Pierre Reboulet est né le 12 août 1600 à Chomérac. Il est le fils de Pierre Reboulet (1583-1697). Son grand-père Étienne Reboulet né vers 1563, marié à Laurence Mermet était régent (professeur) à Privas puis exerça le ministère pastoral à Tournon-les-Privas. Il commença ses études à Genève, d'où son père également ministre, et les acheva à Die.Pierre Reboulet était docteur en théologie. Ayant participé aux controverses théologiques de l'époque, il était redouté de ses adversaires qui n'hésitaient pas à le le qualifier de "vieux radoteur".
Il fut reçu au saint ministère en 1625.
Il épouse Paule de Mercier de Gluiras, dont il aura plusieurs enfants :
Alexandre né en 1634, pasteur à Chomérac, il n'eut pas la constance de son père et de ses frères, mais abjura pour demeurer pensionné par le Roi.
Joseph né en 1645 pasteur à Champérache.
Paul né en 1655, pasteur à Ajoux, puis Lausanne et Zurich, en suisse où il accueillit sa sœur Marie, qu'il qualifie de martyre vivante.
Daniel le plus jeune fils, également pasteur.
Marie qui fut servante du Seigneur et fidèle dans son humble témoignage, renonça à aller retrouver ses frères en Suisse, pour rester auprès de son vieux père. Peu après la mort de son père , elle fut arrêtée, fut enfermée près de deux ans dans les prisons d'Aix-en-Provence. Puis, elle fut relachée "sans que jamais elle ait fait la moindre lâcheté en matière de religion", et conduite à Nice ainsi qu'une compagne, Antoinette Claris, "avec un garde qui leur dit mille injures. Ayant reçu quelques secours elles arrivèrent à Genève dans le dénuement le plus complet.
Laurence Reboulet marié au pasteur Isaac Sibleyras réfugié en Suisse, ils eurent 7 enfants.
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Des arrêts successifs de 1629 (siège et prise de Privas par Louis XIII), de février 1664 et août 1669, interdisaient à tout adepte, de la religion prétendue réformée, d'habiter dans Privas ou dans son terroir ou mandement et d'y exercer sa religion, et condamnaient pratiquement les Églises de Privas, Tournon-lès-Privas, Coux, Alissas, Creysseilles et Pranles. C'est ce qui expliquerait la présence du pasteur Pierre Reboulet à Ajoux et la mention "réfugié de Privas" que l'on trouve à plusieurs reprises dans le registre des actes de Pierre Reboulet.
Le pasteur habitait à Chassagnes un petit hameau au nord-est de Privas et exerçait son ministère au Petit-Tournon et sur tout ce versant jusqu'à Pranles et Saint-Vincent-Durfort de 1630 jusquà la démolition des temples ; il fut pasteur à Ajoux de 1666 à 1683.
En 1669, il avait été dispensé, à cause de son âge, d'assister aux Synodes de la province.
