Clotilde Habozit est née le 28 septembre 1908 à la Chapelle-Graillousse, un village situé entre Coucouron et Issarlès en Ardèche.
En mai 1940, au moment de l'offensive allemande, elle est postière à Commercy dans la Meuse. Elle embarque dans un camion militaire le 10 mai 1940, qui la conduit à Lyon, puis elle rejoint Privas : elle attendait sa mutation pour cette ville. Militante CGT de longue date, elle prend contact avec la Résistance.
1940 / 1942
De la création du nouvel État français à l'invasion de la zone Sud par les troupes allemandes en novembre 1942, les postiers de la région ont essentiellement été mobilisés pour la protection des agents et du matériel des PTT, mis en péril dès 1940 par certaines mesures gouvernementales.
De juillet 1940 à avril 1942, son activité consiste à la distribution de tracts et à prendre des contacts avec des personnes favorables.
En avril 1942, à sept heures du matin, la Gestapo (un français et un allemand) vient la chercher, chez elle à Coux, pour l'emmener au siège de la Gestapo. Les hommes sont en voiture. Elle leur dit : "Je prends mon vélo pour retourner chez moi lorsque vous en aurez fini". La veille, ils étaient allés voir le receveur qui, tout bonnement, leur avait donné son adresse sans bien sûr l'en avertir. Des maladresses de ce genre lui ont valu huit jours de prison à la Libération. À partir de cette date, Clotilde Habozit a cherché absolument à entrer dans la résistance organisée, et elle y est parvenue.
La kommandantur se tient face à l'actuel Crédit Agricole, à Privas. Elle pose son vélo contre le mur et les partisans de la Gestapo la conduisent à l'intérieur. À ce moment, elle voit arriver le commandant en robe de chambre de soie. Sa peur tombe instantanément. Elle raconte : "J'ai été accusée de distributions de tracts et d'appartenance au gaullisme. J'ai absolument tout nié, bien fermement et sereinement. Ils m'ont relâchée à 22 heures, faute de preuves valables ; j'étais assez tranquille, n'ayant pas de tracts ni dans mon sac, ni dans mes poches, ni chez moi".
Le 26 août 1942, il a été procédé au "ramassage" des israélites étrangers en Ardèche : "il y a eu aussi des départs de juifs de Privas. C'était affreux. Les mères séparées des enfants. Ces pauvres diables étaient chargés sur des camions, avenue du Vanel. Il y a eu des protestations, des manifestations des Privadois contre cette barbarie… il y a eu deux convois".
Mars 1943, la résistance organisée
La résistance organisée elle y entre en mars 1943, car il fallait faire attention à qui on s'adressait. Par la suite, "j'ai été convoquée chez une amie, par le réseau Action-PTT." À ce moment là avec l'aide des opératrices, elle va recueillir des informations, grâce aux écoutes, qu'elle va transmettre à l'état-major FFI. Celles-ci seront d'une grande utilité, pour informer la Résistance des mouvements des troupes allemandes, soit pour lui permettre à la Résistance d'éviter des attaques, soit pour lui permettre d'attaquer les occupants ou leurs complices français.
"Un jour en avril 1943, on m'a convoquée chez Adelbert, responsable des Forces Françaises Combattantes, et je suis entrée dans le réseau Action-PTT. À partir de là, il me fallait avoir plus de liberté pour me déplacer, y compris pendant les heures de travail. Comment faire ? Je suis allée voir le Directeur des PTT et je lui ai dit : "voilà, vous le savez ou vous ne le savez pas, je fais de la Résistance, je serai probablement obligée de m'absenter deux, ou trois jours. Si vous deviez me l'interdire, me dénoncer, je pars tout de suite. Si vous acceptez et fermez les yeux s'est mieux."
Il m'a dit : "Soyez tranquille, vous serez malade, je ne vous verrais pas". Par la suite à la Libération, ce directeur a été victime de calomnies de la part de gens qui ont fait du mal à la CGT. Elle est engagée comme PI dans les forces françaises combattantes le 15 mai 1943.
