D'après le texte et avec l'autorisation de Jean-Marc Gardès.
Là-haut, depuis près d'un millénaire, solidement construite en lave et en granite, la belle église romane de Lespéron défie le temps, aux confins de l'Ardèche et de la Lozère.
Autant dire qu'elle a vu, au XIIe siècle, l'enfance du fils d'un pêcheur du bourg (1), Perdigon.
Celui-ci, habile joueur de vielle, fin conteur, chanteur et jongleur (ménestrel) exerça ses talents à la cour du dauphin d'Auvergne.
Lorsque menaça la croisade contre les Albigeois, il trahit la cause occitane. Il alla jusqu'à célébrer la défaite du roi d'Aragon, mort en 1213 à la bataille de Muret. Le dauphin d'Auvergne l'avait fait chevalier ; son fils lui retira les bienfaits de son père. Il trouva asile dans un cloître où il mourut.
Voici ce que l'on peut lire sur la vie provençale de Perdigon dans l' "Histoire du Languedoc" (2) :
"…Par son trouver et son intelligence, il monta en prix et en honneur au point que le dauphin d'Auvergne le retint pour son chevalier et lui donna terre et rente et le vêtit et l'arma avec lui longtemps; et tous les hommes distingués lui faisaient honneur et il eut longtemps de bonnes aventures."
"Mais sa situation changea beaucoup, car la mort (de ses protecteurs) lui enleva les bonnes aventures et lui donna les mauvaises, puisqu'il perdit les amis et les amies, et le mérite et l'honneur et la richesse ; et ensuite il se rendit dans l'ordre de Citeaux et là il mourut."
"Or, étant en cet honneur, il alla avec le prince d'Orange, Guillaume du Baus, et avec Folquet de Marseille, évêque de Toulouse, et avec l'abbé de Citeaux, à Rome, pour le malheur du comte de Toulouse, et pour organiser croisade et pour déshériter le bon comte Raimon ; et le neveu (de Raimon), le comte de Béziers, fut tué et le Carcassès et l'Albigeois furent détruits, et il en mourut le roi Pierre d'Aragon, avec mille chevaliers devant Muret et plus de vingt milliers d'autres hommes. Et à faire tous ces exploits fut Perdigon et il en fit prédication en chantant ; (c'est) pourquoi les gens se croisèrent ; et il en fit louange à Dieu, car les français avaient tué et vaincu le roi d'Aragon, lequel lui donnait des vêtements et lui faisait ses dons. C'est pour cela qu'il déchut de prix et d'honneur et d'avoir. Et, quand ils l'eurent enrichi, de tous ceux qui demeuraient vivants, nul ne le voulut voir ni entendre. Et tous les barons de son amitié étaient morts à la guerre, le comte de Montfort et le seigneur Guillaume du Baus et tous les autres qui avaient fait la croisade ; et le comte Raimon avait recouvré sa terre. Perdigon (3) n'osa aller ni venir et le dauphin d'Auvergne lui avait enlevé la terre et la rente qu'il lui avait données. Et il s'en alla auprès du seigneur Lambert de Montélimar, qui était le gendre de Guillaume du Baus, et le pria qu'il le fit recevoir dans une maison de Citeaux qui a nom Silvabela, et il l'y fit recevoir et là il mourut…"
Bribe de parler vivarois de Perdigon :
• E ont plus m'en vau lunhan, (Et plus je m'en vais en lieu lointain)
• Meyns n'ay de joy e mais d'afan (Moins j'ai de joie et plus de chagrin)
Sources
(1) L'Espezonnette, la rivière qui coule à proximité, n'était-elle pas encore classée par certains guides, il y a peu, seconde rivière à truites de France ?
(2) Histoire générale du Languedoc, Toulouse, Privat ; Tome X, pp. 178-279. On lira également l’étude documentée que Césaire Fabre a consacrée au « Troubadour Perdigon » dans la Revue du Vivarais, 1913-1914.
(3) Sur l’œuvre de Perdigon enfin, troubadour ardéchois du XIIe siècle, injustement méconnu, on lira : « Les chansons de Perdigon », éditées par H.J. Chaytor, coll. « Les classiques français du Moyen Âge », Librairie ancienne Honoré Champion éditeur, Paris 1926 ; « Annales du Midi », tome XXI, 1909 ; « Chrestomatie » par M. Appel, Revue des langues romanes, LVI, p. 5 : « Rhône-Alpes, terre de troubadours », J.C. Rixte, EMCE Éditions, 2012.
- "Le Saviez-vous ?" par Jean-Marc Gardès, Envol mensuel de la Fédération des Œuvres Laïques de l'Ardèche, n° 520 / Mai 2002.
- "Vivarais Ardèche" par Michel Carlat, Jean Charay, Robert Gaud, Georges Massot, Michel Riou, Editions Bonneton Paris, 1991.
- Histoire Générale du Languedoc, Toulouse Privat; Tome X, p178-279
- Revue du Vivarais, 1913 -1914
- Les classiques français du Moyen Âge : Les chansons de Perdigon, Librairie ancienne Honoré Champion éditeur, Paris 1926.