Le 18 janvier 1671, le pasteur Pierre Reboulet consigne dans ses actes pastoraux le baptême de René Durand, "un fils de Pierre Durand, mesnagier du Bouschet de Pranles et Isabeau de Cros mariés dudit lieu" (ce Pierre Durand est le père d'Étienne Durand et le grand-père de Pierre et Marie Durand)
Fait unique dans l'histoire de France, un pateur, le doyen du corps pastoral est le seul à rester dans le royaume , après la révocation de l'édit de Nantes, en 1685, c'est ce que rapporte Eugène Arnaud dans son ouvrage "Histoire des protestants du Vivarais et du Velay, pays de Languedoc, de la Réforme à la Révolution" :
Le seul pasteur autorisé à rester en France (1686)
"Un des articles de l'édit, qui révoquait celui de Nantes, ordonnait à tous les ministres du royaume de sortir de France dans le délai de quinze jours. Un seul reçut l'autorisation de finir ses jours sur le sol natal, et ce fait, unique dans l'histoire de la révocation, mériterait déjà d'être signalé, si le pasteur qui n'eut pas à souffrir des douleurs de l'exil, n'était pas digne d'ailleurs de toute notre sympathie et de tout notre respect. Il s'agit de Pierre Reboulet, successivement pasteur à Saint-Vincent-de-Barrès, Tournon-les-Privas et Ajoux. Dès que l'édit de révocation lui eut été notifié, il s'apprêta à sortir du royaume, quoiqu'il fut "aveugle depuis quatre ans, accablé d'infirmités et de vieillesse, ayant atteint l'âge de quatre-vingt-six ans", et il se mit en route pour Montpellier à l'effet de demander à l'intendant Bâville un passeport ; mais, arrivé à Chomérac, il tomba gravement malade et , de l'aveu de plusieurs officiers, de son chirurgien et de trois curés, il ne put continuer son voyage. On allait néanmoins lme faire prisonnier et lui imposer un logement militaire dans sa maison, quand son fils aîné, le pasteur Alexandre Reboulet, de Chomérac, écrivit à l'intendant du Languedoc pour le prier d'autoriser son père à sortir de France avec sa fille Marie, qui était âgée de cinquante ans, le servait avec une affection et des soins tout particuliers et connaissait ses infirmités mieux que personne ; et comme, en attendant qu'il fut possible au vieillard et à sa fille de partir, ils pouvaient être exposés à des vexations, Alexandre Reboulet demandait encore à l'intendant "de faire défenses à toutes personnes de leur donner aucun trouble en leurs personnes et biens."
"L'intendant accorda au vénérable vieillard plus que son fils ne demandait, car "s'étant laissé attendrir à sa vieillesse," dit une lettre du Vivarais du 23 février 1686, "il lui promit de le laisser mourir en repos, et les dragons exécutèrent si bien ses ordres que, bien que sa maison en fut toute remplie, ils ne lui firent que de légères insultes."
Contre toute attente, Pierre Reboulet se rétablit, si bien qu'il put remoner, avec sa fille, à Ajoux. Il apporta par sa seule présence un peu de réconfort à la population en détresse.
La fin du pasteur est racontée dans une lettre envoyée du Viarais, datée du 23 février 1686, et adressée à son fils Paul qui se trouvait sans doute à Genève, en voici quelques passages :
Monsieur,
… je vous écris pour vous apprendre la mort de Monsieur Reboulet Pierre… Agréez donc que je vous apprenne quelques circonstances de la mort de ce bienheureux serviteur de Dieu.
Monsieur Pierre Reboulet était, comme vous le savez, le seul ministre qui fût resté en France. Son âge ne lui avait pas permis de se pouvoir retirer hors du royaume, lorsque le Roi révoqua nos Édits et condamna au bannissement tous les Ministres. L'Intendant de notte Province, s'étant laissé attendrir à sa vieillesse, lui promit de le laisser mourir en repos, et les dragons exécutèrent si bien ses ordres, que bien que sa maison en fût toute remplie, ils ne lui firent que de légères insultes… Lorsqu'il est mort, il était peut-être le Doyen de tous les ministres de France. Il avait beaucoup lu : mais étant devenu aveugle, depuis quatre ou cinq ans, il ne se faisait plus lire que la Bible laquelle je puis dire qu'il savait par cœur. sa piété, son zèle, sa candeur, et sa charité étaient reconnus de tout le monde. Il vaquait à la prière d'une manière tout à fait extraordinaire, et il y a peu de ministres à qui l'on puisse donner plus légitimement qu'à lui, l'éloge de véritable pasteur, car outre que nous avons été témoins des exhortations qu'il a faites, jusqu'au denier jour de sa vie, à ceux