Article inspiré par l'hommage à Maurice Allefresde par Jacques Bethemont, dans Géocarrefour, en 2002.
Maurice Allefresde est né en 1926, à Sainte-Marguerite-Lafigère, petit village ardéchois perdu aux confins du Gard et de la Lozère ; fils d'un instituteur de campagne il semblait naturellement voué à reconduire le modèle paternel en passant par l'École normale d'instituteurs de Privas, encore animée à la veille de la Seconde guerre mondiale par un pionnier un peu trop oublié de la Géographie ardéchoise, Elie Reynier, dont la forte personnalité et l'engagement social ont marqué plusieurs générations d'enseignants. La fermeture des Écoles normales détourna le futur instituteur vers le Lycée de Tournon puis vers l'École nationale de l'enseignement technique et enfin vers les Instituts de géographie de Strasbourg et de Lyon où il prépara l'Agrégation de géographie obtenue en 1958. Un parcours tout en inflexions qui devait le mener à la préparation d'une thèse sur la Scandinavie et à son intégration en 1960 dans le corps enseignant de l'Université de Lyon II, en tant qu'assistant.
Personnalité aux multiples facettes
Le cursus ainsi retracé pourrait n'être que celui d'un bon étudiant devenu ce qu'il est convenu d'appeler un jeune et brillant chercheur, n'étaient les multiples facettes d'une personnalité qui sortait du commun. L'homme était séduisant tant par sa prestance physique que par sa parole : un discours souvent très direct, à la fois imagé et châtié mais toujours simple, qui entraînait l'enthousiasme des étudiants et l'adhésion de ses interlocuteurs ruraux ou autres. Ces qualités étaient mises au service d'une grande rigueur intellectuelle. Parmi les nombreux écrits qu'il nous a laissé et dont certains mériteraient d'être réunis aux fins de publication, figure notamment un "Diagnostique et interprétation des besoins dans la formation des adultes" qui est le modèle parfait d'une didactique libérée des contraintes académiques et rendue accessible à tous parcequ'elle entraîne de suite l'acceptation d'un cheminement qui, tout en s'inscrivant sur le registre intellectuel, ne perd jamais le contact avec les réalités du vécu et l'expérience des stagiaires. Ce souci de contact, de communion avec un public universitaire ou non, était également celui d'un militant. Militant d'un parti politique, certes, mais surtout militant de toutes les causes humanitaires, libertaires ou sociales, et capable à ce titre de prendre bien des risques, notamment pendant la guerre d'Algérie qu'il avait vécue comme la guerre de libération d'un peuple.
Enseignant et militant
Durant les premières années de sa carrière universitaire, les deux facettes de Maurice Allefresde, l'enseignant et le militant ont été quelque peu dissociés mais la générosité de l'homme devait les amener à se fondre. Dès ses premières enquêtes en Scandinavie, il avait été frappé par diverses expériences suédoises d'animation et d'implantation d'activités artisanales dans des milieux ruraux aux marges de l'écoumène et, partant de ces exemples, il en était bvenu à critiquer le manque d'engagement des universitaires français dans des actions concrètes. Pour autant, et fort d'une expérience acquise en Amérique latine dans le cadre de missionseffectuées pour le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), il avait très vite renoncé à intervenir de l'extérieur en apportant des solutions et des modèles de développement conçus au plus haut niveau sans grand souci de participation impliquant les populations locales censées bénéficier d'investissements dont la logique leur était étrangère. sans doute l'influence d'Ignacy Sachs, apôtre sud-américain d'un développement auto-centré fut-elle pour beaucoup dans une évolution, une maturation de la pensée, qui l'a amené à se détacher progressivement au cours des années 1960, des normes convenues d'une carrière universitaire quelque peu bouleversé par le grand élan de 1968. Ainsi naquit, en 1975, le CERFA.
Universitaire et homme de terrain
Le Centre d'Etude et de Formation Rurales Appliquées (CEFRA) est le fruit de la rencontre entre l'universitaire et l'homme de terrain qu'était Maurice Allesfresde et le spécialiste de la formation qu'était André Boutin. L'un et l'autre poursuivaient le même objectif de revitalisation des régions rurales délaissées et marginalisées. L'Ardèche offrait un terrain de choix pour définir et mettre en œuvre une politique et une méthode d'intervention associant la formation des actifs locaux, agriculeurs, artisans, professions libérales ou petits chefs d'enttreprise, et le développement local. Cette méthode, longuement peaufinée et sans cvesse améliorée passe par l'étude de la zone d'intervention, l'analyse de la population et celle de la situation économique, ces diverses approches permettant de cerner les moteurs d'une possible croissance économique. Mais le véritable levier d'un développement en milieu rural s'avère, dans tous les cas, la reconquête par les intéressés de leur identité et de leur culture, de façon à ce qu'émerge une mentalité collective suscitant telle ou telle initiative à partir des traditions et des spécificités du milieu local.
