Portraits d'ardéchois

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René BAUMER


1906 - 1982


Peintre, sculpteur, écrivain

D'après les textes de Daniel Contamin
dans les Cahiers du Mézenc et la biographie du site officiel.

René Baumer , auttoportrait (1948)

En 1948, René Baumer a symbolisé son attachement à ses deux régions d'origines en peignant un autoportrait dans lequel il s'est représenté dans le costume traditionnel alsacien. La droite du tableau représente le rocher de Soutron (Ardèche) où est née sa mère ; la gauche, l'esquisse du village de Ribeauvillé (Alsace) où est né son grand-père paternel.

 

Origines familiales

René Baumer est né le 10 octobre 1906 à La Mulatière, commune limitrophe de Lyon, dans le département du Rhône.

Son père Louis Baumer est d'origine alsacienne et sa mère Adrienne Roure, ardéchoise native d'Arcens. Son grand-père paternel vint s'installer à Lyon pour fuir le joug prussien. C’est à Lyon, que René Baumer a grandi, jusqu'à l'âge de 8 ans, sur les bords de la Saône dans une maison adossée à la colline de Fourvière, située quai Jean-Jacques Rousseau.

Le 2 août 1914, alors que son père est appelé sous les drapeaux (il sera ambulancier sur le front de la Somme), la maison est écrasée par un glissement de terrain. René Baumer est sauvé de justesse car, il ne voulait pas quitter les modelages des généraux de l’Empire qu’il était en train de réaliser.

Rocher de Soutron par René Baumer
Chapelle Saint-Julien au hameau de Soutron (Ardèche)
par René Baumer (1946)

 

 

 

 

 

 

À la suite de cet accident, il est accueilli par sa grand-mère maternelle, avec son frère aîné Maurice et sa sœur cadette Germaine durant une grande partie de la première guerre mondiale dans un petit hameau perdu au cœur de l’Ardèche : Soutron, situé dans la commune d'Arcens. Il y séjournera de 1914 à 1918. Là, René découvre, auprès de sa mère et de sa grand-mère, la vie paysanne rythmée par les saisons. C'est à Soutron, que l'enfant prend conscience - en particulier grâce à ses institutrices, - de ses dons pour le dessin.

"…le hameau semble resserré et à ras de terre. Le fumier presque devant les portes, des visages anguleux et sombres, aussi sombres que les chaumières, des yeux naïfs et méfiants ; la rumination des vaches, le bruit d'un sabot de cheval claquant sur les cailloux, un son loitain de corne dans la campagne, des odeurs, parfois agréables, parfois désagréables, la nuit abaisse son voile, la roche abrupte que l'on apercevait très distinctement tout à l'heure, commence à s'estomper. Tel est le spectacle qui s'est offert à moi, lorsque je suis arrivé à Soutron".

De l'adolescence à la Résistance

En 1921, il passe son "certificat d'études" et en 1922 commence son apprentissage chez Arnaud, imprimeur lithographe à Villeurbanne.

En 1926, Il fait ses classes au 38e Régiment d'Infanterie à Mornas (Vaucluse) et est renvoyé dans ses foyers 17 mois après.

En 1928, il est employé en qualité de graveur dessinateur dans la fabrique d’impression sur étoffes Bugnand à Lyon jusqu’au 30 janvier 1931. Durant cette période, tout en poursuivant son habitude de dessiner, il pratique de nombreux sports dont la lutte et la boxe. Il publie en 1930 "Les souvenirs de Soutron" en deux fascicules, qui seront édités par les Éditions Lacour à Nîmes en 2004.

Entre 1931 et 1937 : il entre comme surveillant à l’École des Beaux-arts de Lyon. Cet environnement renforce en lui son goût pour les arts et l’amène à côtoyer des élèves dont les noms comptent aujourd’hui dans l’histoire de la peinture lyonnaise comme Jean Couty.
De cette période date aussi sa passion pour la littérature et la musique. Il démissionne de son poste et s’en va à Strasbourg à la fin de l' année 1937.

