des résultats indiscutables, bœufs et moutons sont bientôt vaccinés par milliers et la mortalité tombe de 10% à 1%.
Certains reprochent à Pasteur d'avoir induit le public scientifique en erreur quant à la façon exacte dont se déroulèrent les expériences sur la vaccination contre le charbon. On parle à ce sujet du « Secret de Pouilly-le-Fort ».
Dès 1878, Chamberland participe avec E. Roux et A. Vinsot à la campagne d'étude sur le mode d'infection des troupeaux par la bactérie charbonneuse, menée par L. Pasteur. En 1880, Chamberland prend part aux expériences de vérification du vaccin anticharbonneux de Toussaint, et démontre que le vaccin n'est pas efficace.
Quelques jours avant la signature du protocole expérimental de Pouilly-le-Fort ( décrite ci-dessus), Ch. Chamberland se livre avec L. Pasteur à une expérience comparative. Chacun prépare un vaccin anticharbonneux, Pasteur traitant la culture microbienne par l'oxygène de l'air, Chamberland et Roux par un antiseptique, le bichromate de potassium. Le second vaccin s'avère être le plus efficace; Pasteur l'utilisera lors des expériences, couronnées de succès, de Pouilly-le-Fort.
Adrien Loir, neveu et ancien assistant-préparateur de Pasteur a raconté, dans des souvenirs publiés en 1937-1938, qu'en fait, au moment où Pasteur signa le protocole de l'expérience, le procédé d'atténuation par l'oxygène ne donnait pas satisfaction et que, finalement, Pasteur utilisa la méthode de Chamberland et Roux au bichromate de potassium.
ll est donc maintenant incontestable que le vaccin utilisé à Pouilly-le-Fort contre le charbon fut bien le vaccin atténué à l'aide de bichromate de potassium. Or, dans toutes les publications de Pasteur sur Pouilly-le-Fort, non seulement il n'est pas question du bichromate de potassium, mais Pasteur, sans affirmer formellement qu'on avait utilisé l'oxygène comme moyen d'atténuation, s'exprime de façon à le faire conclure au lecteur.
Des interprétations contradictoires sur l'attitude de Pasteur, ont été avancées par Geison et Cadeddu.
La Fièvre jaune
En 1881, il fait des études sur la fièvre jaune près de Bordeaux.
Le Rouget du porc
En 1883 il met au point le vaccin du rouget du porc à l'aide d'un virus atténué.
La Rage
De 1880 à 1885 Pasteur développe ses études et expériences contre la rage. Pasteur n'étant pas médecin, il hésite à tenter l'expérience.
Étude sur les animaux
Pasteur a débuté ses recherches sur la rage en 1881, à la mort d'un enfant à l'hôpital Sainte-Eugénie. Il cherche à isoler le germe mais ne le trouve pas. Il montre que le virus inconnu de la rage se trouve dans les centres nerveux des animaux malades en particulier dans le bulbe et dans la moelle; de plus ayant desséché des moelles de lapins inoculés il constate que la dessiccation amène peu à peu la perte de la virulence, qui est complète vers le 14e jour. Broyant cette moelle inactive dans de l'eau stérilisée, Pasteur inocule le mélange dans la peau d'un certain nombre de chiens, après quoi il leur inocule chaque jour par le même procédé, la moelle de 13, puis de 12 jours et ainsi de suite jusqu'à la moelle d'un lapin mort le matin même; enfin pour terminer, il fait mordre ces chiens par des chiens enragés et aucun d'eux ne prend la rage. Il a donc trouvé le vaccin de la redoutable maladie. Une commission ministérielle ayant contrôlé les résultats il les fait connaître en août 1884 au Congrès International de Copenhague.
Mais Pasteur ne s'arrête pas là. Il a l'idée de vacciner des chiens déjà inoculés ou mordus et il constate que ces chiens résistent à la maladie; le vaccin est donc non seulement préventif, mais aussi curatif. Il a maintenant trouvé le traitement de la rage; il ne reste plus qu'à en faire l'application à l'homme.
En effet, dans toutes les expériences réalisées chez l'animal, la vaccination était pratiquée avant l'exposition au virus de la rage. Mais, « l'expérimentation, permise chez les animaux, est criminelle quand il s'agit de l'homme. »
Étude sur l'Homme
Ce pas décisif est franchi en mai 1885. Mais ce n'est pas sans raison que l'histoire n'a pas retenu le nom, ni même l'existence de l'homme (Girard) et de la fillette (Julie-Antoinette Poughon) qui ont été partiellement traités par la méthode de Pasteur. Dans le premier cas, le diagnostic de rage était douteux et le patient n'a reçu que 3 injections du vaccin, après quoi ses médecins ont demandé l'arrêt du traitement. La morsure datait de plus d'un mois. Le sujet, qui présentait lors de l'hospitalisation des symptômes pouvant évoquer la rage, est ressorti sur ses pieds quelques jours plus tard. Il était encore vivant un mois après le début de la symptomatologie clinique, ce qui infirme le diagnostic.
