Portraits d'ardéchois

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Louis GARDÈS


1754 - 1794


Abbé, martyr de la Révolution

La Révolution de 1789 trouve l'abbé Louis Gardès, né le 25 juillet 1754 dans la ferme de Bouissy-Peyre-Grosse (domaine situé près du lac d'Issarlès, sur la paroisse du Béage, en Ardèche), curé-prieur de Ceyrac, dans le diocèse d'Alès (Gard).

Il est le fils aîné du deuxième mariage d'Antoine Gardès avec Marguerite Alix. De cette union devaient naître huit enfants. Il est baptisé le lendemain de sa naissance le 26 juillet par l'abbé Pruchot. Il montre très tôt de bonnes dispositions à l'école et vers l'âge de 15 ans manifeste sa vocation à devenir prêtre.

En 1769, il est élève de latin dans la Maison Curiale ; puis au séminaire de Bourg-Saint-Andéol où il poursuit ses études. Il reçoit la tonsure et les ordres mineurs de l'évêque de Viviers, Monseigneur Morel de Mons.

En 1777, il est ordonné sous-diacre à Viviers ; en 1778, diacre ; et en décembre de la même année, Monseigneur Lafont de Savine lui confère le sacrement de l'ordre dans l'église de Notre-Dame-du-Rhône.

Le jeune prêtre va exercer son apostolat pendant cinq années, dans la paroisse de Montpezat où il a été nommé vicaire. Il y mènera de nombreuses bonnes œuvres dans une population restée chrétienne après les ravages commis par les Huguenots à la fin du XVIe siècle, pendant les guerres de religion.

En 1786, Louis Gardès quitte le diocèse de Viviers, et vient comme vicaire à Notre-Dame de la Rouvière dans le diocèse d'Alès. Il y reste jusqu'en 1787, pour être nommé prieur le 5 mars 1787 de la paroisse de Ceyrac dans l'archiprêtré de Saint-Hippolyte-du-Fort. On dit qu'il y fut aimé de ses paroissiens et il les aima comme un père.

Nous sommes au tout début de la Révolution. Le clergé séculier était condamné à devenir civil ; le 12 juillet 1790 la Constitution Civile du Clergé est votée, confirmée par décret du 27 novembre 1790, " enjoignant tout ecclésiastique, fonctionnaire public, de prêter, dans les huit jours, le serment, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi… ". Le 29 novembre 1791, un décret l'Assemblée législative décréta que les réfractaires seraient tenus pour suspects : les persécutions commençaient contre les catholiques fidèles à Rome. Le 27 mai 1792, la législative ordonne la dénaturalisation de tout réfractaire dénoncé par 20 citoyens ou par un seul en "cas de trouble." Le 26 août 1792, les prêtres réfractaires, qu'on peut estimer au nombre de 65%, doivent "quitter la France dans le délai de 15 jours."
Le 21 septembre 1792, c'est l'avènement de la République.
Puis la période de la "TERREUR", entre juin 1793 et thermidor an II (juillet 1794).
Des mesures de répression et de déchristianisation se poursuivent en France avec la fermeture des églises au culte du 31 mai 1793 jusque vers novembre 1794 ; et obligation aux réfractaires de se présenter pour faire la déclaration relative à leur déportation (29/30 vendémiaire an II).

 

Constitution Civile du Clergé
(Faïence de Nevers)

Dans une ambiance à la fois exaltée et inquiète, en plein chamboulement patriotique, le 6 janvier 1791, comme nombres d'autres abbés et curés, l'abbé Louis Gardès prête serment à la Constitution Civile du Clergé pour se conformer à la loi. Jusqu'au jour où il apprend la condamnation que lance le pape Pie VI contre eux qui ont signé. Mieux éclairé il se ravise le deux juin 1791 devant maître Antoine Peyridier, notaire Royal à Pompignan.

Le réfractaire qu'il devient alors doit renoncer à tout ministère public, mais il continue de célébrer le culte "en privé" dans les chaumières et granges de la région de Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard), jusqu'au mois d'août 1791, sans pouvoir y exercer son ministère. Cela, jusqu'à la parution des nouveaux décrets de l'Assemblée Législative, en 1792, qui vont mettre fin à la tolérance dont jouissait les "parjures".

En fait, seuls 30 à 35% des prêtres du Vivarais prêtèrent serment. D'où une position intenable pour les prêtres réfractaires, qui furent obligés, ainsi que les personnes qui les abritaient, de se cacher ou de s'expatrier, en particulier en 1793 et 1794, pendant la période dite de la "Terreur".

Le décret du 31 mai 1793 entraîna le paroxysme de la déchristianisation au cours de l'automne 1793, la fermeture des églises, le bris des sculptures, la dispersion des objets de cultes et la chasse aux croyants.

Le ciel gardois s'assombrissant, l'abbé Gardès désormais proscrit,  contournant les "grands centres", regagne les hautes-terres d'Ardèche. Terre de ses ancêtres, terres qu'il sait être restées farouchement attachées à la foi catholique et au Roi...

