Portraits d'ardéchois

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Victor POUMARAT dit l'Américain

1819 - 1900

Meurtrier impuni, aventurier

Victor Poumarat est né le 21 octobre 1819 à Saint-Julien-du-Gua en Ardèche. La famille est protestante originaire du Puy-de-Dôme qu'elle a quitté à la révocation de l'Édit de Nantes (22 octobre 1685), pour se réfugier dans les Boutières, région acquise à l'Église Réformée.

Son père Jean Poumarat est cultivateur et meunier, il a hérité du moulin à blé de son père ; sa mère Jeanne Rourin ménagère semble être une femme de forte personnalité et de caractère peu conciliant. Le couple aura dix enfants, Victor est le second. En 1834, les parents de Victor se séparent, c'est cette année là, semble-t-il, qu'ils ont décidé de créer le moulinage à soie. Le passage de meunier à moulinier entraînait un changement social pour les Poumarat devenus patrons.

Mort de Victoire et Jean-Pierre Vernet

En 1839, Victor a 20 ans, il vit encore chez ses parents dans le moulinage, avec ses frères et sœurs, à l'exception de la sœur aînée qui est mariée avec 2 enfants et habite la commune de Saint-Julien-du-Gua. Au petit moulin, la famille de Jean-Pierre Vernet est installée avec sa femme et au moins 4 enfants ; il s'agit d'une famille d'une grande pauvreté toujours à la recherche d'une nouvelle ferme, d'un nouveau bail.

Leur fille Victoire âgée de 20 ans travaille comme ouvrière chez les Poumarat. Victoire se retrouve enceinte et selon les anciens du quartier la Pervenche, les parents de Victor refusent d'entrevoir une telle mésalliance. Victor
aurait alors roué la pauvre fille de coups de pied dans le ventre et elle en est morte le 13 septembre 1839 probablement suite à une fausse couche. Il est probable que la mère de Victoire a tout caché à son époux Jean-Pierre Vernet. La famille Vernet avait trop besoin de rester dans le minuscule moulin qui leur servait de toit et de travail, elle ne voulut pas chercher de problèmes.

Six semaines plus tard, dans la nuit du 16 décembre 1839, c'est le drame pour les familles Poumarat et Vernet. Le père de Victoire a-t-il appris la vérité sur la mort de sa fille ? S’est-il montré menaçant ou exigeant ? Ce qui est certain c’est que Victor lui a tendu un piège. Il a coupé l’eau qui alimentait le moulin. Il faisait nuit et très froid. Jean Pierre Vernet est sorti pensant sans doute que l’eau était gelée. Victor a tiré un coup de fusil et a tué le père de sa première victime.

Les gendarmes sont venus, à cheval, de Saint-Pierreville pour faire une enquête. Victor a été écroué à la prison de Privas, mais son avocat Maître Croze réussit à le faire sortir de prison en mars 1840. Par la suite, l’avocat a poursuivi Jean Poumarat,quand il s’est rendu compte qu’il n’arriverait jamais à se faire payer ses honoraires !

 

Victor en Amérique

À sa sortie de prison, Victor n'a que 21 ans ; dans toute la commune de Saint-Julien-du-Gua, la réputation de la famille était mise à mal par les évènements dans lesquels Victor Poumarat était impliqué. Victor devait quitter la région pour se faire oublier. Où aller pour faire fortune et pour impressionner la famille et surtout ce père et ce frère aîné avec qui les relations ont dû être tendues après le coup porté à leur réputation ? L'Amérique est la destination choisie par Victor.

Old Lovelocks vers 1890

 

Quelques temps après son départ on le retrouve à Dogtown, Butte County, en Californie, à 2 600 pieds (792 mètres) d'altitude dans la Sierra Navada, où il a rejoint les nombreux chercheurs d’or qui se sont rués dans cette région de Californie dès janvier 1848. Des témoignages indiquent que près de 300 000 aventuriers déboulent sur place en chariot, à pied ou en bateau. Ils viennent d'Amérique, d'Europe, d'Asie et même d'Australie. Les hommes qui ont tenté l'aventure vivent dans des conditions précaires ; ils campent sous les arbres. Ils sont courageux et déterminés. Victor s'est peut-être installé dans un lieu lui rappelant son Ardèche natale. Nous ne savons pas.