En 1938, tout en subsistant grâce à sa lithographie, il suit les cours du soir de sculpture à l’École Municipale des Arts Décoratifs de Strasbourg. La vie y semble difficile et que se passe-t-il au cours de cette année là ? On l’ignore. Il n’empêche qu’il tente de se suicider, il sera sauvé de justesse par ses voisines qui l’emmènent à l’hôpital.

En septembre 1939, il débarque à Paris où il suit des cours des Beaux-Arts en tant qu’élève libre, ainsi que ceux de l’Académie Julian en vue de préparer le professorat de dessin. Il est particulièrement intéressé par l’art sacré et la mythologie germanique. De nombreuses toiles et dessins de cette époque en témoignent.

La guerre interrompt son travail. Il est mobilisé de nouveau dès septembre 1939. La débâcle de 1940 le libère.Voulant éviter la zone occupée, il s'installe à Vaux-en-Velin, avec ses parents, dans une maison appartenant à son beau-frère. Entre 1940 et 1944, c'est la sculpture qui complète son œuvre de peintre, avant de se tourner vers l'écriture.

Agent de la Résistance à Lyon aux côtés de ses parents, dans le réseau "Bordeaux-Loupiac", René Baumer suit l'exemple de son oncle journaliste Rémy Roure et assiste sa tante Hélène Roure pour le Bulletin d’information du Bureau de presse de la France combattante.

Période Vaudaise

Entre 1940 et 1944, René Baumer aborde une triple carrière de sculpteur, de peintre et d'écrivain. Il s'intéresse à la peinture de paysages interprétant les variations lumineuses du jour et des saisons. L’absence humaine de ses paysages est peut-être liée, aussi, à sa double activité artistique qui transforme le peintre en sculpteur ou en écrivain ; puisque lorsqu’il abandonna très vite la sculpture, c’est vers l’écriture qu’il se tourna comme s’il ressentait le besoin de prolonger sa création artistique par un autre moyen d’expression.

Avec la sculpture, l'artiste a l'impression de donner la vie à ce qui est informe. Il fait naître des personnages dont il côtoyait les modèles ou qui lui étaient familiers (boxeurs, catcheurs, "Vénus", danseurs, cariatides).

Il expérimente l'écriture en écrivant un roman : "Heurs et malheurs de Duddley King, boxeur", en 1940, et une nouvelle : "Le tambour-major" publié en 1942.

Camps de concentration

Rémy Roure, son oncle est arrêté en octobre 1943, sa femme et sa sœur sont arrêtés le 3 avril 1944.

Le 4 avril 1944, la Gestapo et la Milice l’appréhendent ainsi que son père, à Vaulx-en-Velin (Rhône), dans la maison appartenant aux parents de son beau-frère. En détention à la prison Montluc de Lyon, puis au camp de transit de Compiègne-Royallieu, il est, après passage au camp de Neuengamme, affecté à la fonderie A.F.A., dépendante du kommando de Stöcken. Face à l’avance alliée, il est dirigé en avril 1945 sur le camp de Bergen-Belsen. Libéré par les Britanniques, il entre le 29 avril à l’hôpital de Bergen. Le 2 juin suivant, le camp d'extermination de Bergen-Belsen est libéré par les Britanniques, le 3 juin 1945 René Baumer est rapatrié à Paris. Son oncle Rémy Roure est libéré du camp de Buchenwald.

À sa manière, qui est simple, et à sa place, qu’il considère modeste, René Baumer a souhaité avec ses notes, dessins et gouaches graver aussitôt sur du papier sa mémoire immédiate - qu’il craignait fugitive - pour que nul n’oublie la tragédie de la Déportation. (La misère aux yeux de fou, notes et dessins de déportation publié à Lyon, Éditions BGA, Permezel, novembre 2004,11, rue Laurent Vibert 69006 Lyon). Ces dessins sont exposés au musée de l'Ordre de la Libération, à l'Hôtel National des Invalides.