" Mon mari était également entré dans la Résistance peu après moi et constitua une compagnie de sédentaires : une cinquantaine de résistants du village de Coux, requis pour faire sauter des ponts, les voies de chemin de fer, et pour faire exploser les convois allemands". Ces résistants étaient immatriculés dans la compagnie 7103, (capitaine Arnaud, chef FFI pour le secteur de Privas). Ses actions : transport de grenades, de fausses cartes d'identité ou d'alimentation, de réception avec son mari de plusieurs camions d'armement et de tabac, (issus de parachutages). "Inutile de dire que c'était dangereux, car notre habitation était sur la route ; on déballait les armes et le tabac en pleine route, et vite, ça entrait dans un garage. Mais, malgré tout, il fallait bien un quart d'heure. On a reçu au moins dix camions de trois tonnes d'armes. Heureusement, nous n'avons jamais été dénoncés".
La route principale qui rejoint Privas à la vallée du Rhône, au Pouzin, longe une rivière, l'Ouvèze, entre deux bordures de rochers et d'arbrisseaux, abris sûrs pour les maquisards, qui souvent anéantissaient les convois allemands.
"Depuis six mois, vu les actions que nous menions et par crainte d'être dénoncés nous ne couchions plus chez nous, mais en face, chez ma belle-mère, sa maison avait une sortie sur la montagne, en cas de recherche."
5 juin 1944, veille du débarquement allié
Le 5 juin 1944, la veille du débarquement, "…un milicien est abattu dans notre commune… Le 6 juin, à 5 heures du matin trois camions bourrés d'Allemands débarquent avec des chiens… " devant la maison de Clotilde et de sa belle-mère. "Nous avions tous les documents de la compagnie 7103, groupe Politzer, que mon mari avait constitué. Ces documents étaient cachés sous les tuiles de notre maison, en face. Nous avions également dissimulé trois mitraillettes dans le jardin de ma belle-mère, sous des tôles et des branchages, et deux gros cartons de tabac, reçus la veille, étaient entreposés dans le garage devant lequel une vingtaine d'Allemands stationnaient. Nous avions également une réserve d'essence dans une cave du village.…"
"Après quelques minutes d'effroi, nous avons retrouvé le calme et la réflexion indispensables à l'action pour s'en sortir. Aussitôt débarquée la centaine d'Allemands se disperse dans le village ; tous les hommes sont arrêtés et conduits à la mairie, tandis qu'une quinzaine d'officiers montaient la garde entre nos deux maisons, et sur un pont traversant l'Ouvèze, qui se trouve juste au pied de la nôtre. Ils y installèrent un poste d'observation, avec une grosse lunette sur pied, plusieurs fusils mitrailleurs et des chiens".
"J'ai traversé la route une première fois, les bras ballants, sans être interpellée par la vingtaine d'Allemands stationnés devant ma porte d'entrée. Après avoir récupéré tous les documents, je les ai mis dans un arrosoir et j'ai traversé la route à nouveau. Je suis montée au jardin de ma belle-mère, surélevé, bien en vue, et nous avons enfoui le paquet dans une tranchée que mon mari avait creusée dans un carré de haricots".
"Les mitraillettes furent retirées de leur cachette en rampant pour ne pas être aperçus. Nous avons pu les dissimuler dans une citerne assez proche avec des branchages secs et des vieilles tôles. Restait le tabac... "
"Le local de l'agence postale avait une porte qui communiquait avec le garage où se trouvaient les deux grands cartons de tabac (80 X 80 X 1 m). Après beaucoup d'hésitations, j'ai expliqué à la gérante (qui, comme je l'ai dit, recevait souvent les Allemands) que j'avais besoin de ses services : je devais faire disparaître deux cartons de tabac ; pour ce faire, il fallait qu'elle m'ouvre la porte qui donnait dans le garage, qu'elle me donne des sacs postaux numéro 5 petit modèle, et me laisse le libre accès de la fenêtre de sa cuisine pour les envoyer, pleins de tabac, sur le bord de la rivière, dans les arbrisseaux. Elle était effarée... Je l'ai un peu menacée et, plus morte que vive, elle m'aida à remplir les sacs et à les ficeler. J'ai envoyé une dizaine de sacs par la fenêtre, au vu de nombreux Allemands qui circulaient sur le pont et observaient en permanence avec de grosses jumelles. Le dernier sac est tombé sur une murette où il était visible à l'œil nu du pont. J'ai été obligée de descendre à la rivière par un sentier de chèvres pour le déplacer".