Mort du père de Victor

 

Le 20 décembre 1850, le père de Victor meurt ; le complément de partage se fait en 1856, devant Émile Blanchenay, notaire. Jeanne Rourin, la mère de Victor représente son fils "absent, demeurant en Californie". Jacques son frère aîné, avait reçu l'exploitation de la fabrique de soie et des dépendances moyennant un don de 6 000 francs. Jacques meurt le 6 septembre 1857 à l'âge de 49 ans.

De Californie, Victor entretient une correspondance avec son plus jeune frère Zéphirin. Il lui prodigue des conseils et le charge d’embrasser sa mère et de donner le bonjour à ses sœurs, beaux-frères, parents et amis ! Il exprime sa tristesse de ne pas revoir son pays. Il ajoute : “J’espère cependant de revoir encore ma mère”. Nous apprenons aussi qu’il envoie de l’or avec ses courriers. L’or de cette lettre est destiné à son oncle du Théron mais il promet de faire passer une pépite à Zéphirin dans la suivante. Ses affaires marchent !

Cette lettre exprime sa hargne contre son frère aîné et montre bien le rôle qu’il tient à tenir, à l'égard de sa famille, maintenant que le chemin est libre. Bienfaiteur, donneur de leçons, le riche oncle d’Amérique devait prendre de plus en plus d’ascendant sur son frère et plus tard sur ses neveux.

Propriétaire d'une mine de quartz à Toadtown

 

 

Les chroniques locales racontent que Victor Poumarat était propriétaire d'une mine de quartz (le quartz est un des principaux indices de la présence de l'or dans sa masse) à Toadtown, renommé Magalia vers 1862. C'est un des endroits les plus productifs de l'État de Californie.

Il s’est installé à Lovelock à quelques kilomètres de Dogtown où il a racheté les biens de Georges Lovelock qui avait fondé la localité en 1855. La propriété, qui comprend un broyeur, le matériel de levage a été rachetée par Joseph Richards et plus tard par la Compagnie minière Toadtown.

Poumarat Mine (Quartz) était située à Little Butte Creek, à 1,5 miles au NW de Lovelocks, à 2 600 pieds d'altitude ; deux hommes travaillent à la mine.

Victor Poumarat est également propriétaire d' un magasin et d'un hôtel.

Victor Poumarat citoyen américain

 

 

Victor Poumarat devient citoyen des États-Unis le 3 Aout 1869.

Selon les archives de Coutelenc (anciennement Lovelock), on disait Victor riche. On disait aussi qu’il a fait de
nombreux voyages en France et même que lors de l’un de ses voyages, il a ramené quatre splendides fusils de chasse. Il en a gardé un et vendu les trois autres à 100 dollars pièce. On disait que ces fusils étaient de véritables chefs-d’oeuvre.

D'autres témoignages indiquent que Victor Poumarat ne cherchait pas à être agréable avec ses voisins ; il était même particulièrement procédurier.

Voyages en France

 

Si Victor a fait de nombreux voyages en France, en tout cas nous sommes au moins sûr de deux voyages à Saint-Julien-du-Gua. Il est venu en 1877 et en 1893, date à laquelle il a fait son testament à Privas.

Jeanne Rourin, la mère de Victor, est morte en 1872 à l’âge de 95 ans. Victor s’est plaint dans une lettre à son neveu de Foulix que son frère ne l’avait pas informé du décès de leur mère. Il avait appris la nouvelle fortuitement par un neveu. Il semble que le frère Zéphirin éprouvait quelques difficultés à faire tourner l’usine. Il a même fait main basse
sur une somme d’argent que Victor lui avait envoyée d’Amérique afin de faire ériger de belles pierres tombales dans le cimetière de famille.