À partir de l'expérience ardéchoise, le CEFRA puis ses multiples émanations dont Bioforce)Développement (1983-1990) et l'Université rurale de la Loire, se sont investis dans de multiples opérations, dans la Haute-Loire, puis dans les Pyrénées, les Vosges, l'Aquitaine, le Limousin, les îles bretonnes, la Haute-Marne, la Loire, bref dans toutes ces régions, ces petites cellules rurales, qui ont su, grâce à l'impulsion donnée par la méthodologie ainsi définie, retrouver la dynamique nécessaire à la mise en œuvre de projets que les instances régionales, nationales ou européennes ont pu conforter parce qu'elles les jugeaient crédibles.
Ce propos et cette œuvre, tout empreints de la forte personnalité de Maurice Allefresde, ne sont pas, contrairement à l'impression première, déconnectés de la vie universitaire. Tout d'abord, l'enseignement de Maurice Allefresde a été voué, pour l'essentiel, à la formation d'animateurs et formateurs en milieu rural. Il a fallu ensuite, toute l'autorité de l'universitaire chevronné pour faire avancer des dossiers, convaincre des élus ou des administrateurs, se poser en interlocuteur valable auprès des commissaires européens. Surtout, l'orateur enthousiaste doublé d'un sens du débat affiné par la pratique, a porté la bonne parole dans de multiples stages, congrès, séminaires qui ont permis la diffusion de ses méthodes d'intervention.
La recherche-action
Il est vrai que si toutes ces actions ont été menées dans le cadre d'une carrière universitaire, pour autant l'Université n'a pas pleinement adhéré à une pratique qui introduisait dans le sein de l'Alma mater, des acteurs qui n'étaient pas toujours issus du sérail, pratique qui passait en outre par de longs jours d'enquêtes ou de formation qui s'inscrivaient mal dans la routine des cours sagement professés à des heures et selon un calendrier bien définis. Cela n'a pas empêché Maurice Allefresde de s'adresser aux universitaires et plus particulièrement aux géographes, afin de les engager dans les voies de ce que l'on peut appeler la recherche-action. En témoignent de multiples interventions comme celle de Limoges en 1989 ou celle de Dijon en 1994 et enfin celle du Festival de Géographie de Saint-Dié. Il s'y ajoute de nombreux écrits théoriques de valeur sur la notion de région périphérique ou les concepts de l'éducation permanente. Mais tous ces écrits ont été publiés soit par des revues que l'Université ignore, soit dans le cadre de colloques non universitaires, soit enfin dans des rapports administratifs. Ajoutons que l'attention que les universitaires portent généralement à la conservation et à la diffusion de leurs écrits lui était parfaitement étrangère, tant lui étaient étrangers les principes de l'archivistique : une fois telle ou telle opération menée à bien, les précieux actes qui eussent permis d'en conserver la mémoire étaient purement et simplement oubliés, si ce n'est mis à la corbeille.
Ceux de ses écrits qui ont pu être sauvés constituent au final, un corps de doctrine fortement charpenté et sous-tendu par une idée- force : la Géographie est action, le reste n'est que littérature. De là une ligne de conduite qui passait par la formation-développement mais aussi par l'engagement civique. En témoigne son activité en tant que maire de la petite commune ardéchoise de Prunet. En témoigne également son dernier engagement dans la mise en place des structures d'intercommunalité de l'Ardèche, tâche interrompue par son décès brutal : tout est parti de l'Ardèche et tout y est revenu. Que ses cendres y reposent en paix.
Maurice Allefresde est décédé le 26 aoüt 2002.
Sources
- Maurice Allefresde par Jacques Bethemont, In Géocarrefour Vol. 77 n°2, 2002 pages 215-216
- Maurice Allefresde, La passion des hommes, des territoires et de leur développement, par Patrick Senault, membre du bureau du GREP (Groupe pour l'éducation et la prospective), octobre 2002.