Le second cas est plus douloureux. Il s'agit d'une fillette chez qui le traitement a été commencé alors que les symptômes de la maladie étaient déclarés, plus d'un mois après une morsure. L'enfant mourra le lendemain du début du traitement. Plus de cent ans après, il n'y a toujours pas de traitement de la rage déclarée.
Or, voici que le 6 juillet 1885, Pasteur reçoit la visite de Marie-Angélique Meister dont le fils Joseph, âgé de 9 ans, a été mordu sur tout le corps par un chien soupçonné de porter la rage. Sur les conseils de Vulpian et de Grancher, tous deux professeurs à la Faculté de Médecine, Pasteur se décide d'autant plus que Grancher n'hésite pas à prendre la responsabilité du traitement et à pratiquer lui-même les inoculations. Tout se passe bien et le jeune Joseph Meister ne prit pas la rage. Bientôt un jeune berger du Jura, nommé Jupille, fut guéri dans les mêmes conditions. Dès lors les inoculations se multiplient; elles sont faites par les docteurs Grancher, Roux, Chamberland, et Charrin et c'est le chirurgien Térillon qui panse les blessures. En un an, sur 1726 malades qui vinrent de partout se faire traiter, il n'y eut que 10 décès, soit une mortalité de 0,5%, alors que l'année précédente 60 personnes étaient mortes de la rage dans les seuls hôpitaux parisiens.
Il semble que ces statistiques flatteuses ne tiennent pas compte des dix-neuf russes soignés par Pasteur (dont le cas a été révélé par Léon Daudet et Axel Munthe) qui développèrent la maladie et sur lequels, pour leur épargner les souffrances atroces, on pratiqua l'euthanasie avec le consentement de Pasteur.
Louis Pasteur termine sa communication du 1er mars 1886 à l'Académie des Sciences par ces mots : « La prophylaxie de la rage après morsure est fondée. Il y a lieu de créer un établissement vaccinal contre la rage. » Ce sera l'Institut Pasteur et les instituts associés. Et surtout, Pasteur en était tout à fait conscient en donnant le nom de vaccination à sa méthode de prophylaxie après morsure en hommage à Jenner, un pas décisif du point de vue conceptuel dans la connaissance, la prévention et le traitement des maladies infectieuses.
Dans les faits, on finit même par renoncer au traitement ordinaire de Pasteur-Roux à partir de moelles de lapin. En 1908, Fermi proposa un vaccin contre la rage avec virus traité au phénol.
Caractère de l'œuvre de Pasteur
Patrice Debré (1994) dit de lui : « Pasteur donne parfois même l'impression de se contenter de vérifier des résultats décrits par d'autres, puis de se les approprier. Cependant, c'est précisément quand il reprend des démonstrations laissées, pour ainsi dire, en jachère, qu'il se montre le plus novateur : le propre de son génie, c'est son esprit de synthèse. »
André Pichot (1994) le définit de même : « C'est là le mot-clé de ses travaux : ceux-ci ont toujours consisté à mettre de l'ordre, à quelque niveau que ce soit. Ils comportent assez peu d'éléments originaux (En note : Cela peut surprendre, mais les études sur la dissymétrie moléculaire étaient déjà bien avancées quand Pasteur s'y intéressa, celles sur les fermentations également; les expériences sur la génération spontanée sont l'affinement de travaux dont le principe était vieux de plus d'un siècle; la présence de germes dans les maladies infectieuses étudiées par Pasteur a souvent été mise en évidence par d'autres que lui; quant à la vaccination, elle avait été inventée par Jenner à la fin du XVIIIe siècle, et l'idée d'une prévention utilisant le principe de non-récidive de certaines maladies avait été proposée bien avant que Pasteur ne la réalisât.); mais, le plus souvent, ils partent d'une situation très confuse, et le génie de Pasteur a toujours été de trouver, dans cette confusion initiale, un fil conducteur qu'il a suivi avec constance, patience et application. »
"Pasteur a obéi toute sa vie à l'idéal le plus pur, à un idéal supérieur de science. L'avenir le rangera dans la radieuse lignée des apôtres du bien et de la vérité." Raymond Poincaré
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