Charles-Albin MAZON
Charles-Albin Mazon est né à Largentière le 20 octobre 1828. La famille est originaire d'Antraigues. Son père Victorin Mazon (1796-1861) était médecin, sa mère Virginie Clément-Rouvière (1807-1836) était originaire de Nîmes ; son grand-père Claude-Louis Mazon (1765-1830) était le beau-frère des Conventionnels - Républicains pendant la Révolution française - François-Joseph Gamon et Claude Gleizal ; son arrière-grand-père André Mazon, avocat à Antraigues s'intéressait aux recherches géologiques de Soulavie.
Albin Mazon, témoigne à propos de son père :
« Dans les premières années du XIXe siècle il n'y avait pas d'hôpital à Largentière mais on donnait ce nom à quelques pièces délabrées situées dans les anciens remparts de la ville entre l'église et le pont de Sigalières et abandonnées aux plus pauvres de l'endroit sans meubles, sans garde et sans aucun moyen d'existence que ceux de la charité privée. Ce que voyant, un médecin de l'endroit, le docteur Mazon, dont l'habitation se trouvait justement au-dessous de cet hôpital et qui avait vu de plus près les misères auxquelles il servait d'abri, conçut le projet de doter sa ville d'un véritable hôpital ».
Étudiant en médecine
Lecteur insatiable dès l'enfance, d'ouvrages d'histoire, d'imagination et de poésie, Albin Mazon est élève en 1839, du "petit séminaire" de Bourg-Saint-Andéol, puis jusqu'en 1846 du collège de Privas alors tenu par les Basiliens (temps dont il gardera un souvenir ému et reconnaissant). Enfin, étudiant en médecine à Paris, il connaît les élans de février 1848, il écrira :
"Je me suis agité ridiculement avec une foule d'autres grands enfants dans les rues de Paris, en criant tous comme des diables dans la soirée du 24 février "Vive la République" aucun de nous, certainement, ne sachant bien ce que ce mot signifiait…"
Alors, près de son père le docteur Louis-Victorin Mazon - qui fut brièvement commisssaire général de l'Ardèche, et en 1849, se présenta sans succès aux élections législatives, - il fait à Largentière un long séjour plein de "folies républicaines" (parfois évoquées dans les Voyages). Mais le docteur Victorin Mazon, compromis en août 1851 dans "l'affaire de Laurac" (réunions politiques et banquets républicains sont alors interdits par la loi), il se réfugie en Suisse, puis se fixe, exilé volontaire à Bonneville (la Savoie appartient alors au royaume de Sardaigne). Il fut condamné à 20 ans de travaux forcés par contumace dans l'affaire de Laurac, par le Conseil de guerre de Montpellier.
"On accusait mon père d'affiliation aux sociétés secrètes et de provocation à la guerre civile. Le premier chef était fondé, mais le second ne l'était pas : loin de pousser, mon père à Laurac n'avait fait que modérer les gens exaltés qui attaquèrent les gendarmes. Il partit même avant la rixe qui eut lieu, quand il vit qu'on ne voulait pas suivre ses conseils". (Notes personnelles)
Marié avec Clotilde Molliard, le couple aura une fille : Louise Virginie (1868-1955).
Puis marié à nouveau en 1869 avec Élise Mallet, le couple aura deux fils : Paul Emmanuel (1874-1955) et André-Auguste (1881-1967).
Journaliste
Albin Mazon doit renoncer à ses études de médecine pour trouver une situation, sa mère et ses sœurs restant à Largentière : il devient journaliste, à Chambéry d'abord, puis à Nice. Rédacteur à l'Avenir de Nice de 1855 à 1861, il est un des artisans du rattachement de Nice à la France ( par le traité du 24 mars 1860 à Turin, suivi d'un plébiscite à Nice et en Savoie). Cela lui valut d'en être expulsé.
Il se réfugia à Paris, après ces dix années d'éloignement, il reçoit la direction des services télégraphiques de l'Agence Havas (qu'il gardera près de trente ans). À ce titre, il assiste, pendant le siège de Paris, en 1870, aux départs de ballons vers la province, chaque "aéronaute" emportant, avec les sacs de dépêches, une caisse de pigeons-voyageurs : C'est par ce moyen que nous reçûmes, vers le milieu de janvier, de brèves nouvelles de notre famille, dont nous ne savions absolument rien depuis plus de quatre mois…
Pouquoi Docteur Francus ?
