Portraits d'ardéchois

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Marie-Louise-Nina GIRAUD

1899 - 2000


Une des premières femmes maires en Ardèche et en France

Marie-Louise Giraud

Marie-Louise-Nina Giraud est née le 24 janvier 1899, quartier la Neuve, commune de Marcols-les-Eaux en Ardèche. Marie est le second enfant de Clovis Giraud (1855-1920) et de Jeanne-Émilie Lafaye de Micheaux (1870-1905). Elle n'a que six ans au décès de sa mère et restera très proche de sa famille maternelle qui va contribuer à son éducation.

Une protestante d'Ardèche dans les Boutières

Le rang de sa famille lui permet de faire de bonnes études ; elle obtient le brevet supérieur, équivalent du baccalauréat et apprend l'anglais à Grenoble. Au décès de sa mère, Marie Giraud doit interrompre ses études pour s'occuper de son frère aîné Jean, lourdement handicapé, elle restera à ses côtés toute sa vie. Elle renonce au mariage avec un médecin et refusera plusieurs propositions. Elle restera célibataire. À la mort de son père, elle devient chef de l'entreprise familiale de moulinage qui comporte une vingtaine d'employés et une propriété de soixante hectares louée à des fermiers.

Afin d'être autonome, Marie Giraud passe le permis de conduire. Elle roulera en De Dion-Bouton puis en 2 C.V. Citroën.

Marie Giraud, femme protestante est profondément imprégnée, comme toute sa famille, par l'histoire huguenote des Boutières. Elle est animée d'une foi profonde avec des convictions traditionnelles fortes : rigueur et exigence morale, droiture et souci de son prochain. C'est ainsi qu'elle s'occupera de sa paroisse, Albon, qui couvre les communes de Marcols, Albon et une partie de Saint-Genest-Lachamp.

Elle sera toujours présente auprès des plus pauvres sans distinction de religion ; elle aide les enfants et les adultes sous forme de soutien scolaire. Elle s'engage dans la Croix-Rouge locale.

On vient souvent voir la Demoiselle pour demander un conseil.

Elle aime être entourée d'enfants, membres de sa famille ou jeunes protestants, enfants de pasteur, quoique que n'ayant jamais été mère.

La Deuxième guerre mondiale

En 1940, Marie Giraud ouvre ses portes à des réfugiés belges déplacés par la débâcle. En 1943-1944 elle abrite chez elle discrètement deux tailleurs hollandais d'origine juive. Mais les enfants présents dans la maison se rendent compte que les deux messieurs qui prennent leurs repas avec eux, les rejoignent en entrant par la porte principale et sortent par le poulailler. Marie Giraud explique la situation aux enfants qui se tairont.

En fait, celui que les enfants recherchaient, ne paralait pas français. C'était John Brough, le seul survivant du crash dans la nuit du 3 au 4 novembre 1943. Cette nuit là, le bombardier “Halifax” de la Royal Air Force s’écrasait à Marcols-les-Eaux contre le Rocher de Bourboulas. L'avion transportait des armes pour la résistance drômoise. La famille Croze habitait Sénoulis, une ferme proche du lieu du crash. Marie Giraud va faire preuve de sang froid, de courage et de sens de l'organisation. Sans elle et sans la famille Croze, l'aviateur rescapé n'avait aucune chance d'échapper aux Allemands.

Par chance et par un extraordinaire hasard, Marie parle anglais. L'aventure du sergent John Brough va renforcer la notoriété de Marie Giraud auprès de ses concitoyens et la faire connaître des milieux résistants.

Après la Libération de la France au cours de l'été 1944, des évènements locaux vont marquer Marcols. Un jour, deux personnes sont arrêtées par des commandos de la résistance intérieure ; le maire et le président des anciens combattants sont emmenés, on ne les reverra jamais vivants. Le prêtre de la paroisse sera également arrêté mais il parviendra à s'échapper. Ces évènements déstabilisent la population de Marcols.

Marie Giraud maire de Marcols

La commune est dès lors administrée par le premier adjoint. La préfecture désigne quatre membres pour renfocer l'équipe municipale ; un représentant du Parti communiste, la CGT, le Front National ou Front national de lutte pour la libération et l'indépendance de la France (organisation de la Résistance intérieure française proche du Parti communiste) et le Comité d'action paysanne (CNP).

À la Libération, le droit de vote et l'éligibilité des femmes est mentionné dans le projet de constitution du 20 janvier 1944, il est accordé en avril 1944 par le Comité français de la Libération nationale et confirmé par l'ordonnance de Gouvernement provisoire de la République française, le 5 octobre ; il sera utilisé le 29 avril 1945 pour les élections municipales.

Des habitants de Marcols vont solliciter Marie Giraud pour être candidate aux prochaines élections municipales. Elle finira par accepter sans enthousiasme.

En ce début d'année 1945, beaucoup d'hommes sont absents. Certains sont prisonniers en Allemagne ou réquisitionnés pour le service du travail obligatoite (STO). D'autres sont engagés volontaires dans les forces françaises. Enfin deux autres femmes sont candidates : Yvonne Luquet et Octavie Chareyre.