"Avec ce récit, j’essaie d’évoquer la vie des camps de Neuengamme, de Stöcken et de Bergen-Belsen, sans rechercher l’effet scénique, et je reste, du fait de l’impossibilité de recréer l’atmosphère des « Konzentrazionlager" bien en dessous de la réalité". À l’exception des toutes dernières lignes et de la fraction « Journal » qui fut tracée clandestinement sur des lambeaux de papier et rapportée en France, ce récit a été écrit à l’hôpital de Bergen où je me trouvais soigné pour le typhus peu après la libération du camp de Belsen".

Montparnasse

De retour en France, il retrouve une famille décimée : sa mère et sa tante mortes à Ravensbrück, son père décédé à Neuengamme, un cousin fusillé sur le pont de La Mulatière, et un autre mort mystérieusement sur la tombe de sa mère à Ravensbrück. Il regagne Paris où il vit chez son oncle Rémy Roure, revenu de Buchenwald, qui a repris ses activités de journaliste. À Paris, il se réinscrit à l'Académie Julian pour suivre les cours de dessin et de peinture ; puis il trouve un poste de maître auxiliaire dans divers lycées parisiens et, en 1947 devenu professeur de dessin à l'Éducation Nationale, il s'installe dans un atelier, quartier du Montparnasse à Paris. Là, il fréquente une communauté de bohèmes composée de jeunes couples ou de vieux célibataires qui lui permettent de combler le vide de sa solitude. Ses nuits sont hantées de cauchemars des camps. Ce serait une des rares confidences qu'il ait faite sur cette période de sa vie.

Période figurative et expressionniste de 1950 à 1968

La peinture va devenir son activité principale.C'est une œuvre paradoxale dans laquelle il ne peut cacher les tourments de l'ancien déporté. L'évolution de ses expériences picturales se divise alors en plusieurs périodes de 1950 à 1965 :
- Figuratif et expressionniste
- Purement expressionniste

Il ne cessera au long de ces années d’alterner dans ses toiles le cubisme et l’expressionnisme jusqu’à les faire cohabiter dans de nombreuses toiles. "Le musicien au ver luisant" de 1959, ou "La misère aux yeux de fou" de 1960 ; "Les Joutes" en 1955 puis "La guerre" et "Les danseurs costumés" de 1956 ; "Les boxeurs" de 1958 et "La tête de boxeur" de 1962

Puis en 1961, viendra ce qu’il considérait comme son chef d’œuvre Crucifixion, toile de 3m x 3m. Si son expérience concentrationnaire avait annihilé son espoir dans l’homme, elle avait renforcé sa croyance religieuse. Aussi n’est-il pas étonnant de le voir utiliser les deux principales écoles de peinture du début du XXe siècle dans cette toile : le Christ est l’expression de la douleur humaine, les deux soldats romains qui l’entourent ont l’abstraction des robots ou des machines cubistes. De cette toile il écrira dans son journal :

“J’ai fait ce que j’ai pu avec les moyens dont je disposais. Tout n’est pas bon et je préfère ne pas trop regarder les fautes car, si je les vois, je suis parfaitement incapable de les corriger”.

Pour Un printemps à Bergen-Belsen (300x250 cm), peint en 1965, il reprendra la même technique.

En 1966, il expose à la galerie Chappe à Toulouse. La presse le décrit comme un "peintre à tendances naïves marqué par certaines recherches du XXe siècle, le cubisme en particulier. On le voit notamment dans ses "Arlequins" découpés en formes géométriques. Ailleurs, et c’est sans doute là qu’il est le plus original, il s’abandonne à quelques rêveries surréalistes qui lui font imaginer d’étranges “hommes-végétaux, l’ensemble étant une curieuse fantasmagorie, mais le peintre devra se méfier de la tendance à la surcharge décorative” : "Le labour" devient un cep de vigne enraciné dans son sillon, des bras finissent en branches chargées de feuilles". Toujours en 1966, il réalise des peintures où l'on voit poindre des tendances à l'abstraction décorative comme "Le marchand de tissus"(1966).