En conséquence, par mesure de précaution, il interrompit ses travaux apostoliques et n'ayant d'asile nulle part, ni moyens de subsistance, il erra tour à tour chez des parents et des amis. Il se cache un moment à Montpezat, il y restera quatre mois, heureux de retrouver ses premiers fidèles. Puis à Massillargues ; enfin il gagne Le Béage, où dans la clandestinité, il retrouve sa famille. Mais sans oser se fixer en aucun de ces endroits.

A partir de l'été 1792, Louis Gardès établit son refuge au domaine familial de Bouissy.

Un autre proscrit, beau-frère de son frère aîné, l'abbé Brun, l'y rejoint et partage avec lui l'hospitalité de la ferme. Les deux prêtres célèbrent la messe dans une cave située sur l'arrière de la maison, au Nord, du côté de la "Peyregrosse". Quinze à vingt personnes peuvent y prendre place pour assister au culte. En cas d'alerte, les deux prêtres disposent d'une cachette qui communique avec la "chapelle" souterraine et, par la grange d'en haut, ouvre sur la montagne toute proche.

C'est alors que les lourds nuages que l'abbé Gardès avait cru laisser dans la plaine, "poussés" par les Directoires du Velay et du Vivarais, atteignent à leur tour les montagnes où il avait cherché un refuge sûr.

Par un arrêté du 17 Prairial an II (5 juin 1794), le représentant du peuple de l'Ardèche et de la Haute-Loire, Guyardin ordonne que, dès le 23 Prairial suivant et à cinq heures du matin, perquisition soit faite au sud du Béage, dans les bois de Breysse et de Bauzon, afin de découvrir et faire arrêter les prêtres réfractaires, déserteurs, émigrés, gens inconnus ou suspects et tous brigands qui peuvent s'y trouver. Une prime de cent livres est promise à quiconque fera découvrir un rebelle.

Au cours de l'hiver précédent l'appel à la perquisition lancé par Guyardin, en 1793-1794 donc, l'abbé Gardès se trouve toujours à Bouissy.
Un jour de grand froid, un mendiant bien connu de la famille, vient frapper à la porte de la ferme pour demander l'aumône. Le réfractaire se cache et le chef de maison ouvre alors la porte au pauvre homme qu'il sait chargé de famille pour lui donner plusieurs livres de pain.
L'abbé Louis Gardès, reconnaissant la voix du mendiant, sort de sa cachette et regardant ce que son frère vient de lui donner, il lui dit : "Que veux-tu que fasse ce malheureux avec ce que tu lui donnes ?" Et, montant lui-même au grenier, il y prend trois mesures de blé qu'il remet de ses propres mains à l'indigent. Celui-ci se retire, ému jusqu'aux larmes, en bénissant son bienfaiteur. Les trois mesures de blé n'ont-elles pas suffi à rassasier le vagabond et sa nombreuse famille ? Se sentait-il tenu d'apporter son concours aux autorités publiques dans l'accomplissement de leur mission ? La population de la région comptait-elle d'autres "Judas" dans ses rangs ?...
Quelques jours après la visite du mendiant à la ferme de Bouissy, une battue est organisée.

Apprenant que l'étau se resserre autour de sa cache, et pour ne pas compromettre les siens, l'abbé Gardès décide de la quitter.
À la tombée de la nuit, il part chercher asile chez son autre frère, Simon, tailleur à La Chapelle-Grailhouse.
À onze heures du soir, il traverse la Loire sur le bac, en dessous du lac d'Issarlès, et rejoint son frère qui lui apprend que l'alerte est donnée. Les deux frères abandonnent alors La Chapelle-Grailhouse et fuient dans la direction opposée à celle prise par la troupe. Mais un détachement dont ils ignoraient le mouvement les surprend sur le chemin qui va de Lafarre à La Chapelle-Grailhouse.
L'abbé Gardès est arrêté et, le 28 Prairial (16 juin 1794), conduit à la prison de Privas pour y subir son premier interrogatoire devant le tribunal criminel du département de l'Ardèche, sur le territoire duquel il avait été arrêté.

Après une courte retraite sur le haut-plateau, les révolutionnaires venaient d'ajouter son nom au martyrologe de l’Église...

Livré aux juges, l'un d'eux lui fit subir un premier interrogatoire. Ses réponses animées par la Foi, et prononcées avec autant d'assurance que de franchise exposèrent tout ce que nous venons de raconter. Ceci se passait le 28 prairial an II ( 16 juin 1794). Douze jours après, c'est à dire le 10 messidor (28 juin), il fut amené devant le tribunal, pour être jugé. Quand le président lui demanda s'il avait eu connaissance de la loi des 29 et 30 vendémiaire an II, laquelle obligeait les prêtres insermentés à se présenter, dans les dix jours de sa publication, devant les administrateurs du département, pour être par eux déportés à la Guyane, il répondit, non moins franchement, qu'il n'avait pas eu connoissance de cette loi, et que , s'il l'eût connue, il s'y serait conformé. Cette réponse, capable de l'excuser, n'empêcha point que le tribunal ne prononçât de suite, contre lui, une sentence de mort.