Albin Mazon est l’auteur de nombreux ouvrages dont des récits de voyages en Ardèche publiés sous le pseudonyme de Docteur Francus. Ce nom peut évoquer le goût de l'histoire ancienne, l'amour du pays, le franc-parler, le souvenir d'une vocation médicale, le souci d'observer les maux et d'y chercher remède… Tous ces éléments sont présents dans chaque volume de la série des Voyages du Docteur Francus.
Dans l'introduction à l'édition de 1965 du "Voyage autour de Privas" Jacqueline Mazon résumait ainsi la personnalité de son grand-père :
"Adopter un pseudonyme, c'est vouloir s'effacer au profit des idées exprimées. Ce nom choisi par l'auteur peut évoquer à la fois le franc-parler, le patriotisme, le souci de guérir les esprits, l'intérêt persistant pour la médecine étudiée autrefois, et le souvenir de son père médecin, républicain mort en exil en 1861 : de ce père peut-être il tient son ardeur (pour une autre cause) à propager ses convictions. Déçu par les expériences républicaines de sa jeunesse, blessé par la défaite, révolté dans son libéralisme par les mesures anticléricales, il veut défendre avant tout la religion, ferment de civilisation, source de poésie, garantie d'ordre social et de moralité, et les vertus individuelles qui suffiraient, dit-il, à résoudre la question sociale : générosité paternelle, d'une part, patience et travail de l'autre. Le progrès économique de sa région, il le voit non dans l'industrie minière (dont il redoute les effets sur les élections et les mœurs), mais dans le reboisement, les châtaignes et les eaux minérales".
Les correspondants d'Albin Mazon
Parmi les correspondants civils citons : son ami Firmin Boissin de Vernon ; le géologue Dalmas de Montpezat ; le Docteur Lamotte au Pouzin ; Célestin Dubois ancien juge à Thueyts ; l'instituteur Chiron à Saint-Just ; le docteur Gilles à Saint-Marcel ; l'archéologue L.B. Morel d'Andancette ; l'historien Jules Baissac aux Vans.
Parmi les très nombreux curés et vicaires à qui Mazon s'adresse tout naturellement (ils sont instruits et connaissent bien le pays, étant plus stables que les fonctionnaires civils), citons : J.B. Chenivesse pour Antraigues ; J.B. Oriol à Annonay ; Canaud à Gravières, compagnon de voyage et collaborateur de Mazon dans la région des Vans et dans les gorges de l'Ardèche ; enfin Mollier, curé de Montréal puis de Banne, qui dès 1875, l'accompagnait sur le Tanargue, organisait pour lui "banquet champêtre" et réunion de travail avec les prêtres du canton (1876), et depuis a visité avec lui, en septembre 1884, Ruoms, Voguë et d'autres localités.
Pour le pays helvien, Albin Mazon connaissait aussi, depuis 1881, le curé de Creysseilles, François Guigon, né à Villeneuve-de-Berg en 1844, lié à la famille de Barruel : un prêtre intelligent, quelque peu artiste, qui sait, comme on dit, par cœur son Villeneuve d'avant la Révolution
(lettre de Coulomb, curé-archiprêtre, 7 mai 1885). Guigon avait renseigné Mazon sur Pranles, Veyras et Creysseilles, avec de jolis dessins de chapiteaux ; il a pu le renseigner sur Villeneuve ; Chenivesse, né à Viviers, lui apportait aussi des précisions sur sa ville natale.
Patriotisme d'Albin Mazon
Le patriotisme du Dr Francus, Français et Vivarois, est sensible partout, dans l'histoire du passé ou dans la réflexion sur le temps présent. Mais il veut être actif, encourager à l'action. Une de ses formes les plus sympathiques et efficaces, c'est de faire revivre, pour un village ou une cité, ceux de ses enfants qui, par la valeur et la portée de leur œuvre, ont dépassé le cadre local : leur souvenir peut éveiller des vocations, inspirer une saine fierté. Ces biographies sont ici nombreuses, comme il est naturel pour les cités oubliées. À Villeneuve : trois protestants illustres Jean de Serres, Antoine Court, Court de Gébelin ; les Barruel, Jean-Louis de la Boissière, le président Challamel, M. de Saint -Andéol. À Viviers, citons le chanoine Rouchier, historien du Vivarais; les poètes Jacques et Marie de Romieu au XVIe siècle ; Honoré Flaugergues, juge de paix, polyglotte, astronome, à qui Mazon consacrera plus tard une notice spéciale en le replaçant dans son époque, celle de la Révolution, car pour bien comprendre un homme, il est indispensable de connaître le temps et le milieu où il a vécu et les influences qui ont agi sur lui.