Après l'exposition de Toulouse, il reprend les procédés antérieurs (les "outils" cubistes expressionnistes au service d'un imaginaire surréaliste). Il y ajoute l’emploi volontariste de la couleur lumineuse, éclatante et violente renforcée par un souci plus décoratif de l’œuvre.
"Les joueurs de cartes", "Le chanteur" (1969), "Le poème épique" (1971), "Les Cavaliers de l’Apocalypse" (1968), en sont les exemples.

En 1971, à la suite de la restructuration du quartier Montparnasse, René Baumer emménage dans un petit atelier dans le même quartier. À cette période, il veut se rapprocher de sa famille et de sa ville natale et loue un petit appartement à Lyon. C'est à ce moment qu'il consacre plus de temps à l'écriture. Il illustre plusieurs œuvres de Mérimée et de Robert Louis Stevenson.

Il a lui-même écrit et illustré de nombreux contes :

- Les contes historiques comprenant :
Le Tambour-major
Dure-Claude
L’épée de Tolède
- Les contes sportifs comprenant :
Le roi sec
Duddley King
- Les contes picturaux comprenant :
L’irréel ou la revanche du fantôme
La couleur qui tue
Le plagiaire
- ainsi qu'un roman : "Un soir".

René Baumer
 

Entre 1971 et 1982, il entreprend de nombreux voyages en France et à l’étranger visitant et revisitant divers sites ayant égrenés sa vie. C'est pendant cette période qu'il commence ses "Séries" : variations sur un même thème faisant appel à des couleurs lumineuses, éblouissantes :
" Roman de la rose" (1971), "Les danseurs costumés" (1974), "L’horloger" (1975), "Le tragédien" (1975), "Le poème épique" (1976), "Le Cantique des Cantiques", "Le sculpteur" (1978), "Le poète" (1980), "Le roi des aulnes" (1981).

En novembre 1978, René Baumer accepte de montrer ses œuvres au public, au "Club des poètes". En juin 1979, une autre exposition est organisée au "Cercle Impérator" à Nice ; Baumer réalise la série "Le charmeur de serpents", "Les îles d’or", "Le tiercé". En septembre 1980, de nouveau au "Club des Poètes" il présente : "Génie musical n°2", "Fleurs stylisées", "Poème épique n°2", "L’horloger n°1", "Charmeur de serpents" (1979).

Entre 1981 et 1982, si le succès commence à venir, sa santé décline ; il ne réalise que quelques œuvres dont trois grands dessins à la plume inspirés de gravures anciennes représentant l’une, une vue de l’Alsace, région d’origine de son père, l’autre, une vue de l’Ardèche, Soutron, pays d’origine de sa mère. Il puise son inspiration dans un des poèmes les plus populaires de Goethe, poète de l'âme germanique : "Le roi des Aulnes" dans lequel les thèmes de la mort sont présents. En 1982, il réalise un grand dessin intitulé "L'Enfer".

Il décède en mai 1982, à l’hôpital militaire Desgenette de Lyon. Il est enterré dans le caveau familial à Vaulx-en-Velin.

Il laisse près de 120 œuvres picturales, une quarantaine de terres cuites, 250 dessins, deux romans, deux récits autobiographiques, un journal intime, une douzaine de nouvelles et de multiples illustrations.

Daniel Contamin, son neveu, dit de René Baumer : "Peintre expressionniste, modeste mais talentueux, il nous a laissé de nombreuses œuvres empreintes de sentiments douloureux suite au traumatisme de sa captivité".

Rémy Roure (1885-1966), oncle de René Baumer, né à Arcens, journaliste, résistant, rédacteur en chef du Monde, fondateur du Parti démocrate puis de l'UDSR (Union Démocratique socialiste de la Résistance).

Sources

- De Soutron à Montparnasse Images d'un peintre, René Baumer, par Daniel Contamin, Les Cahiers du Mézenc n°18 - juillet 2006.

- René Baumer : Site officiel, par Daniel Contamin.