"En remontant, j'ai trouvé mon logement occupé par une dizaine d'Allemands avec quatre gros chiens. Ils ont tout fouillé : armoires, placards... N'ayant rien trouvé de compromettant, ils sont partis pour perquisitionner chez ma belle-mère qui tenait un café. Pendant ce temps, mon mari était emmené à la mairie".
"Ce n'était pas fini ! De leur poste d'observation installé sur le pont, les Allemands ont aperçu un homme sur un arbre à 500 mètres à vol d'oiseau qui observait… "…ils ont tiré au fusil mitrailleur, puis des hommes avec des chiens sont allés le chercher… C'était mon beau-frère… il n'ignorait pas que nous étions dans la Résistance mais ne connaissait aucun détail…il nous est revenu après 15 jours d'interrogatoires, mais il n'avait rien dit". Dans l'après-midi, les fouilles ont continué dans le village. Vers 20 heures, tous les hommes parqués à la mairie avaient été libérés ; la terreur cessait dans le village, le calme revenait.
"C'était le 6 juin, le jour du débarquement, qui fut aussi, pour notre famille, le jour le plus long… Après cette expédition, nous avons changé de résidence et bien sûr, de mot de passe."
juillet / août 1944
"En juille-août, il y a eu des combats sanglants sur le Coiron. Mon frère y était. C'était affreux. " De multiples précautions devaient être prises jusqu'au 12 août 1944, date à laquelle Privas fut libérée, dans la liesse pour la Résistance, dans la honte pour les miliciens et les collaborateurs."
Par la suite, il a fallu reconstituer le syndicat CGT des PTT. Certains ont souhaité mettre en avant des personnes n'ayant pris aucune initiative pendant la période d'occupation, ce qui va provoquer une scission dans la CGT et créer Force Ouvrière. D'autres, ont décidé de créer un Syndicat départemental auquel adhéraient tous les travailleurs PTT du département, dont Clotilde Habozit était la cheville ouvrière. Elle prolongea sa vie militante après son départ à la retraite, avec la même énergie et la même détermination.
Fin de vie
En 1988, à l'âge de 80 ans, Clotilde Habozit fête, avec ses camarades, le rétablissement de ses droits à l'avancement et à la promotion, dont elle avait toujours été évincée en raison de ses activités syndicales. Entre autre, elle avait conduit la grève du 15 juin 1949 suivie à 100% au central téléphonique. À partir de ce moment, elle avait été l'objet de plusieurs sanctions disciplinaires en dépit de notations antérieures élogieuses. Aucune de ces sanctions ne la fit fléchir. Ce n'est donc qu'en 1988, à la retraite depuis près de 20 ans que Clotide Habozit retrouva une partie de ses droits, elle a alors tenu à fêter ce succès avec ses camarades de la CGT, actifs et retraités. Toute sa vie, tant en activité qu'à la retraite, Clotilde a mené le combat de son syndicat, son parti politique, pour la défense des travailleurs, toujours avec la même ardeur, le même dévouement et la même foi en l'avenir.
Ses actions dans la Résistance lui ont valu la médaille de la Résistance par décret du général de Gaulle ainsi que la médaille des Combattants Volontaires de la Résistance et d'autres décorations.
Clotilde Habozit est décédée en 1988, à Lyon.
Sources
- Extrait du bulletinde liaison de l'Institut d'histoire sociale (IHS-CGT-Ardèche), par Sege Der Loughian, n° 18 janvier 2013.
- La résistance dans les PTT, variations régionales (site internet).