Portraits d'ardéchois

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Pierre-François DULAU d'ALLEMAND


1764 - 1794


Membre du clergé, prêtre réfractaire

Issu d'une très vieille et illustre famille du Dauphiné, Pierre-François Dulau d'Allemand, dont un ancêtre aurait été le Chevalier Bayard (la mère de Bayard était née Hélène d'Allemand ), est né le 24 févier 1764 à Pierre-Châtel, près de Grenoble. Il est nommé curé à Saint-Julien-Vocance en mai 1790.

Nous sommes au tout début de la Révolution. Le clergé séculier était condamné à devenir civil ; le 12 juillet 1790 la Constitution Civile du Clergé est votée, confirmée par le décret du 27 novembre 1790, " enjoignant tout ecclésiastique, fonctionnaire public, de prêter, dans les huit jours, le serment, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi… ". Le 29 novembre 1791, un décret l'Assemblée législative décréta que les réfractaires seraient tenus pour suspects : les persécutions commençaient contre les catholiques fidèles à Rome. Le 27 mai 1792, la législative ordonne la dénaturalisation de tout réfractaire dénoncé par 20 citoyens ou par un seul en "cas de trouble." Le 26 août 1792, les prêtres réfractaires, qu'on peut estimer au nombre de 65%, doivent "quitter la France dans le délai de 15 jours."
Le 21 septembre 1792, c'est l'avènement de la République.
Puis la période de la "TERREUR", entre juin 1793 et thermidor an II (juillet 1794).
Des mesures de répression et de déchristianisation se poursuivent en France avec la fermeture des églises au culte du 31 mai 1793 jusque vers novembre 1794 ; et obligation aux réfractaires de se présenter pour faire la déclaration relative à leur déportation (29/30 vendémiaire an II).

Dans une ambiance à la fois exaltée et inquiète, en plein chamboulement patriotique, en 1791, le père Dulau d'Allemand prête serment à la Constitution Civile du Clergé, mais avec réserves, moyennant quoi il n'est pas inquiété, partageant son temps entre son apostolat et la chasse.

En fait, seuls 30 à 35% des prêtres du Vivarais prêtèrent serment. D'où une position intenable des prêtres réfractaires, qui furent obligés, ainsi que les personnes qui les abritaient, de se cacher ou de s'expatrier, en particulier en 1793 et 1794, période dite de la "Terreur" !

En mai 1792, le père d'Allemand décide d'organiser un pélerinage de sa paroisse à La Louvesc. Ce n'était pas une bonne idée ; il fut rappelé à l'ordre ; le pélerinage fut annulé. Mais il était surveillé par les agents de la Révolution, d'autant qu'il refusa de s'exiler hors de France. En décembre 1792, naïvement, il prête serment de "liberté-égalité", qu'on lui disait approuvé par des ecclésiastiques à Paris.

Le 30 avril 1793, il envoie au maire de Saint-Julien-Vocance la rétractation du serment qu'il avait fait, en lui demandant d'en faire lecture au conseil municipal. Il se justifie en disant :

" … ce sont les malheurs multipliés de nos jours ; c'est la religion persécutée ;… cette démarche m'attirera peut-être de nouvelles persécutions… je donne volontiers mon sang pour la cause de la religion."

La municipalité ne se rangea pas à son avis et décida d'employer la force de la commune pour le rechercher partout.

En janvier 1794, n'espérant pas trouver d'asile, le curé d'Allemand gagne une caverne dans une forêt voisine, il y reste six mois. L'église ayant été fermée par la force publique, il continue à gérer, son ancienne paroisse, malgrè les injonctions adressées de Privas à la municipalité contre ce prêtre fanatique et réfractaire "qui cherche à pervertir et à égarer l'esprit des citoyens."

Le 5 juillet 1794 (17 messidor an XI), la municipalité ordonne une battue dans les bois et forêts avoisinantes. Il fut reconnu par un nommé Sausse, capitaine de la garde nationale de Saint-Julien-Vocance.

Il est enchaîné et le lendemain, 6 juillet, il est conduit à Annonay entre deux détachements de gardes nationaux. À Annonay, il est attaché à la porte de la maison commune. Transféré à Tournon, puis à Privas dans la charrette des criminels, il est jeté dans les cachots humides de la prison locale dans laquelle il retrouve d'autres religieux.

Il comparut devant le tribunal criminel du département de l'Ardèche le 22 messidor an II (10 juillet 1794) Interrogé, il répondit :

"Mes motifs furent la tranquilité de ma conscience et l'entière pureté de ma Foi." Il confessa "n'avoir eut aucun domicile fixe depuis le 31 décembre 1793" (11 nivose). Il répondit "avoir prêté serment, mais avec les réserves et restrictions que ma conscience et ma religion m'obligeaient d'y insérer ; et je croyais que cela m'était permis ; et j'ai prêté le serment de la Liberté et de l'Égalité, avec les mêmes restrictions."

