Au XVIIIème siècle, les céréales dont le Vivarais a besoin et qu'il ne produit pas suffisamment, sont cultivées en priorité sur les terres les plus riches des vallées. Le vin, bien que servant de monnaie d'échange pour obtenir l'indispensable complément de céréales en provenance d'Auvergne, est donc cantonné sur les coteaux et dans les zones marginales.
Au début du XIXème siècle, on constate une grande progression du vignoble ardéchois, trop souvent au détriment de la qualité.
C'est dans le contexte d'une véritable catastrophe nationale dans la viticulture que se révèle le génie des hybrideurs ardéchois Eugène Contassot, Georges Seibel et Georges Couderc. Venu des États-Unis, le phylloxéra attaque le vignoble français d'abord dans le Gard puis en Ardèche. Certains sont partisans de la reconstruction du vignoble par des plants américains, d'autres de conserver les cépages anciens en les traitant par le sulfure de carbone. C'est alors que l'idée de l'hybridation ouvre une nouvelle voie. Il s'agit de croiser les espèces pour allier la robustesse des plants américains à la qualité des plants européens.
La famille Couderc est originaire de Teste Rouge à Montselgues (qui a donné naissance au célèbre hybrideur Georges Couderc et à Sainte Thérèse Couderc, fondatrice de l'ordre du Cénacle).
Georges Couderc est né le 14 mai 1850 de Victor Couderc et Marie de Barrès, famille de la noblesse ardéchoise, proche de Privas. Son grand-père Georges-Martin Couderc en épousant Henriette Mujas fondera la branche albenassienne de la famille.
Le père de Georges Couderc était bijoutier près du château d'Aubenas. Passionné de nature, il achète une partie de la colline de Champfleuri au sud de la ville (quartier de la Pailhouse), où il expérimente des croisements de roses.
Études
Georges Couderc fait de solides études : Bachelier en lettres et en sciences à 17 ans, Georges est "un esprit clair, curieux de tout", note Gérard Prat dans Aubenas d'hier et d'aujourd'hui … "La vérité l'attirait, le fascinait", écrit R.Verrot en 1930 dans Pages albenassiennes. Cette quête le conduit aux portes de Polytechnique et de l'École Normale Supérieure, auxquelles la thyphoïde le fait renoncer. Puis en droit à Grenoble, en géologie, minéralogie et paléontologie à l'École des Mines à Paris. Et encore en médecine à Montpellier.
Mais en 1851 en Ardèche, on s'aperçoit que les ceps de vigne sont atteints d'une maladie qui tend à faire pourrir le raisin : l'oïdium. On avait déjà fait venir d'Amérique des cépages producteurs directs à demi sauvages, "Isabelle" et "Concord", qui en principe résistaient à toutes les maladies, mais sans savoir que ceux-ci étaient porteurs d'un puceron nommé Phylloxéra Vastatrix contre lequel ils étaient immunisés… Ce puceron a une durée de vie limitée qui est inférieure à la durée de la traversée de l'Atlantique par la marine à voile. C'est avec l'apparition d'une marine à vapeur plus rapide, que les pucerons ont pu alors arriver vivants à Marseille. C'est ainsi qu'apparaît dès 1863, dans le sud du département de l'Ardèche, le terrible phylloxéra.
À partir de 1864, le phylloxéra commence à attaquer le vignoble français. En 1868, Planchon identifie le puceron dévastateur, déjà identifié aux États-Unis en 1854 par Asa Fitch sous le nom de Pemphigus vitifoliae. Les moyens de lutte utilisés sont souvent inefficaces : badigeonnage avec un mélange de chaux vive, de naphtalène et d'huile lourde ; traitement au sulfure de carbone, long et coûteux ; submersion. C'est l'utilisation de plants américains immunisés contre le phylloxéra, servant de porte-greffes qui sera finalement la technique la meilleure encore utilisée aujourd'hui dans de rares cas.
La vigne, les agrumes, le châtaignier...
En 1874, dans le vignoble de la Cévenne ardéchoise, la récolte est exceptionnelle, à la fois par sa qualité et sa quantité. C'est la dernière. On ne sait pas encore que le phylloxéra va irrémédiablement détruire les vignes. (Freddy Couderc).
En 1876, Georges Couderc fait ses premières recherches sur le domaine familial de Champfleuri. Il aurait pu alors s'enorgueillir d'avoir réussi des coups de maître : il réalise des plants qui résistent à l'insecte et qui produisent une qualité satisfaisante.
En 1879, il se marie avec Clothilde Renaudin-Consolat, petite-fille du maire de Marseille, il a 29 ans, ils auront neuf enfants dont deux décédèront en bas-âge.
Dès 1881, il a tout juste trente ans, il est reconnu dans le monde de la viticulture. C'est cette année là qu'il sèmera les pépins donnés par Eugène Contassot, au nombre de 14 résultant des toutes premières hybridations, croisement entre un Vitis Riparia (Couderc) et un Vitis Rupestris (Martin), sur la 33e rangée de sa pépinière. "14 plants levèrent dans un terrain artificiellement calcaire." Tous jaunirent sauf le 6e, le 8e, le 9e et le 10e. Deux autres, le 7e et le 9e montrèrent une forte vigueur et un jaunissement seulement léger. Ils deviendront les porte-greffes que quelques grands vignobles attendaient, les premiers à supporter 10 à 12% de calcaire actif. Ils s'appelleront, commercialement , le 3306, 3308, 3309, 3307 et 3311.