La sentence fut portée contre lui le 10 messidor an II (28 juin 1794) en ces termes :

"Vu l'interrogatoire de Louis Gardés, prêtre, etc.; ouï de nouveau ledit Gardés, amené à cette audience, et l'accusateur public en ses conclusions ; considérant que ledit Gardés, ayant fait les fonctions de ci-devant curé, jusqu'au mois d'août 1791, était obligé de prêter le serment prescrit aux écclésiastiques, fonctionnaires publics, par la loi du 27 novembre 1790 ; qu'il a déclaré n'avoir point prêté ledit serment ; qu'il n'a pas prêté non plus celui de liberté et d'égalité, prescrit par la loi du 14 août 1792, le tribunal déclare que ledit Gardés était sujet à la déportation : et, faute par lui de s'être présenté, dans le délai prescrit, à l'administration du département (pour se faire embarquer), ordonne que ledit Gardés sera livré à l'exécuteur des jugements criminels, pour être mis à mort, sur la petite place de cette commune , dans le délai de vingt-quatre heures ; et déclare ses biens confisqués au profit de la République."

Le jugement ne fut, en réalité, exécuté qu'un mois et demi plus tard, soit parce qu'on voulait que la sentence infligé au curé Gardès le soit en même temps que celles infligées à d'autres prêtres et religieuses ; soit peut-être que, parmi les juges certains espéraient des circonstances propres à faciliter l'évasion des futures victimes (Bac, d'Allemand, Gardès, Montblanc, Rouville ; et Antoinette Vincent, Madeleine Dumoulin, Marie-Anne Sénovert). Rien de tel ne se produisit ; une ouverture faite dans le mur de leur chambre fut découverte par la femme du concierge qui mit obstacle à ce que leur offrait la Providence !

Ils ne pensèrent plus qu'à se préparer à la mort par des prières. Ils s'encourageaient les uns les autres par des cantiques. En sortant de prison pour se rendre sur le lieu de l'exécution, ils entonnèrent des psaumes jusqu'au pied de l'échafaud. Certains habitants de Privas remplis d'un saisissement religieux, se retirèrent ; tandis que d'autres accouraient pour écouter les chants, retentissant dans la cité, inouïs depuis la Révolution.

Prêtres et religieuses exécutés à Privas sur la Placette située devant l'église primitive du XIIIe siècle qui servait de cimetière

Le 8 thermidor an II (26 juillet 1794), les trois religieuses furent décapitées avant les quatre prêtres. Leurs corps furent jetés dans une fosse et un hommage leur fut rendu pendant les années qui suivirent. Il sera guillotiné dans cette même ville, quelque temps après, le 5 août 1794...

En 1795 / 1796, les fidèles de Privas et des environs se réunissaient auprès de leur tombe, les dimanches (n'ayant pas d'église) pour y réciter des prières... La chapelle édifiée à la fin du XIXe siècle sur leur sépulture reste encore de nos jours un lieu de dévotion, de ferveur et de grâces, comme en témoignent les ex-votos apposés au mur de celle-ci.

L'abbé Mollier, curé de Banne, dans son ouvrage des Saints et Pieux personnages du Vivarais cite : "Les huit ou neuf martyrs de Privas, guillotinés le 5 août 1794. François-Augustin Rouville, jésuite. Barthelemi Montblanc, vicaire. Pierre-François d'Allemand, curé. Louis Gardès, curé. Jacques-Jean-André Bac, curé. Antoinette Vincent, supérieure des Sœurs de Saint-Joseph de Vernosc. Marie-Anne Senovert, religieuse de la même communauté. Madeleine Dumoulin, religieuse de la même communauté..."

Les Martyrs de Privas par Georges Guitton

 

Sources

 

- "Saints et pieux personnages du Vivarais", de l'Abbé Mollier, curé de Banne - Livre III, 1895 - Ré-édition de l'édition de 1895 par La Bouquinerie, à Valence.

- "Les martyrs de la foi pendant la révolution française", par l'abbé Aimé Guillon de Montléon, Germain Mathiot Libraire à Paris, 1821, ( University of Michigan).

- "Les martyrs de Privas guillotinés pendant la terreur de 1794", par Georges Guitton, Éditions SPES, Paris, 1945.

- "Manuel du pèlerin de Saint-Régis au Béage", abbé H. Darbousset, Le Puy-en-Velay, 1942.

- "Issarlès en 1789, d'après des documents d'époque", JM Gardèx, auto-édition, juin 1989.

Sur le même sujet, on lira :
« Vie de M. l'abbé Ceysson, confesseur de la foi en 93, curé du Cros-de-Géorand », par un prêtre du diocèse, Privas, imprimerie centrale, 1888,
« L'abbé Pialat, confesseur de la foi dans les Cévennes, à l'époque de la Révolution », Abbé Sarran, Nîmes, Gervais-Bedot, libraire-éditeur, 1898.