Il avoua s'être retracté le 22 avril 1793 ; il déclara n'avoir pas connu la loi qui prononçait la déportation contre les prêtres réfractaires et que , s'il l'eût connue, il s'y serait conformé. Cette réponse, capable de l'excuser, n'empêcha point que le tribunal ne prononçât de suite, contre lui, une sentence de mort.

La sentence fut portée contre lui le 22 messidor an II (10 juillet 1794) en ces termes :

"Vu l'interrogatoire de Pierre-François d'Allemand, ci-devant curé de Saint-Julien-Vocance, âgé de trente ans, traduit hier dans la maison de justice, et celui prêté le 18 messidor (6 juillet) devant le directeur de jury, à Annonay ; la rétractation par lui faite, le 22 avril 1793 style esclave : l'accusateur public entendu ; considérant que non seulement le dit d'Allemand avait apposé des restrictions aux deux serments par lui prêtés, mais qu'il fit encore une rétractation le 22 avril 1793, style esclave, le tribunal déclare, en conformité de l'article 10 de la loi des 29 et 30 vendémiaire, et autres lois antérieures, que ledit D'Allemand était sujet à la déportation ; et, attendu qu'il ne s'est pas rendu (au département pour être embarqué) dans la décade porté par l'article 14 de la loi des 29 et 30 vendémiaire, et qu'il a encouru les peines portées par les articles 5 et 15 de ladite loi, le tribunal ordonne que ledit Pierre-François d'Allemand sera livré à l'exécuteur des jugements criminels, pour être mis à mort sur la petite place de cette commune (Privas) dans le délai de vingt-quatre heures ; déclare ses biens confisqués au profit de la République, etc."

Le jugement ne fut, en réalité, exécuté que deux semaines plus tard, soit parce qu'on voulait que la sentence infligé au curé d'Allemand le soit en même temps que celles infligées à d'autres prêtres et religieuses ; soit peut-être que, parmi les juges certains espéraient des circonstances propres à faciliter l'évasion des futures victimes (Bac, d'Allemand, Gardès, Montblanc, Rouville ; et Antoinette Vincent, Madeleine Dumoulin, Marie-Anne Sénovert). Rien de tel ne se produisit ; une ouverture faite dans le mur de leur chambre fut découverte par la femme du concierge qui mit obstacle à ce que leur offrait la Providence !

Aucun notable n'eut le courage de venir devant la Société populaire, plaider ouvertement la cause de prêtres coupables d'avoir célébré la messe, et de religieuses qui avaient donné quelques éléments d'instruction à des enfants.

Ils ne pensèrent plus qu'à se préparer à la mort par des prières. Ils s'encourageaient les uns les autres par des cantiques. En sortant de prison, pour se rendre sur le lieu de l'exécution ils entonnèrent des psaumes jusqu'au pied de l'échafaud. Certains habitants de Privas remplis d'un saisissement religieux, se retirèrent ; tandis que d'autres accouraient pour écouter les chants retentissant dans la cité, inouïs depuis la Révolution.

La chute de Robespierre étant survenue le même jour, on aurait alors espéré que ce jugement inique aurait été repporté. En fait, il avait déjà été exécuté. Ses partisans étaient arrivés au paroxysme de la folie. Ils commettaient froidement les plus horribles forfaits !

Avant de passer sous la guillotine, le père d'Allemand rédigea dans le cachot de Privas, le 19 juillet 1794, une lettre de quatre pages, à ses paroissiens, restée comme un testament apostolique, elle se terminait par cette phrase :

Lettre Dulau d'Allemand
Lettre du père Dulau d'Allemand

"Adieu mes chers enfants, jeunes gens, vieillards ; adieu tous mon cher troupeau ; vous me serez toujours présent jusqu'à ma mort qui approche. Si vous avez été ma consolation sur la terre par votre docilité et par votre constante piété, vous serez aussi ma joie dans le ciel.
Prions tous pour que nous puissions être réunis."

On dit que cette lettre se transmet toujours aux nouvelles générations de paroissiens de Saint-Julien-Vocance par copie.

Le 8 thermidor an II (26 juillet 1794), les trois religieuses furent décapitées avant les quatre prêtres. Leurs corps furent jetés dans une fosse et un hommage leur fut rendu pendant les années qui suivirent. En 1795 / 1796, les fidèles de Privas et des environs se réunissaient auprès de leur tombe, les dimanches (n'ayant pas d'église) pour y réciter des prières... La chapelle édifiée à la fin du XIXe siècle sur leur sépulture reste encore de nos jours un lieu de dévotion, de ferveur et de grâces, comme en témoignent les ex-votos apposés au mur de celle-ci.

Une stèle est érigée à l'entrée de l'église de Saint-Julien-Vocance à la mémoire du père Pierre-François Dulau d'Allemand qui avait 30 ans le jour de son exécution.

 

Sources

 

- Bulletin paroissial / D. Gay/ Journal de la paroisse Saint-Jean du Pays de Privas, n° 44, juin 2013

- "Les anciennes loges maçonniques d'Annonay et les clubs 1766-1815"

- "Les martyrs de la foi pendant la révolution française", par l'abbé Aimé Guillon de Montléon, Germain Mathiot Libraire à Paris, 1821, ( University of Michigan).