Il sélectionne des hybrides producteurs directs, sans porte-greffe. Tel le 7120, référence mondiale, appelé parfois le Contassot 20, qui sera cultivé jusqu'à la fin de l'épopée des hybrides, produisant jusqu'à 100 hl à l'hectare, avec de très bons degrés, rustique et réservé aux régions méridionales. Un peu plus tard viendra le Couderc n°13, blanc et très productif.
Reconnaissance internationale
Capable de présenter à ses nombreux clients un véritable catalogue avec une gamme complète de cépages blancs et noirs, Georges Couderc est invité par les organisateurs de tous les grands congrès viti-vinicoles nationaux. En 1889, il obtient le Grand Prix section viticole de l'Exposition universelle à Paris.
Se produit alors une véritable mobilisation des agriculteurs ardéchois.
- Après une première phase de plantation de cépages producteurs directs américains, en remplacement des vieux cépages détruits.
- Une deuxième phase commence dès 1892 avec le greffage sur des plants américains de bonnes espèces d'origine française. Mais les porte-greffes semblent péricliter sur les terrains calcaires. Et le travail de greffage est une difficulté pour les vignerons.
- On essaie donc une autre méthode qui constitue la troisième phase de reconstitution du vignoble français. Il s'agit de croiser les espèces, pour allier la robustesse des cépages américains à la qualité des vieux plants traditionnels, en fécondant le pistil d'une espèce avec le pollen d'une autre espèce et ainsi obtenir un hybride de plant américain. Dès 1887, les principaux acteurs sont nos deux Ardéchois natifs d'Aubenas, Georges Couderc et Albert Seibel. Après de longues et minutieuses recherches, car l'opération d'hybridation est délicate et les chances de germination demeurent aléatoires, ils obtiennent des hybrides producteurs directs ou des porte-greffes hybrides très robustes sur lesquels on peut greffer les anciens cépages nobles.
Georges Couderc a créé plusieurs centaines de ces hybrides français qui sont désignés avec son nom et un numéro courant. La plupart sont des croisements entre espèces européennes (Vitis Vinifera) et américaines.
Vers 1910, il développe aussi des variétés d'agrumes dont certains résisteront au terrible hiver 1928-1929 (-17°), et acclimate des plantes exotiques. Il s'attaque encore à la maladie de l'encre qui décime la châtaigneraie ardéchoise.
Les 17 et 18 mai 1911, il participe au Congrès international viticole de Montpellier, il y donne des conférences :
- 1° sur la durée des vignes greffées et des moyens de la prolonger ;
- 2° sur les hybrides producteurs directs.
En 1920 Georges Couderc est fait chevalier de la Légion d'Honneur.
Vers la fin de sa vie il dira :
"Le triomphe des hybrides est impossible à empêcher parce que seuls ils permettent au viticulteur d'échapper à la misère… Les attardés de la routine qui ne voudrons pas faire à ces nouvelles vignes la place qui leur revient déjà, en seront les victimes."
Le 9 décembre 1928 Georges Couderc décède à Aubenas.
La Loi du 24 décembre 1934 concernant les hybrides producteurs directs américains et français, qui avait pour but d' assainir le marché des vins, a introduit, en fait, de manière légale la notion de "cépages interdits" en viticulture. Ceux-ci s'appellent Clinton, Noah, Jacquez, Herbemont, Othello, Isabelle ; (ces cépages venus d'Amérique après le phylloxéra) pour ne citer que ceux-là, sont autant de noms qui résonnent d'une façon quasi magique dans l'imaginaire collectif de la Cévenne ardéchoise et du Bas-Vivarais. Peu à peu, le vignoble hybride est détruit dans les années 1960, entraînant le souvenir de ses créateurs (Seibel, Couderc et Contassot) dans sa disparition. Ici et là quelques vieilles souches isolées témoignent encore de l'épopée des ingénieux albenassiens.
Freddy Couderc, amateur et collectionneur de vin, descendant de la famille Couderc raconte avec passion l'histoire tumultueuse de ces cépages dans "Les vins mythiques de la Cévenne Ardéchoise et du Bas-Vivarais". Il a essayé d'analyser et de comprendre ces vins-mémoire, dont les parfums nostalgiques ramènent à une époque révolue. Pour Freddy Couderc la question posée est celle-ci :
"Pourquoi ces vins au goût de framboise et de fraise des bois, issus des cépages mythiques, n'auraient pas droit, aujourd'hui, à une existence légale ? "
Les 15 hectares du domaine des Montels (pays de Montauban) ont été tenus par la famille Couderc pendant plus d'un siècle et demi. Durant cette période, le domaine ne produisait essentiellement que des vins blancs élevés dans des batteries de foudres de chêne.
Au cours du XXe siècle, les cépages hybrides producteurs directs, critiqués pour la faible qualité de leur vin font l'objet d'une sévère réglementation. Ils ne sont plus utilisés. Le vignoble hybride est détruit peu à peu entraînant avec lui l'oubli de ses créateurs.
Source
- "Les vins Mythiques de la Cévenne ardéchoise et du Bas-Vivarais" par Freddy Couderc, Document, La Mirandole, 2000.
- "Les inventeurs d'hybrides au secours du vignoble", Eugène Contassot, Georges Seibel, Georges Couderc", par Marie-José Volle, Guy Boyer et Jacky Reyne, dans Cahier de "Mémoire d'Ardèche et Temps Présent", n° 95, 2007.