Nous savons par une lettre affolée de Zéphirin à son neveu de Marcols que Victor est arrivé à l’improviste des États-Unis en 1893 et qu’il voulait porter des fleurs de Privas pour les mettre sur les dites tombes qui n’existaient toujours pas. Zéphirin demandait à son neveu de lui faire vivement parvenir de l’argent, afin de commencer les travaux pour calmer un Victor déçu et fort mécontent ! Pour enfoncer le clou, Zéphirin informe son neveu que Victor vient de faire son testament laissant la moitié de ses biens à son frère et l’autre moitié à partager entre ses sœurs ou leurs enfants si celles-ci sont mortes. Les sommes étaient importantes et l’oncle “américain” était un homme à ménager.

Ce testament en dit long sur la personnalité de Victor Poumarat. Il est resté célibataire et en cinquante-cinq ans ne semble s’être lié avec personne en Californie. Dans ses lettres, il ne parle jamais de sa vie, de ses activités ni même de ses affaires. Il semble que dans sa tête, il restait Ardéchois et que les liens du sang lui étaient primordiaux.

Il transférait son argent en France. Il a envoyé au moins deux fois son portrait (tiré par un photographe de San Francisco) à son frère et à ses neveux. Zéphirin en fait grand cas dans une lettre de 1894 :

“J’ai fait mettre ton portrait à la petite salle à manger. L’invention de la photographie est une belle chose pour les souvenirs de famille. Cela vous reporte des années en arrière et entretient l’amitié fraternelle et il semble qu’on est toujours restés ensemble”.

À Lovelock, Victor devait certainement garder ses distances. Il devait cultiver le secret et montrait une grande méfiance. D’ailleurs son frère y fait allusion lorsqu’il explique à son neveu que Victor voyageait habillé de vieilles fripes afin de ne pas attirer l’attention.

Victor Poumarat alimentait les rumeurs et les rancœurs. Personne, dans Butte County, n’a su ce qu’il était devenu lorsqu’il en est parti définitivement. Certains disaient qu’il était mort à Chicago sur le chemin du retour vers sa France natale. D’autres disaient qu’il était mort seul dans une cabane en bois dans la région de Lovelock. En tout cas, il ne semble pas avoir laissé de regrets et il n’a certainement pas écrit à qui que ce soit dans Butte County après son
retour à la Pervenche.

En 1880, Victor rencontre Eugène Fortuné Coutelenc, un jeune compatriote qui était né en 1854 dans les Basses-Alpes. Victor lui a loué ses propriétés de Lovelock (un ranch, un hôtel, un magasin) avant de les lui vendre vers 1885. Coutolenc est même devenu partenaire de Victor Poumarat dans l'exploitation de sa mine de quartz et or, avec une participation des deux-tiers. À partir de cette époque Old Lovelock a été rebaptisé Coutelenc. Ainsi en Californie comme en Ardèche les lieux prenaient souvent le nom de leurs propriétaires. Chose curieuse, lorsque Poumarat a acheté les propriétés de Georges Lovelock, la localité n’a pas changé de nom. De la discrétion ?

Poumarat receveur de poste

 


V. Poumarat tenait le bureau de poste au lieu-dit alors "Lovelock" où il a rempli la fonction de receveur de poste pendant plusieurs années. Mais ne voulant plus collaborer avec Coutolenc, il a obtenu que M. Benner reprenne le bureau de poste en le déplaçant à son domicile, à environ un mile et demi au nord, en gardant le nom de "Lovelock." Plus tard Coutolenc est parvenu à être receveur de poste dans son village.

Retour en France

 

Pourquoi Victor a-t-il attendu 1899 pour revenir en France ? Avait-il peur de ce voyage si long et compliqué pour son âge ? En juillet 1898 son neveu Émile Marcon le presse de rentrer et vivre chez lui. Victor est rentré l’année suivante mais Émile étant mort, l’usine était exploitée par un petit neveu.