Le 29 avril 1945, au premier tour, elles sont élues toutes les trois avec neuf hommes. Sur les 398 électeurs inscrits, Marie Giraud recueille 269 voix, elle est la deuxième mieux élue.

Le 13 mai 1945, le conseil municipal élit Marie Giraud maire par 11 voix et une abstention ; Marius Monteil est élu adjoint.

La première décision de Marie Giraud, en tant que maire est de faire voter une lettre de félicitations au général de Gaulle. Les autres décisions concernent une subvention au Syndicat d'Initiative du Vivarais, la régularisation des salaires du personnel municipal et le maintien d'un office d'huissier à Saint-Pierreville.

En septembre 1945, elle fait approuver de nouvelles recettes ; en novembre 1945 le conseil augmente la taxe sur l'électricité et sur les chiens.

Au printemps 1946, la mairie se dote d'isoloirs et effectue des travaux au lavoir des quartiers des Traverses et de la Croze. Les familles des aviateurs anglais expriment leur volonté de ramener les dépouilles de leurs défunts au cimetière municipal. Madame le maire obtient des cessions partielles de concessions à titre gratuit de la part de particuliers. Le conseil prend en charge les cercueils. En décembre 1946, le conseil demande à bénéficier des indemnités de guerre pour les dégâts subis par le bombardement allemand du 7 août 1944 sur les bâtiments municipaux. Le budget de 1946 laisse un excédent de 70 000 francs, ce qui permet de baisser les centimes additionnels d'imposition qui frappent les familles les plus modestes.

Début 1947, le conseil vote l'adduction d'eau au logement du médecin de l'hôpital rural ; le 23 mars 1947, madame le maire fait voter le maintien de la parapharmacie à l'hôpital. À l'automne 1947, le conseil vote des subventions à la Boule des eaux minérales et aux anciens combattants et fait le projet d'améliorer les adductions d'eau potable dans tout le village.

Le 19 octobre 1947, les résultats du premier tour des élections municipales sont sans appel : il y a neuf élus dont l'adjoint de la municipalité de 1944 et sept des élus de 1945 ; Yvonne Luquet recueille 268 voix et Marie Giraud 187, cette dernière est réélue de justesse. Au second tour, sont élus deux nouveaux et deux anciens de 1944.

Le 2 novembre 1947 pour l'élection du maire, Paulin Courtier obtient 7 voix, Marie Giraud 4 voix ; pour l'élection de l'adjoint, après plusieurs tours de scrutin, l'adjoint est désigné au bénéfice de l'âge, Marie Giraud n'est pas reconduite.

En deux ans les choses ont changé. Les communes environnantes plaisantent sur une commune qui s'est choisi une femme pour maire ; les hommes sont de retour ; une partie des catholiques n'accepte pas une femme maire, protestante de surcroît. La société rurale traditionnelle à son crépuscule impose sa loi. Marie Giraud manquerait d'autorité, les catholiques lui reproche une certaine froideur à leur endroit. Un vent de fronde s'est levé contre celle qu'on est allé chercher deux ans plus tôt, les alliés d'hier sont les adversaires d'aujourd'hui !

Marie Giraud est très affectée par ces résultats ; elle restera cependant conseillère municipale jusqu'en 1977.

Le moulinage de la famille Giraud à la Neuve, est fermé en 1966. La famille refuse les primes gouvernementales à la destruction des installations. Le moulinage de la Neuve est actuellement converti en écomusée, il est labelisé "Patrimoine Ardéchois".

En 1946, Marie Giraud se reconvertit dans l'arboriculture ; elle ramasse elle-même pêches, poires, pommes, châtaignes et myrtilles.

 

En 1951, Marie Giraud et les frères Croze sont décorés de la médaille de la reconnaissance française. Elle garde des contacts avec les familles des victimes du crash aérien de 1943. Elle continuera de s'occuper de son frère handicapé et de ses cousins Magnan.

Elle décède le 11 février 2000 et est enterrée dans le cimetière familial d'Albon sur sa tombe on peut lire cet épitaphe : Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie aux autres (Jean, 15 13)

Le 30 octobre 2010, un hommage a été rendu à Marie Giraud par la municipalité de Marcols-les-Eaux : la place de Gerland, devant le Moulinage de la Neuve, a été rebaptisée Place Marie Giraud.

Sources

 

- "Femmes en Ardèche" par Jean-Claude Saby, Mémoires d'Ardèche et Temps Présent, n° 79, 15 août 2003.

- L’association de Marcols-les-Eaux « Moulins et moulinages de la Glueyre » Mairie de Marcols les Eaux, 07190 Marcols les Eaux (F) - Tél. : 04 75 65 69 70 - Courriel : contact@moulinages.fr - Coordonnées GPS : 44.815 / 4.4013

- Moulinage de la Neuve Marcols-les-Eaux 07190.