Philomène-Léonie Teyssier est née le 25 octobre 1883 au Cros-de-Géorand en Ardèche. Elle s'est mariée au Cros-de-Géorand, le 13 juin 1901, avec Jean-Baptiste Martin (1874-1914). Ils étaient fermiers dans une grande ferme isolée sur la commune du Roux. C'est là que naquirent leurs cinq filles, la dernière en 1913.
Dès septembre 1914, au début de la Première Guerre Mondiale, Jean-Baptiste Martin est mobilisé, malgrè sa famille nombreuse. Envoyé au front il est tué le 18 novembre 1914 à Ypres en Belgique. Léonie se trouve seule avec cinq jeunes enfants, pour exploiter sa ferme, dans le milieu difficile de la montagne ; elle a 31 ans. Courageuse et énergique, elle assurera tous les travaux pendant deux ans, elle laboure avec ses bœufs, sème le blé et l'orge, rentre le foin, élève des porc ; , elle est aidée par ses voisins qui ont pour elle estime et admiration.
L'éducation de ses enfants n'est pas négligée : "Je veux que mes enfants soient instruits". Elle décide donc de les mettre en pension à Montpezat-sous-Bauzon. À cette époque les parents qui ne pouvaient pas payer les frais, devaient fournir la nourriture ; c'est pourquoi cette mère courageuse, descendait à pied, parfois dans la neige, jusqu'au bourg de Montpezat transportant elle-même chaque semaine ce qui était nécessaire à ses enfants.
Mais très vite elle comprit qu'elle ne pourrait continuer son travail d'agricultrice de montagne, d'autant que la ferme ne lui appartenait pas.
Elle décida donc de construire une maison sur un terrain appartenant à sa famille au carrefour de Lalligier, hameau d'une dizaine d'habitants sur le commune de Mazan-l'Abbaye, dans le but d'y ouvrir une auberge. Philomène-Léonie Martin ne disposant pas de moyens financiers, elle décida de faire certains travaux par elle-même.
C'est ainsi qu'elle transporte avec ses bœufs des troncs d'arbres qu'elle fait transformer en poutres à La Palisse. Elle ramasse les pierres qui serviront aux maçons à ériger le gros-œuvre. Les voisins participent également par solidarité et par confiance mutuelle, certains lui prêtent de l'argent qu'elle rembourse scrupuleusement dès que ses moyens le lui permettent.
Le premier été elle s'installe avec ses enfants dans sa maison en cours de construction, dans laquelle il n'y a ni portes ni fenêtres. Rapidement elle ouvre un café, elle ferme les ouvertures en prévision de l'hiver qui est souvent rude dans la Montagne Ardéchoise. Petit à petit, elle développe son commerce en y adjoignant un restaurant puis une épicerie de campagne. Elle est aidée à ses débuts par un grossiste en épicerie de Lalevade ( commune située à une trentaine de kilomètres), qui consent à lui avancer les marchandises nécessaires à la poursuite de son activité.
Après quelques années, elle ajoute des chambres à son auberge. Le succès se profile, avec, à la belle saison, une clientèle de Privas, d'Aubenas et même de Marseille qui vient prendre le "bon air" de la Montagne.
Hôtel Martin à Lalligier Mazan-l'Abbaye 07510, à sa création |
Philomène-Léonie Martin s'occupe à plein temps de l'auberge : elle fait toutes les taches ménagères bien aidée par ses filles qui ont grandi : la cuisine, la lessive, le ménage et la préparation des chambres ; elle organise une basse-cour d'élevage qui lui permet de produire de la viande de porc et de volailles qui figurera à son menu ; en outre, elle reçoit et sert les clients. Elle rassemble le beurre des fermes voisines qui sera ramassé par une laiterie en gros. Estimant que la salle de restaurant est insuffisament éclairée par les bougies et les lampes à acétylène, elle fait installer une éolienne à production électrique.
Philomène-Léonie Martin est très pieuse. Chaque dimanche elle se rend à pied à la messe à Saint-Cirgues-en-Montagne, distant de 4 kilomètres, avec ses enfanfs. À 83 ans, Philomène-Léonie Martin est toujours la patronne de son établissement, l'Auberge de Lalligier. Ses filles sont parties travailler à Aubenas, à Valence ou à Montélimar où elles se sont mariées.
Vers la fin de sa vie, elle installe un gérant et va passer l'hiver chez ses filles. Elle manifeste le désir de "connaître Paris", qu'à cela ne tienne : une de ses fille l'accompagne dans la capitale. Elle visite la tour Eiffel et Notre-Dame-de-Paris et revient satisfaite de son périple. Elle souhaite "monter en avion" : un de ses petits-fils l'accompagne au petit aérodrome de Ruoms où malgrè son âge, elle se hissa dans un petit avion pour un baptême de l'air.
Philomène-Léonie Martin est décédée à Aubenas, le 23 novembre 1971, à l'âge de 88 ans. Elle laisse dans sa famille et son voisinage, le souvenir d'une forte personnalité, gaie et blagueuse, qui a su par son courage, sa persévérance et son intelligence, créer une entreprise qui lui survit près d'un demi siècle après sa disparition.
Bar Hôtel Restaurant Lalligier à Mazan-l'Abbaye, actuellement |
Sources
- "Noémie-Philomène Teyssier épouse Martin (1883-1971)", par Renée Champanhet, dans "Mémoire d'Ardèche et Temps Présent" n° 79, 15 août 2003. D'après le témoignage de sa petite fille L. Estève et un film tourné par son petit fils en 1960.