Il a dû être bien seul, car le souvenir des événements de 1839 devait être encore bien vivace dans le village. Il n’a pas cherché à aller vivre chez ses neveux (sans doute ne lui ont-ils pas demandé de le faire !). Sa seule petite vengeance a été de ne pas changer son testament ce qui a occasionné pas mal de démarches administratives pour les héritiers car le principal légataire, Zéphirin, était mort le 28 février 1896, avant le testateur.

Victor laissait une jolie somme. Pourquoi n’a-t-il pas disposé autrement de ses biens ? Sans doute cela aurait été totalement contre sa nature. En bon fils Poumarat et fils de Jeanne Rourin, il n’aurait pu se résoudre à laisser cet argent ailleurs que dans la famille, perpétuer la légende de l’oncle d’Amérique.

Victor avait-il mauvaise conscience ? Pensait-il parfois à Victoire Vernet et à son père ? Il semblerait que non. A t- il eu peur ? Peut-être que oui, surtout si l’on tient compte de son caractère méfiant (il arrivait toujours au Gua de nuit lors de ses voyages des États-Unis). Il a tué deux personnes et pourtant dans ses lettres, il donnait des leçons de morale à son frère et à ses neveux.

Nous ne lui connaissons que deux élans de générosité mis à part le don d’un acre de terre pour le cimetière de Lovelock-Couletenc. En 1893, lors de son voyage en France à l’occasion de la mise en ordre de ses affaires (testament, terres familiales), il a fait un don à la commune de Saint-Julien-du-Gua et un autre à la commune d’Issamoulenc. Ces dons étaient de 1 000 francs chacun et au bénéfice des pauvres de la commune. La mairie de Saint-Julien-du-Gua a accepté le don en remerciant le donateur. Par contre, à Issamoulenc, s’est posé la question de l’opportunité d’accepter le don, certains héritiers naturels de Victor, résidant sur la commune, étant eux-mêmes pauvres.

Victor a laissé un héritage d’environ 50 000 francs et nous nous rendons compte qu’il avait préparé son retour en France depuis un certain temps. Il avait investi à Paris : obligations de la ville de Paris, actions et obligations des chemins de fer Paris-Lyon-Marseille sans compter le produit d’une rente effectué sur la bourse de Paris.

Et les victimes ? Victoire et son père sont morts en 1839. La veuve de Jean-Pierre est décédée en 1841 à l’âge de 50 ans chez sa fille et son gendre à Abeillouse sur la commune d’Issamoulenc. Le petit moulin qu’occupait la famille Vernet était en quelque sorte un logement de fonction qu’il a fallu libérer au plus tôt.

 

Pendant les derniers mois de sa vie qu'il passe en Ardèche ; ses parents et ses frères sont décédés, le reste de sa famille ne veut pas l'accueillir, Victor a donc logé jusqu’à sa mort, le 13 janvier 1900, chez un aubergiste du hameau de la Pervenche à Saint-Julien-du-Gua. Le cimetière protestant est situé au bord de l'Auzène, sur le chemin de la Pervenche à Saint-Pierreville, via Abeillouse, dit aussi "chemin du pécule", en face de l'ancien moulinage des Poumarat.

On raconte que les fossoyeurs avaient creusé un trou très profond puis laissé tombé le cercueil dans le trou pour montrer leur opinion sur le défunt.

 

Sources

 

- Archives Départementales de l'Ardèche, état-civil de Saint-Julien-du-Gua.

- "Cahier de Mémoire d'Ardèche et Temps Présent", par Patricia Aurenche , n°96, 2007.

- Mocavo : Appendix to the Journals of the Senate and Assembly of the Thirty-Second Session of the Legislature of the State of California, page 91

- "History of Butte County, Cal.," by George C. Mansfield, Pages 844-846, Historic Record Co, Los Angeles, CA, 1918.

- Sociétés d’histoire locale de Coutelenc, Lavonne Ketchum ; Journal des frères Stuart dans le Dogtown Territorial

- Courriers de Victor avec sa famille (archives privées Albon d’Ardèche).