Quant au franc-parler de Mazon, nous le voyons dans la liberté d'allure du récit, dans tous les éléments personnels, les observations directes, les regrets et les conseils, souvent liés pour le "Docteur Francus" au souci de la santé (celle des corps et des esprits).
Les souvenirs de jeunesse, le charme des classes-promenades pour étudier la nature avec ses maîtres Basiliens autour de Privas, les visites médicales avec son père chez les paysans, les remèdes populaires, les guérisseurs ont été évoqués dans d'autres Voyages. Au pays helvien il observe les animaux ( les perdrix rouges, les castors), il voit dans un médecin antique un précurseur de l'hygiène moderne, il prêche la surveillance des eaux, la propreté des rues, il rappelle les ravages du choléra, en 1884, à Villeneuve… et comme toujours, se renseigne partout sur les sources et sur les eaux minérales : le thermalisme serait - selon lui - un secours précieux pour la médecine, mais aussi pour l'économie.
D'autres maux, en effet atteignent son pays : crise économique due aux fléaux naturels (maladie des vers à soie, phylloxéra) et à l'invasion des soies étrangères, exode vers les villes. Le salaire des enfants dans les fabriques était encore une ressource vers 1878, pour les familles appauvries mais l'industrie s'affaiblit aussi, et les lois scolaires de Jules Ferry (1880-1886) font monter la fièvre politique entre l'Église et les républicains. Elles ont interdit l'enseignement aux congrégations non autorisées, rendu l'enseignement primaire gratuit, obligatoire de 6 à 13 ans et laïque quant aux programmes ; en 1886 le personnel enseignant sera laïcisé aussi. Libéral blessé par l'anticléricalisme, Albin Mazon, devant les belles écoles laïques toutes neuves (selon lui coûteuses, mal placées etc.) a des paroles amères : l'ancienne fête des Fous à Viviers, exutoire naturel, avait du bon ; maintenant la folie est dans la vie publique, on gaspille les fonds qui seraient mieux employés à des travaux d'assainissement pour prévenir les épidémies.
À sa retraite, en 1890, il se consacre à l'histoire de son pays natal, le Vivarais, devenu le département de l'Ardèche, écrivant de nombreux livres sur Privas, Aubenas, Tournon, Laurac, Uzer, Largentière...
L'infatigable explorateur et historien de l'Ardèche ancienne a longtemps habité Privas, où il possédait une maison, place des Mobiles, en face de la demeure de M. Paul d'Albigny.
Charles-Albin Mazon est mort à Paris le 29 février 1908, son corps repose au cimetière de Privas.
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Bibliographie dans la Revue du Vivarais 1908, 1928 numéro spécial, et 1961. Il est l'auteur des célèbres "Voyages" dont la plupart ont été réédités.
- Voyage au pays Helvien, Privas, imp. du Patriote, 1885, Aubenas, Lienhart, 1965, reprint de l'édition de 1882.
- Voyage autour de Valgorge, Privas, imp. Roure, 1879.
- Voyage autour de Privas, Aubenas, Lienhart, 1965,reprint de l'édition de 1882.
- Voyage autour d'Annonay, imprimerie Lienhart et Cie 1975.
- Voyage dans le Midi de l'Ardèche, 2 tomes, Privas, imp. du Patriote, 1884.
- Voyage au Bourg-Saint-Andéol, Privas, Imprimerie du Patriote - 1886.
- Voyage autour de Crussol, Imprimerie Lienhart, 1977.
- Voyage au Pays des Boutières - La région de Vernoux. Lavilledieu, Éditions de Candide - Avril 1985, (1902).
- Voyage autour de Valgorge, imprimerie Lienhart, 1968.
- Voyage fantaisiste et sérieux à travers l'Ardèche et la Haute-Loire, S. Sudre (Le Teil) - 1983.
- Voyage humoristique dans le Haut-Vivarais, Éd. de Candide (Lavilledieu) - 1987.
- Voyage archéologique et pittoresque, historique et géologique, fantaisiste et sentimental, économique et social, philosophique et politique, à pied, à bâteau, en voiture et à cheval le long de la rivière Ardèche, Privas, Imprimerie du Patriote, 1885 ; Aubenas-en-Vivarais, Imprimerie Lienhart, 1970,
- Voyage aux pays volcaniques du Vivarais, imprimerie Roure, Privas, 1878.