de ses parents et de ses amis qui après leur chute (il s'agit de l'abjuration) allaient chercher quelque consolation auprès de lui ; outre que nous lui pouvons porter ce témoignage qu'il a soutenu plusieurs de nos frères qui étaient au bord du précipice, tout le monde a vu les attaques qui lui ont été faites par les Jésuites qui avaient ordre de le visiter, et la manière vigoureuse dont il les a toujours repoussés. Le Commandant des troupes qui ont ravagé notre misérable Province, et qui la ravagent encore, avait fait dessein fort souvent de le violenter. Mais soit que Dieu l'ait toujours retenu, ou que sa barbarie se soit laissé vaincre aux larmes et aux faiblesses d'un homme qui avait plus de quatre-vingts ans, il n'a jamais livré sa personne à ces étranges Missionnaires qu'on emploie à notre conversion. Je ne sais, Monsieur, si ce Commandant ne se repentit pas d'avoir été trop doux, lui qui a accoutumé ses mains à tant de vioolences, ou si ça ne fut pas un coup de son Confesseur, mais il est constant qu'il avait résolu de le faire enlever le 20 du mois de février, et de le faire porter en triomphe dans l'Église, lorsqu'on célébrait la Messe. Comme ces Messieurs sont les maîtres et que personne n'ose s'opposer à leurs volontés, ils ne firent pas mystère de leur dessein. Les Papistes faisaient éclater toute leur joie, à la vue d'un projet, dont les nouveaux convertis gémissaient dans leur âme. Ce vénérable Ministre en fut averti, car ses amis crurent qu'il devait être préparé à ce rude et terible combat. Mais quoique son âme fut comme accablée de douleur à l'ouïe de cette nouvelle, son zèle redoubla dans cette rencontre. Il dit : " que Dieu lui ferait grâce de voir échouer le dessein de ses ennemis, que Celui qui habite aux Cieux se moquerait de leurs complots, et soufflerait sur leurs entreprises. Il le demanda à Dieu avec beaucoup d'ardeur et il y eut assurément quelque chose d'extraordinaire dans la confiance qu'il fit paraître, que Dieu le retirerait de ce monde avant ce cruel et funeste jour, car il dit plusieurs fois à haute voix, "que Dieu aurait pitié de sa faiblesse, qu'il aveuglerait ses ennemis, qu'il le retirerait bientôt de la servitude, qu'il sentait arriver cet heureux moment". En effet, Dieu exauça les prières de son serviteur, dont le désir tendait à déloger, car il mourut le 18 du même mois, deux jours avant qu'il dût être enlevé. Ses dernières paroles qui furent entrecoupées de plusieurs soupirs et tirées toute de l'Écriture Sainte, furent si touchantes qu'elle arrachèrent des larmes à tous ceux qui étaient autour de son lit ; et par un effet de cette même Providence qui l'avait conservé lui seul au milieu de la fournaise de Babylone, il fut enterré de nuit, sans aucun empêchement, dans le même endroit où sa femme avait été enterrée."
Pierre Reboulet est décédé le 18 février 1686 à Coux.
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Cette éminente famille de pasteurs représente la communauté de base restée solide dans le protestantisme, à travers des destins très divers, commandés par les options différentes prises par les familles protestantes de l'époque.
Avec le père, c'est la fidélité ferme et intransigeante à ses croyances.
Avec les deux fils Paul et Daniel, c'est le choix de l'exil et du ministère dans une nouvelle patrie, la Suisse.
Avec la fille Marie , c'est une femme dévouée à son vieux père, qui endurera l'emprisonnement et ne cèdera pas.
Avec Alexandre, c'est le fils qui avait fait "un beau mariage" avec Jeanne de Latour "fille de noble Charles de Latour, sieur de Lagarde, de Chomérac" ; son âme ne connut plus de paix et de bonheur, et qui selon le Mémoire d'Ebruy était sujet à des "frayeurs" et des "agitations inexprimables". En dépit de son abjuration, il reçut et défendit son père et écrivit à l'intendant du Languedoc "de faire défense à toutes personnes de lui donner aucun trouble en sa personnet en ses biens."
Avec la fille Laurence marié à Isaac Sibleyras pasteur expatrié en Suisse.
Sources
- Histoire des Protestants du Vivarais et du Velay pays de Languedoc, de la Réforme a la Révolution, Par Eugène Arnaud, volume second, Grassart Libraire-Éditeur à Paris, 1888.
- "Une foi enracinée - La Pervenche", par Henri Manen et Philippe Joutard, Imprimeries Réunies, Valence 1972.
- Portraits huguenots vivarois, par Samuel Mours, Publications du Musée du Désert en Cévennes, 1948.