- Voyage le long de la rivière d'Ardèche. À pied, à bateau, en voiture et à cheval. Imprimerie Lienhart et Cie, 1885.
- Histoire du Cheylard, Imprimerie Lienhart, 1987.
- Histoire de Largentière, Privas, Imprimerie Constant Laurent, 1904, 592 p.
- Notes historiques sur Saint-Agrève, Éd. de Candide (Lavilledieu) - 1988 ; La légende de SAINt Agrève.
- Notes historiques sur Tournon et ses seigneurs, Marseille, Reprints Laffitte, 1975, réimpression de l'édition de Privas 1908.
- Notice sur Saint-Martin-de-Valamas et ses environs, Annonay, J. Royer, Édition Dolmazon 07160 Le Cheylar, 1896.
- Notice Historique sur l'Ancienne paroisse d'Ailhon, comprenant les communes modernes d'Ailhon, Fons, Lentillères et Chazeaux. Privas, Imprimerie Centrale, 1905, réédition 1977 par l'imprimerie Lienhart, Aubenas.
- Notice Historique sur l'ancienne Paroisse de Jaujac, La Souche, Prades, Saint-Cirgues-De-Prades, Le Livre d'Histoire, Imprimerie centrale de l'Ardèche, Privas, 1898.
- Notice sur la baronnie de La Voulte, Imprimerie centrale de l'Ardèche, 1897.
- Notice sur Vinezac, Privas, imp. ardéchoise, 1897.
- Notice Historique sur l'Ancienne paroisse d'Ailhon - réédition 1977 par l'imprimerie Lienhart, Aubenas.
- Notice sur Lauréac et Montréal, ancienne paroisse de Saint-Amans-des-Termes, Éditions de la Bouquinerie, 1896.
- Les deux Bérenger de la Tour d'Aubenas, Privas, imp. Centrale de l'Ardèche, 1905,
- Mémoires d'un songeur, Imprimerie Centrale, 1906.
- Notice sur la vie et les œuvres d'Achille Gamon et de Christophle de Gamon d'Annonay en Vivarais, Éditeur Mougin-Rusand, 1885.
- Un Roman à Vals, Montpellier, Imprimerie Centrale du Midi, Ricateau, Hanolin et Cie, 1875.
- Notes et documents historiques sur les huguenots du Vivarais, Impr. centrale de l'Ardèche (Privas) - 1903 ; réimpression Valence 2008.
- Les églises du Vivarais, RéimpressionLa Bouquinerie, Valence 2008.
- Histoire de Soulavie, naturaliste, diplomate, historien ; Librairie Fischbacher, 1893.
- Les muletiers du Vivarais, du Velay et du Gévaudan, Impr. Lienhart (Aubenas-en-Vivarais) - 1980 ; réédition FOL Privas en Ardèche, 1997.
- Réception d'un maître d'armes à Sanilhac, au XVIIe siècle
- Les votes sur la mort de Louis XVI.
- Éssai historique sur le Vivarais pendant la guerre de 100 ans (1337-1453) Alain Mazon, réédition du livre de 1889, La Bouquinerie Valence, 1993.
- Un missionnaire vivarois aux Indes (l'abbé Dubois de Saint-Remèze). Privas, imprimerie centrale de l'Ardèche, 1899,
Cet érudit chercheur a fait don du fruit de son travail d'historien, constitué de pièces manuscrites, avec le Fonds Albin Mazon, entreposé aux Archives Départementales de l'Ardèche, sous les cotes 52J 1-265, 15 ml de documentation, de 1184 au XXe siècle, d'accès et droit de reproduction libres, avec l'histoire des familles Agrain des Hubas, Boissin (Firmin), Gamon (François Joseph), Mazon (Albin), Soulavie (Jean-Louis)
Sources
- Envol / 462 juillet-août 1996. Dans cet article, Jacqueline Mazon ( la fille d'André Mazon) a communiqué plusieurs documents rédigés par elle-même pour la réédition du Voyage en pays helvien ; ainsi qu'une présentation générale des" Voyages du Docteur Francus".
- Archives Départementales de l'Ardèche, Fond Mazon : 52J 1-265
- Un républicain de son temps : le docteur Victorin Mazon (1796-1861), par Éric Darrieux, article publié dans "Mémoire d'Ardèche Temps Présent" n° 72, 15 novembre 2001.